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Jamais relations
interétatiques ne furent et ne demeurent aussi passionnelles et passionnées,
que celles qu'entretiennent l'Algérie et la France. Il y a une étape des deux grandes
histoires, des deux pays, en partage. Sauf que ce qui est mutuel dans ce cas
est émotionnellement, très fortement chargé. Et c'est douloureux.
A travers les annales, plusieurs nations partagent des tranches d'histoires communes. Les relations entre les Etats-Unis et la Grande Bretagne en sont des exemples illustratifs, comme l'est celui du Royaume-Uni, avec l'Australie ou avec la Nouvelle-Zélande. Entre les states et le royaume de sa majesté Elizabeth II, il y a des échanges culturels soutenus pour entretenir le souvenir. En plus de faire du commerce, les Beatles et les Rolling Stones, les Pink Floyd, The Whow, se produisent en amérique. Frank Sinatra, Liza Minnelli, Jimmy Hendrix, Aretha Franklin, Ray Charles et John Lee Hooker. Bob Dylan, Simon and Garfunkel, fait de même chez les anglais, chez les écossais, chez les gallois et chez les irlandais. Et tout ce beau monde s'affronte joyeusement depuis, en jouant au Rugby, contre les australiens et all black néo-zélandais. Et bien que le comparatif soit loin d'offrir les attributs d'une comparaison absolue, il peut servir de grille de lecture, combien même inachevée. Oui, entre les britanniques d'un coté, les étasuniens, les australiens et les néo-zélandais de l'autre, il s'agit de cousinage. Ce qui au final règle l'essentiel et explique presque tout, même quand ceux qui s'en allèrent coloniser l'Amérique à partir d'Europe, étaient des parias chez eux, principalement les protestants. Et que pour l'Australie et la Nouvelle-Zélande, il s'était à l'époque agi, particulièrement de condamnés pour des crimes de sang. Et autres racailles n'ayant plus droit d'asile sur l'île, selon les canons en usage, sur le territoire de la perfide Albion. Pour nous autres, et parce que la France nous devait de l'argent, elle nous avait agressé, elle nous avait fait violence en employant sa soldatesque, faite de canailles et de barbouzes, et nous avait colonisés. Oui nous avions fournis à la France du blé pour qu'elle nourrisse son peuple, après qu'elle eut compris la différence qu'il y avait entre une brioche et le pain. Et après qu'elle n'eut découvert les plaines de la Beauce et les techniques pour produire son blé. En guise de remboursement de notre dette certaine à leur encontre, les français nous gratifièrent d'une colonisation de peuplement. C'est-à-dire la forme la plus cruelle de la colonisation. Parce que la puissance occupante implante sa population civile, par la violence, les massacres de populations autochtones, la spoliation des biens et des richesses. Par la dislocation des structures sociales et la désagrégation des liens sociaux. Il s'était agi aussi de la destruction physique des identités culturelles, linguistique et tous les patrimoines matériels et immatériels. Passons sur toutes les brutalités que ne peut contenir cette chronique, mais avec le respect du à tous les algériens morts des suites de ces atrocités. J'évoquerais les enfumades de 1845 dans le Dahra, qu'organisa le général Pellissier, alors colonel, sur ordre du général Bugeaud, rééditant l'exploit de Cavaignac. Ainsi que le cas du maréchal de Saint Arnaud, qui s'étant pris avec 500 algériens, qui refusaient de se rendre, s'abritant dans une grotte près de Ténès, en mai 1845, avoue lui-même dans ses mémoires cette inhumaine prouesse. Il la relate de la de la façon suivante :'' je fais boucher hermétiquement toutes les issues et je fais un vaste cimetière. La terre couvrira à jamais les cadavres des fanatiques. Personnes que moi ne sais qu'il y a dessous 500 brigands qui n'égorgeront plus de français. Ma