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Talia, Fetouma, Zina? Cherchez la femme !

par Belkacem AHCENE-DJABALLAH

La femme du Caïd. Roman de Fatéma Bakhaï. Editions Alpha. Alger 2012(1ère édition Dar El Gharb, Oran 2004), 301 pages

L'auteure est connu pour avoir, dès 1993, publié plusieurs romans à l'étranger, et bien d'autres en Algérie, dont trois tomes consacrées à Izuran, en 2010.

Elle a vécu, toute jeune, dans plusieurs pays. Elle a enseigné (le français) avant de devenir magistrate puis avocate... et, enfin, écrivaine. Un itinéraire qui a, indubitablement, joué un rôle important dans son dernier «métier» : un contenu serrant de très près la réalité vécue (par sa société), une érudition historique sérieuse, une écriture claire qui facilite la lecture (et qui forme en même temps, ce qui n'est pas peu en ces temps de «créolisation» de nos langues) et une logique dans le déroulé de ce qui est raconté. Une histoire somme toute banale d'une fillette, Talia, au sein d'une famille touchée par la misère ; un drame de la séparation, mais aussi, la découverte d'un «nouveau monde», celui d'une couche d'Algériens «aisés», avec un «Caid» ouvert, mais, bien sûr, tous sans grands droits au sein d'une colonisation, sinon le devoir de travailler et de subir, en attendant le «grand soir». Un ouvrage au démarrage assez triste, mais qui, au fil des pages, vous happe et vous retient... jusqu'à la fin. Ah ! si j'étais producteur de cinéma ? Un livre qui ferait un très beau film.

Avis : Une version plus réaliste et plus «engagée» de «Ce que le jour doit à la nuit» de Yasmina Khadra. En tout cas, un livre destiné d'abord et avant tout aux Algériens... qui découvrirons une très belle histoire... de vie (avec ses durs moments et ses espoirs) et d'amour... l'histoire d'une femme qui «gagne». Une histoire vraie ? Presque. Décidément, l'Algérie n'a pas fini de dévoiler ses secrets socio-historiques.

Phrases à méditer : «Le caïd savait, lui, que la torpeur de son peuple était brume légère qui attendait le premier rayon de soleil pour disparaître...des braises froides couvertes de cendres sur lesquelles il suffisait de souffler» (p.110) et «Dieu m'a donné le courage de changer les choses que je peux changer, la sérénité d'accepter les choses que je ne peux changer et la sagesse d'en connaître la différence» (p.298)

Slim, Le Gatt et Moi. Un récit de Omar Zelig. Editions Dalimen. Alger 2009. 120 pages, 660 dinars

La bande dessinée ? Bouzid ? Moustache et les frères Belgacem ? Zina ? Ah, Zina ! Le Gatt ? Sid Es Dik, le gros propriétaire, Ameziane le militant, Oued side story, Oued Besbès... un seul nom revient inéluctablement sur toutes les lèvres, petits et grands, aujourd'hui encore bien plus qu'hier. Slim ! Comme le dit, technologiquement bien, l'auteur de l'ouvrage, Omar Zelig (pseudonyme du journaliste algérien... Luc Chaulet) qui lui est consacré... «de 1969 à nos jours, on a tous quelque chose de Slim, stocké dans le disque dur de nos vies».

Pourquoi, parce que, tout simplement, cet homme tranquille, discret, modeste (du moins celui que j'ai connu et qui a réalisé ?gratuitement- la couverture de mon premier livre ? un chef d'œuvre, la couverture, pas le livre - sur le Nouvel ordre international de la Communication édité à l'OPU, en 1980),... est le premier qui a abordé l'information politique... économique et socio-culturelle d'actualité par le dessin (sous forme de «planche» ou parfois, tout simplement de caricature)... dans la presse (Algérie Actualité, Révolution africaine, La République, El Moudjahid... eh, oui...). Avec lui, la bande dessinée qui n'était pas vraiment recommandable auprès des parents, a commencé à entrer dans les foyers. Durant la colonisation. et juste après, on lisait les «illustrés» en cachette car ils étaient supposés nous détourner de l'école traditionnelle, ou tout simplement, dans une société encore conservatrice, parce qu'il y avait tout simplement des images...alors qu'ils nous «offraient» le monde, avec des héros, d'un autre monde, il est vrai. En Algérie, après l'Indépendance, la bande dessinée est entrée, avec Slim et ses compagnons, dans l'univers des adultes apportant une autre manière de lire et de comprendre une société qui commençait à se compliquer la vie, tout particulièrement avec sa multiplicité de «révolutions» : agraire, industrielle, culturelle..., un parti unique de plus en plus envahissant et des appareils administratifs de plus en plus bureaucratiques. En face, un individu, Bouzid, «qui est du peuple, mais qui n'est pas le peuple»... toujours soutenu par Zina, sa compagne... son épouse... son amie... qu'importe, en tout cas plus que sa moitié : avec l'éloge de la débrouille, le droit à la paresse, un certain hédonisme... et la recherche du bonheur d'être Algérien «au moins de temps en temps». L'Algérien vrai, quoi !

