|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
«? Un grand nombre
de ces tortures n'avaient d'ailleurs pas pour but la recherche du renseignement
immédiat. On torturait par routine - ou par sadisme, sale maladie qui s'attrape
vite - des suspects à peine suspects, avant tout interrogatoire. Ou on les
plaçait dans des postures humiliantes, les femmes surtout, des postures qui
n'étaient absolument pas nécessaires pour obtenir de quelconques aveux, la
souffrance physique y suffisant amplement?» (Jacques Duquesne, envoyé spécial
de La Croix à Alger durant la guerre, article publié fin 2000? seulement. Voir
le texte complet in www.lexpress.fr/actualite)
Où j'ai laissé mon âme Un roman de Jérôme Ferrari. Barzakh Editions. Alger 2011 (Actes Sud, France, 2010). 156 pages, 800 dinars. Ils ont cru , disent-ils, qu'ils se battaient pour quelque chose, «l'honneur de la France»? sans s'apercevoir que tout cela «n'existait plus». Ils ont laissé leur âme dans une «sale guerre» menée contre un peuple dont ils se refusaient à voir la justesse du combat menée pour la liberté. Devenus tortionnaires, ils ont emprisonné, «questionné», torturé, tué sans trop se poser de questions, tout sentiment étant caché par l'uniforme militaire?. ne voyant pas plus loin que la porte des cachots dont ils avaient la charge? les bons sentiments rapidement refoulés par la soi-disant discipline de rigueur chez les «centurions»? l'esprit totalement «torturé (la belle affaire !) par les défaites précédentes? oublieux, pour certains, les plus âgés, les officiers, de ce qu'ils ont eux-mêmes subi, dans des camps d'emprisonnement ou des geôles? On a même vu un jeune religieux bon teint renier les principes de base de sa foi? et jouir pleinement du pouvoir de faire et défaire les vies? Ils ont fini en enfer? alors que les hommes qu'ils ont malmenés, torturés ou/et assassinés sont libres? pour l'éternité. Avis : Destiné surtout à des lecteurs qui s'intéressent à la psychologie des «techniciens» et autres spécialistes de la «gégène» et des exécutions sommaires? Encore qu'il faille beaucoup de patience (et un certain niveau intellectuel) pour comprendre ce (presque) essai philosophique. L'auteur a été professeur de philosophie et il a exercé en Algérie de 2003 à 2007? Ce qui lui a donné, au passage, le droit (sic!) de «disserter» un peu trop longuement sur les événements tragiques des années 90. Fortement déconseillé à ceux qui ont subi la torture. Phrases à méditer: «Une leçon brutale, éternelle et brutale, le monde est vieux, il est si vieux, et les hommes ont si peu de mémoire. Ce qui s'est joué dans votre vie a déjà été joué sur des scènes semblables, un nombre incalculable de fois, et le millénaire qui s'annonce ne proposera rien de nouveau» (p.23) et «J'ai aussi appris que le mal n'est pas l'opposé du bien; les frontières du bien et du mal sont brouillées, ils se mêlent l'un à l'autre et deviennent indiscernables dans la morne grisaille qui recouvre tout et c'est cela, le mal» (p. 149) Des hommes Un roman de Laurent Mauvignier. Barzakh Editions. Alger 2010 (Les Editions de Minuit, France, 2009). 232 pages, 800 dinars. L'histoire de «petites gens» de la «France profonde», la rurale et du gros rouge qui tache, des jeunes hommes «mineurs, pas bons pour voter, mais déjà bons pour les djebels» qui sont appelés à participer à ce que l'on n'appelait pas encore la Guerre d'Algérie, mais des «évènements». «Ce ne sera pas Verdun», leur dirent les vieux piliers de bar du coin? dont beaucoup ne savaient même pas où se trouvait très exactement l'Algérie et par qui elle était habitée. Si ! des Indigènes et des «mouquères». Les jeunes appelés découvrirent très vite une véritable guerre avec toutes ses horreurs et ses drames. Et, des Arabes, «des chiens, rien que des chiens», tous des «fellaghas», tout juste bons à «regrouper» ou à torturer et à éliminer (en les tuant bien sûr, puis en faisant disparaître les corps)? Et, de gros colons? qui s'en mettent «plein les poches». Beaucoup d'appelés. Peu d'élus qui en réchappèrent ? Beaucoup d'entre eux ne s'en relevèrent jamais et finiront traumatisés, déséquilibrés, hantés? Des fous, quoi ! Enfermés soit dans des silences lourds de sens, soit dans des réactions quasi criminelles contre tout ce qui leur rappelle leur passé? quand ils étaient encore pris dans la naïveté de la jeunesse. Avis : un roman au rythme haletant se déroulant dans des «mouchoirs de poche» (lieux d'affectation - village d'origine), avec très peu de personnages. Des remontées dans le temps