conscience ne me reproche rien. J'ai fait mon devoir''. Montagnac lui, excelle dans la perversité, et narre dans ses lettres d'un soldat cette folle fantaisie :''pour chasser les idées noires qui m'assiègent quelquefois, je fis couper des têtes. Non pas des têtes d'artichauts, mais des têtes d'hommes. Voila comment il faut faire la guerre aux arabes : tuer les hommes jusqu'à 15 ans, prendre toutes les femmes et les enfants, garder quelques femmes en otage, échanger les autres contre des chevaux, et le reste vendu à l'enchère comme des bêtes de somme''. Un siècle après, ces bestiales performances sont reproduites. Quand tous les peuples du monde fêtaient la victoire sur le nazisme, les algériens, en avaient été privés. Il y eut des massacres d'hommes, de femmes et d'enfants sortis paisiblement manifester, et détenant l'autorisation administrative officielle des autorités coloniales, pour ce faire. Après les massacres de civils désarmés, à Sétif, à Guelma et à Kherrata les habitants de cette petite ville avaient été interdits par les légionnaires français d'enterrer leurs morts des mois durant. Selon Henry Alleg :''Des dépouilles avaient été abandonnées dans le lit d'un oued des semaines, durant lesquelles leurs ossements avaient été blanchis par la pluie, les vents et les chacals''. Et dès le premier novembre 1954, jusqu'au 5 juillet 1962 la machine funeste et meurtrière, ne s'arrêtera jamais. Des milliers de jeunes filles et de jeunes garçons, le capital humain du pays, en fut pour l'éternité sacrifié. Victimes de tortures, de tueries massives et des pires violences. Et parce qu'il y a un temps à tout, quand il fut question de se rencontrer, feu Houari Boumediene, acteur central de l'étape avant indépendance, accepta de recevoir en visite officielle, le président français Valéry Giscard. Il le reçut avec les honneurs dus à son rang. Mais j'imagine l'état psychologique de Mohamed Boukharouba, entre adrénaline et résilience, l'effort sur soi pour triompher du traumatisme. La réflexion et le verbe étaient là. Mais réservé, mesuré et silencieux comme lui seul savait l'être. Houari écoutait son hôte. Et de but en blanc, Valéry, cavalièrement déclara :'' la France historique salue l'Algérie indépendante''. Lui qui avait baptisé son présidentiel de chien labrador, Jugurtha, c'est à dire averti de la grande histoire de l'Algérie, que voulait-il insinuer ? Mais Giscard est ainsi fait. Après cette historique visite, Paul Balta disait :'' Giscard n'aimait pas l'Algérie et cette visite a été plutôt une catastrophe. Le discours de Boumediene était extraordinaire, alors que celui de Giscard était nul. En privé, il traitait le président algérien de bougnoule... ''. Qu'à cela ne tienne, le président algérien, lui offrit en réponse et en cadeau de bienvenue, une selle en cuir rouge traité, magnifiquement ouvragée en fil d'or, et cheval barbe. Pour ainsi dire, un étalon racé indigène, puisque les barbes sont indigènes, c'est-à-dire autochtone du pays du maghreb. Le président François Mitterrand lui, viendra en visite officielle en Algérie, en novembre 1981. Le discours ambiant, se limitait à instaurer un climat nouveau. Mais au-delà de la symbolique, on en était resté aux vœux pieux se résumant à '' un symbole des relations nouvelles entre le Nord et le Sud ''. Mitterrand reviendra le 9 mars 1989, au plus fort de la crise algérienne des années 80. Cette visite n'eut aucune incidence sur l'évolution des relations entre les deux pays. Mais pour l'histoire, Mitterrand était venu auparavant, en tant que ministre de l'intérieur d'un gouvernement colonisateur, voulant étouffer la révolution du 1èr novembre 1954. Et s'était rappelé à nous, le 19 mars 1956, quand redevenu ministre de la justice, garde des sceaux, dans le cabinet ministériel de Guy Mollet, il