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Survivre aux urgences médico-chirurgicales

par Farouk Zahi



UMC, un acronyme qui rappelle, curieusement, cet objet mythologique. Après avoir consenti un effort soutenu et satisfait de l'avoir rempli, on découvre qu'il est lamentablement vide, percé de multiples orifices. L'inexpérimenté (e) jeune médecin, fera son baptême de feu dans cette galère de tous les risques. Face à la détresse humaine, il (elle) sera, souvent seul(e), à parer au plus pressé. La parité, entre les deux sexes, largement en défaveur du sexe masculin, pose d'innombrables problèmes aux médecins, épouses ou mères de famille, tenues par l'obligation de la garde. Pendant qu'il tentera d'ausculter un cœur qui s'emballe, le vacarme fait par la porte qu'on défonce, l'empêchera de se concentrer. Son regard perdu, interrogera vainement, le placide infirmier aux yeux injectés qui ne peut que maugréer d'inaudibles phrases. Le charivari, est l'œuvre d'un jeune en furie dont le manque aux psychotropes ramène souvent au service, en quête d'une pilule psychédélique. Maitrisé difficilement par les agents de sécurité, il est, régulièrement, confié à la V.R policière en maraude. Entretemps, le téléphone grésille frénétiquement, on tente de l'ignorer mais, il continue à ajouter au stress ambiant ; on décroche nerveusement. La sollicitation vient d'une jeune sage femme haletante qui annonce au toubib : «Docteur...j'ai un placenta prævia, pouvez vous venir ?» Regardant machinalement son téléphone cellulaire, le médecin note qu'il est 21h20.

«Que veux-tu que je lui fasse, je ne suis pas gynécologue moi ! lui dit-il».

«Moi non plus, ?j'ai déjà sur les bras 3 femmes dont une primipare !».

Le temps de prescrire un traitement au patient sur la table d'examen, le toubib fonce vers la maternité. C'est le branle bas de combat, la panique est lisible sur tous les visages. Un bref coup d'œil, une prise de tension au pied levé, suffit pour décider de l'évacuation, d'ailleurs seule alternative dans pareil cas, vers un service spécialisé. On convoque le chauffeur de la seule ambulance disponible ; l'autre n'étant pas encore revenue de Douéra où elle y a déposé deux accidentés de la route, sérieusement, amochés. On tente vainement de contacter le service d'accueil, aucune réponse au bout de la ligne.

On n'arrive pas à mettre la main sur Omar, le chauffeur, qui était pourtant là, il y a, à peine quelques minutes. Le surveillant médical de nuit, dit l'avoir autorisé à aller accomplir son «Ichaa» dans la mosquée qui jouxte l'hôpital.

-«Il ne faut pas s'en faire, il sera là dans deux minutes.» dixit, le surveillant médical. Au retour vers l'antre qu'on appelle pompeusement UMC, le médecin est sollicité par deux gendarmes encadrant une jeune fille, passablement éméchée, pour un examen de routine avant sa mise en garde à vue. Elle errait dans la cité sans but apparent. Après un «RAS» dument affirmé par un certificat médical, le praticien est happé par le vagissement d'un bébé qui se contorsionne dans les bras de sa mère, visiblement épuisée. Poursuivant sa course, son regard localise une vieille dame soutenue par ce qui semble être ses fils qui lancent des regards menaçants au praticien. Un vieillard décharné, affalé dans son fauteuil roulant, est pris d'une quinte de toux suffocante qui lui fait perdre le souffle. Il décide, arbitrairement, de faire introduire celui qui en est détresse respiratoire afin de l'oxygéner. S'occupant par la suite du bébé fébrile, il suspecte une méningite, il devra dans ce cas, ou se fier à son seul flair ou recourir au laboratoire. Cette dernière, option consensuelle des scientifiques, n'est pas encore à sa portée s'agissant de la pratique préalable d'une ponction lombaire. La technique qui consiste en un prélèvement du liquide céphalorachidien au niveau de la colonne lombaire, nécessite une expérience avérée pour son exécution. Ne se sentant pas, encore capable d'une telle prouesse, il en laisse le soin au spécialiste d'astreinte qu'il devra appeler. D'autres patients, cinq à six d'apparence normale sont là dans l'attente d'un examen médical, ils n'ont pas d'autres recours que celui de l'urgence. Cette déviance est due à la quasi absence de service de consultations les après midis dans les structures publiques, ce qui oblige la plupart des demandeurs de soins à se rabattre sur la garde médicale. Le cabinet privé, même s'il assure des examens médicaux, n'offre pas la prestation de soins. Il oriente vers les structures publiques, tout ce qui peut tenir la main : Perfusions, pansements, immobilisations etc. Les gens qui ont compris depuis longtemps, qu'ils peuvent dans le cadre de l'urgence, bénéficier de soins et d'examens complémentaires ne se privent plus de cet avantage accordé généralement aux cas en détresse. L'épée de Damoclès, non assistance à personne en danger, en sustentation sur la tête, contraint les praticiens à examiner même le tout venant.