avec un va-et-vient incessant présent-passé. Une écriture cassée, déroutante? qui se met à la hauteur du niveau intellectuel des «héros». A lire par ceux qui voudraient connaître les dérives passées et les états présents des «Français» de métropole en uniforme militaire durant la Guerre de Libération nationale. Phrases à méditer: «Il n'est pas seul à être seul, ils sont seuls tous ensemble» (p. 134) et «On est là maintenant à se regarder vieillir et ne pas comprendre? avec une mémoire si vieille, et une haine si vieille aussi que tous les mots qu'on pourrait dire ne peuvent pas grand-chose» (p.223). Des soldats tortionnaires Guerre d'Algérie : des jeunes gens ordinaires confrontés à l'intolérable Une recherche universitaire de Claude Juin. Media Plus Editions. Alger 2012 (Les Editions Robert Laffont, Paris, 2012). 364 pages, 1400 dinars. Près de deux millions de jeunes gens ont été appelés ou rappelés entre 1955 et 1962? pour aller «mettre fin à l'action des agitateurs (?), au règne de la terreur (?) et rétablir pour tous la sécurité et la confiance» au sein de départements «français». Ils étaient partis, tout du moins au début, la fleur au fusil, croyant aller à la découverte... de l'Orient? d'un pays dont, globalement, ils ignoraient l'existence. La population européenne, surtout les puissants lobbies colons, étant le tamis cachant le soleil? faisant accroire en une «patrie mise en danger» par des «indigènes terroristes». Huit années de guerre? trente mille d'entre eux y périrent? deux cent mille blessés ou gravement malades? Pourquoi ? Parce que bien d'entre eux furent confrontés rapidement à une triste et douloureuse réalité: l'exploitation des populations arabes par la population européenne, une surexploitation par les gros propriétaires et grands industriels, un apartheid déguisé, un racisme patent? et une résistance populaire des «Arabes» bien souvent insaisissable. «En Algérie (au sein de leur armée et de la société européenne environnante qui vivaient dans un ?totalitarisme ambiant'), ils n'ont pas découvert le mal, ils étaient plongés dedans»? plongés «dans la violence extrême», perdant sans le savoir, et pour les plus faibles psychologiquement, «toute humanité» à l'endroit des «Arabes». «Tous des ?fells' qu'il fallait éliminer !» «Je n'avais jamais pensé que la méchanceté des hommes pouvait aller jusque-là: tuer pour le plaisir de tuer», écrit, dans une de ses lettres, un prêtre rappelé en Algérie. Bien après le retour au pays natal, «l'inhibition de la honte» a conduit inexorablement, de leur vivant, «au néant» et à leur départ vers l'au-delà, «en enfer». Bon voyage du fond du cœur ! A tous ceux qui ne se sont pas repentis? en n'oubliant pas que parmi les appelés (dont un fameux collectif de trente-cinq des cinquante-cinq prêtres rappelés) beaucoup furent ébranlés dans leur foi et leur amour du prochain, s'insurgèrent et osèrent dénoncer publiquement les exactions et les pratiques honteuses de l'armée française (comme Jean Muiller, un ancien de la Route des Scouts de France, comme les cent cinquante militaires qui assistèrent à la messe de Saint-Séverin le 29 septembre 1955?). Ils furent poursuivis par la justice, emprisonnés ou affectés dans des sections difficiles. Il fallait bien s'en débarrasser et rien de tel qu'une «embuscade»? avec des balles qui ne se perdent pas (Muiller fut «tué» peu de temps après (???)... dans un accrochage). Avis : un auteur engagé qui, déjà en 1960, avait publié un ouvrage Le Gâchis, un ouvrage rapidement interdit. Appelé du contingent en Algérie en 1957-1958, il y racontait «sa» guerre, sous le pseudonyme de Jacques Tissier. Une photo terrible: un gamin (arabe, bien sûr) de douze ans à qui l'on fait porter un poste radio de dix-huit kilos, qui «ouvre la route» et «nous protège de possibles mines». A l'arrière, on aperçoit les soldats. Phrases à méditer: «Il est plus facile de tuer arbitrairement, de torturer, que de faire un travail humain de respect de l'individu» (p. 220); «Le traumatisme psychique se vit en silence, quelquefois jusqu'à la mort, lorsque le poids du souvenir devient insupportable (p.15); «On ne guérit que lorsque les choses sont dites? Il faut une reconnaissance des actes commis et subis» (p.249); «Les peuples aiment mieux se souvenir des pages glorieuses de leur histoire que des pages honteuses» (p. 275 Tzvetan Todorov dixit) et «Le déni de la torture et des exactions pendant la guerre d'Algérie n'est-il pas un déni de l'oppression et de l'exploitation de la colonisation ?» (p. 310). |
|