se défaussera de ses pouvoirs et de ses prérogatives, au profit des militaires et de leur justice d'exception. Lesquels s'acharneront à l'appliquer impitoyablement aux algériens, selon leurs sanguinaires méthodes et sans aucun contrôle. Le président successeur de Mitterrand, qui fera une visite d'Etat en Algérie en 2001 et en 2003, Jacques Chirac, y était déjà venu en 1956, comme soldat pour faire la guerre contre les moudjahidines, combattants de la liberté. En 2003 déjà, il manifestait son appréhension quant à l'aboutissement du fameux traité d'amitié, algéro-française, il disait alors ceci :'' Le principal obstacle viendra de l'acte de repentance que le gouvernement algérien nous demande quelques mois plus tard de faire figurer dans le préambule -du traité d'amitié- acte par lequel la France exprimerait ses regrets pour les torts portés à l'Algérie durant la période coloniale''. Et de poursuivre :'' Il me paraît utile et même salutaire, comme je l'ai indiqué dans mon discours de l'Unesco à l'automne 2001, qu'un peuple s'impose à lui-même un effort de lucidité sur sa propre histoire. Mais ce qu'exigent de nous les autorités d'Alger n'est rien d'autre que la reconnaissance officielle d'une culpabilité''. Ce traité ne sera pas signé, mais les visites de Chirac en Algérie, furent réellement chaleureuses. Nicolas Sarkozy, viendra en qualité de ministre de l'intérieur, mais aussi en tant que président de la république. Et toujours les mêmes questionnements, sans même un début de réponses, sur le chapitre des relations entre les deux pays. Faudrait-il ou pas que la France fasse des excuses, sinon acte de repentance etc? . Dans la continuité de cet inventaire, j'ai noté cependant avec curiosité, que le président François Hollande sera en visite d'Etat en Algérie, le 19 et 20 décembre 2012, c'est à dire quasiment 5 ans, jour pour jour, après la visite qu'avait effectuée, les 3 et 4 décembre 2007 son prédécesseur, soit 7 mois après leur élection respective à la tête de l'Etat français. Lors de cette visite, effectuée ce mercredi 19, et aujourd'hui 20 décembre 2012, monsieur Hollande s'arrêtera pour un bain de foule à la place Audin, en plein centre d'Alger. Le choix du lieu n'est pas fortuit, et l'hommage rendu Maurice Audience intellectuel anticolonialiste, ce jeune professeur de mathématiques, militant pour l'indépendance de l'Algérie fut kidnappé, le 11 juin 1957, durant la bataille d'Alger, et torturé jusqu'à la mort par les exécuteurs du premier régiment de chasseurs parachutistes. Mais pour se débarrasser d'un scandale, les autorités françaises le portèrent disparu à partir du 21 juin 57. Et depuis ce temps là, le mystère demeure entier pour tous les défenseurs de la liberté et pour ses proches surtout. En 1989, l'historien Pierre Vidal-Naquet, faisait rééditer aux éditions de minuit, son livre : l'affaire Audin, déjà paru en 1958. Cet infatigable traqueur de tortionnaires, en revisitant l'affaire Audin, 30 ans après et en essayant une lecture, disons à froid, des relations entre la France et l'Algérie, semble rechercher, ce qui distingue l'histoire de la mémoire. Dans son rôle social l'histoire sert de repères, de modèles et de symbole. Et comme dit un adage bien de chez nous : ''si tu ne sais pas où tu vas, saches au moins d'où tu viens''. L'histoire c'est une construction humaine, et ses acteurs ne peuvent que subjectivement la restituer. Cependant élaborée par des historiens, à partir de sources, selon des méthodes et des démarches scientifiques, pour décrire, expliquer ou faire revivre des temps qui ne sont et qui ne peuvent plus être. Elle peut éclairer beaucoup de zones d'ombres que les non spécialistes auraient escamotées. L'histoire joue un rôle social de ressourcement, constructeur d'identités et d'attaches. C'est un protecteur