Avis : Slim se livre, «va à confesse» dans un livre excellemment fait, avec un texte fluide... pas ennuyeux pour un sou, accompagné de dessins. Un véritable livre-dessiné. A signaler que la bande dessinée culte «Les aventures de Bouzid et Zina» (Sned, 1981) figure dans la liste des «1001 BD qu'il faut avoir lu dans sa vie», selon un ouvrage de 960 pages sur la bande dessinée mondiale récemment édité par les éditions Flammarion.

Phrases à méditer : «A l'époque de notre descente aux enfers, quand les gens disaient, «ça va mal», moi, je leur disais : «ne vous inquiétez pas, ça va changer... mais en pire !», et je ne croyais pas si bien dire» (Slim, p.118) et «Après ce qu'on a vécu, aujourd'hui, souvent je crois que j'ai rêvé, cauchemardé plutôt. Ca, ça me tue... Ce qui me chagrine le plus, c'est que beaucoup de copains sont morts pour rien. Pour quoi sont-ils morts ? Pour défendre les acquis de X ou Y ? Les conteneurs ?....» (p.118)...

L'héritage du charbonnier. Vie et œuvre de Mohamed Bouamari. Un récit de Boudjema Karèche. A compte d'auteur. Alger 2012. 192 pages, 600 dinars

Selon l'auteur, un immense connaisseur du cinéma national, puisqu 'il a dirigé, durant plusieurs décennies, la Cinémathèque algérienne avant d'être «débarqué» brutalement et sans explications ( bof ! il n'est ni le premier ni le dernier des «agitateurs d'idées» à l'être), le premier long-métrage de Mohamed Bouamari, Le Charbonnier «est le seul film long métrage 35 mm, dont le négatif se trouve à Alger, aujourd'hui encore». Mais qu'a-t-on donc fait de toutes les autres productions n.a.t.i.o.n.a.l.e.s dont certaines ont glané des récompenses à l'étranger. Dispersées, détournées, «en-volées»... l'Algérie se retrouvant obligée de payer des droits à on ne sait qui... aux Iles vierges ou aux Iles Caïman, pour les revoir sur ses écrans (dans ces conditions, des écrans, heureusement qu'il n'y en presque plus) .

Ceci dit pour seulement montrer que le nationalisme de Bouamari était concret, porté par une immense générosité au service de son pays et de son peuple, ainsi que de son art. Quatre grands films (Le Charbonnier, L'Héritage, Premier pas, Le Refus), cinq courts métrages..., entre autres réalisations, qui ont posé une forme nouvelle de l'approche et de la réalisation cinématographiques ; le «Cinéma Djedid» qui avait fait tant de bruit en son temps... et qui avait dérangé beaucoup les cinéastes classiques. Certainement parce qu'il ne demandait pas beaucoup d'argent (à l'Etat), sinon un minimum, pour faire de grandes et de belle choses.

Avis : Un récit parsemé d'anecdotes, de lieux de haute convivialité, de personnages (qui ont fait les belles ?mais pas «folles» - nuits d'Alger et les belles ?mais pas inutiles - journées de la Cinémathèque) et de vie qui vous fait entrer dans un monde modeste, mais heureux même en les moments les plus difficiles et les plus douloureux... De l'espoir... toujours ! Fetouma, toujours là ! L'essentiel étant de remuer les âmes et de créer du bonheur. Destiné à ceux qui aiment le 7è art et les vrais artistes.

Phrases à méditer : «Si, aujourd'hui, nous sommes libérés, nous ne sommes pas encore libres» (p.105)