La jeune parturiente que rien ne rassure, est blême d'angoisse, elle ne sait de son état que l'extrême gravité communiquée par la fébrilité du personnel qui mesure la délicatesse du cas. Tous, se remémorent la présence du gynéco obstétricien qui parait à 90 p. cent des cas et qui n'est plus là depuis 6 mois déjà. Après avoir accompli son service civil, il est rentré au Nord, pour s'installer à titre privé. Le bloc opératoire est présentement déserté. Les équipements gisent sous de lugubres toiles de polystyrène noir. Il faudra donc patienter jusqu'à la prochaine promotion de spécialistes et attendre de la providence qu'il y ait un postulant ou une postulante. Cette couverture médicale spécialisée par à coups, est le particularisme des régions dépourvues de centre hospitalo- universitaire. Même, les hôpitaux jadis à vocation régionale, vivent la même problématique. L'exemple en a été, récemment, donné à Saida, lors de la visite du Premier ministre. On se surprend à dire : «Pourquoi recourir à Sidi Bel Abbès ?». Pour la simple et bonne raison que cette dernière, dispose d'un CHU qui pourvoit à une couverture médicale pérenne qui n'est pas alimentée par un service civil aléatoire et en dents de scie. En dehors de ces sanctuaires, on ne trouve, qu'exceptionnellement, des staffs opérationnels intégrés et même s'ils existent, ils sont généralement constitués de diplômés fraichement émoulus sans guidance praticienne. Ils érigeront, à l'instar des services hautement spécialisés, des barrières psychologiques, le plus souvent infranchissables. Il ne faut surtout pas demander à un spécialiste de faire le déplacement au service où est hébergé le malade aux fins d'examen ; c'est au patient d'être déplacé dument accompagné d'un compte rendu. On utilisera l'ambulance s'il le faut, le système pavillonnaire n'arrangeant pas toujours les choses. La consultation spécialisée est bi hebdomadaire, comme elle leur été apprise lors du cursus universitaire et personne n'y dérogera. Dans le privé, elle est, non seulement quotidienne, mais à double vacation.

Notre médecin qui a presque évacué la salle d'attente de ses patients, revient à la maternité pour s'enquérir du cas pour lequel la sage femme l'a sollicité. La patiente est toujours là. Si le chauffeur a daigné faire son apparition, après près de 3 /4 d'heure d'attente, le soignant qui devait faire l'abord veineux, refuse de le faire se disant être en grève. Hors de lui, le médecin ne put qu'interpeller le surveillant médical pour l'insubordination caractérisée de l'infirmier frondeur. Incapable, lui-même, de se substituer par manque de dextérité, le surveillant ne peut que caresser dans le sens du poil le «boss de l'intraveineuse» par des propos laudateurs. Reconnus par tous, l'infirmier piqueur, consent enfin, à exécuter le geste prescrit. Ce n'est enfin qu'aux environs de 1heure du matin que l'ambulance s'ébranle vers sa destination qui ne sera finale que lorsque, la famille rassurée sur le sort de sa patiente, rentrera chez elle. La garde administrative est quant à elle, aux abonnés absents.

Harassé par ce combat d'arène, le médecin de garde se retirera, momentanément, dans son repaire de chambre dont la propreté de la literie est plus que douteuse, pour avaler sans appétit, un repas qui a été précédemment chaud. Deux mandarines émaciées constitueront son dessert énergétique.