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C'est l'un des dilemmes discrets des élites : faut-il laisser
le peuple voter au nom de la démocratie ou sauver la démocratie en interdisant
au peuple de voter ? Vieille équation algérienne, aujourd'hui égyptienne par
exemple. Pour ce pays, le piège est total : avec des élections libres, on
libère le Diable, pas la liberté. Pour la nouvelle constitution, les Frères
musulmans ont joué sur le sentiment religieux du bon peuple : ainsi les
«masses» ont voté «oui» pour cette charia bis. Les élites généralement
économiques et culturelles, de classes moyennes, celles qui font de l'argent et
les valeurs et la plus-value, sont contre. Elles sont la minorité.« Que
voulez-vous qu'il advienne lorsqu'on laisse les illettrés décider d'une
constitution qu'ils ne savent même pas lire ? » s'écriera une femme égyptienne
face à des caméras. Sauf que cela s'appelle la démocratie : les peuples qui
votent. Oui, sauf que le vote d'un PDG d'entreprises qui emploient des milliers
de travailleurs est plus important que celui d'un village entier qui ne
fabrique rien que de la mastication.
Sauf que l'avis d'une majorité n'est pas raison et que celui d'une minorité n'est pas un tort, aussi. Les élites dans le monde dit « arabe » ne le disent pas à haute voix mais le pensent de plus en plus ouvertement : laisser voter des gens qui ne calculent pas le poids de leur acte, qui manquent de conscience et de culture, qui sont nés et sont longtemps restés morts sous les dictatures, des peuples culturellement démissionnaires, fatalistes, formatés à la religion de la défaite et au populisme, laisser ces gens voter est un tort. Ils ne peuvent faire que le choix de leur ignorance et ne peuvent élire que les pires qui leur promettent le paradis après la mort, pas avant. Mais la question de conséquence sera pire : à quoi bon faire une révolution contre une dictature si ce n'est pour donner le droit de vote au peuple, justement ? D'autres préconisent une autre voix : éduquer le peuple, réformer les écoles et les têtes, séculariser la religion, réformer l'Islam, pousse les gens à prendre conscience de leurs actes et de la distinction à faire entre religion et gestion de la cité et de la liberté, avant de leur donner le droit de vote. Sauf que c'est exactement ce que disent et disaient les dictatures. Chez nous, Bouteflika l'a souvent répété dans ses discours épistolaires: la démocratie cela s'apprend, culturellement on n'y est pas prêt et il faut donner du temps au temps. A la fin, on vote mal ou mollement ou pas du tout et on a des Belkhadem au bout de la chaine de fabrication ou des fils d'ex-ministre qui possèdent des centre commerciaux et vont des virements par des banques d'îles lointaines en employant des suisses de couverture à Alger. Résumons : il ne faut pas donner la démocratie à des peuples qui ne savent pas voter (position des régimes dits de dictature pédagogique). Deux : il faut chasser les dictateurs qui empêchent les peuple de choisir leur destin (position des révolutionnaires : peuple et élite et islamistes confondus). Trois : les peuples ont le droit de voter contre les élites car c'est la loi de la majorité contre la minorité et c'est la démocratie (Position des islamistes pour qui la démocratie est comme le chameau: on peut le monter, le traire, le manger, s'y abriter, s'en vêtir, l'élever mais jamais hésiter à l'égorger ou le vendre ou l'acheter). Quatre : il ne faut pas laisser des peuples qui ne savent pas voter, voter contre la démocratie justement (position des élites post-révolution ou post-guerre civile à l'algérienne). Cinq ? C'est justement ce que je disais, dit le régime et le dictateur. Six : il ne sert à rien de faire la révolution si c'est pour revenir à ce que je disais, dit encore le régime. Sept : il faut faire la révolution dans les mentalités, les cultures, les esprits et les écoles avant de chasser le dictateur, dit une partie de l'élite qui essaye de trouver une solution. « Cela ne sert à rien puisque justement le régime contrôle les écoles, la religion, les esprits, le espaces publics », lui répond l'autre partie qui ajoute « cela prend des siècles et on n'a qu'une vie ». A la fin, l'on se demande : le principe est bon et beau, mais la question remet en cause l'un des acquis de la fin du moyen-âge de l'Occident : le vote direct et massif. Voter est-il bon pour ceux qui ne savent pas voter ? La Démocratie est-elle permise pour ceux qui la tuent démocratiquement ? Peut-on choisir démocratiquement une dictature ou le contraire ? Les réponses sont toujours terribles à ce genre de questions. Cela conduit à tuer ou à massacrer ou à voler ou à se libérer. C'est selon. La solution s'impose pourtant : trouver un moyen pour que tous votent, mais que certains votent plus que d'autres. Mais là aussi : qui sera le grand électeur et qui sera le petit électeur ? Celui 0qui fait le plus de prières ? Celui qui a les armes ? Celui qui a des entreprises ? Celui qui a fait la guerre de libération ? Celui qui n'a jamais volé ? D'ailleurs l'autre question est : quand la moitié d'un peuple s'abstient lors d'une élection, le résultat légitime est-il dans l'abstention ou dans les urnes ? |
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