collectif contre l'oubli, les incursions intéressées, et les autres éléments invasifs. C'est pour cette raison et pour d'autres également qu'elle ne peut être que l'œuvre d'historiens spécialistes, maîtrisant l'historiographie ainsi que les sciences auxiliaires qui aident à la construction du récit selon une méthode, qui éloignerait des approches officielles partiales, tendancieuse, voire personnelles et exclusives. L'histoire est là pour statuer sur l'action des hommes et des femmes, d'où son caractère sensible et vulnérable, quand elle est pratiquée par ceux qui ne possèdent pas la science, la méthode et les compétences pour ce faire. Pour donner un exemple franco algérien, consacrant cette acception de l'histoire, je citerais l'isolement, qui avait été imposé à l'Algérie de décembre 1990 jusqu'à septembre 2001. La France notre premier partenaire commercial depuis toujours, ne nous fit plus confiance, car les hommes et les femmes de mon pays n'avaient librement pas accepté, que d'autres illuminés leur imposèrent une forme d'Etat liberticide, en usant d'un processus prétendument démocratique. Ce confinement et cette quarantaine de pestiférés, nous avaient fortement coûté en vie humaine et en retard de développement. L'histoire jugera cette étape et statuera sur les actions de chacun des protagonistes. Les prémices sont néanmoins là, car depuis l'attaque des tours jumelles de New York, du 11 septembre 2001, tout le monde sait de quel coté sont la sincérité et la justesse des causes. Ceci ne nous donne aucun droit de faire la leçon aux autres, cependant ceci nous rassure. Surtout s'il peut servir de parangon, pour qu'il y ait moins de morts, sinon pas du tout, au nom de tous les extrémismes. Quant au mémoriel, par rapport à l'histoire, c'est cette capacité de l'humain, et l'aptitude du cerveau éponyme à conserver le souvenir d'un vécu, d'un narré, d'une image, d'une couleur ou bien d'une senteur. Sauf que ce souvenir ne peut demeurer à jamais intact. Cependant, cette vulnérabilité, au-delà d'être une carence, c'est aussi une prouesse humaine. Le souvenir comme l'oubli, sont pour l'homme salvateurs, voire parfois salutaires. Dans notre cas, le mémoriel est entendu comme l'entretien, paisible sans haine ni inimitié, du souvenir dans l'imaginaire collectif. C'est un travail d'auto construction commun, pour effacer les souffrances, les catastrophes, les cruautés et les malheurs subis, pour réparer un tant soit peu, les stigmates, les morsures, les griffures et toutes les lézardes sans toutefois les oublier. L'exemple également franco algérien le plus marquant, fut le geste accompli au mois de mai 2005, lorsque son excellence l'ambassadeur de France, avait fleuri la stèle commémorative érigée à Sétif à la mémoire des suppliciés des massacres du 8 mai 1945. Il s'était recueilli un court moment, mais un instant atemporel. On ne refait, ni on ne réécrit l'histoire selon ses propres caprices, néanmoins, pour entretenir la mémoire et le mémoriel, il faudrait que l'on se rencontre paisiblement, en bonne intelligence et que chacun reconnaisse et assume ses actes. On ne peut mettre sur le même rang, le bourreau et la victime, sur la même position l'agresseur l'agressé, et dans la même catégorie, le tortionnaire et le martyre. La reconnaissance viendra en principal de l'auteur des violences, et le pardon se fera à deux. Le premier le demandera, et la deuxième partie l'acceptera. Et là, la raison aura triomphé de la repentance, et la passion de toutes les formes d'excuse. Enfin, la vérité dans l'amitié ne peut se contenter de grandiloquentes déclarations, les actes destructeurs commandent également que des actes constructeurs se réalisent et se concrétisent. Les jeunes des deux pays peuvent commencer ce travail. Alors, aux adultes qui se rencontrent aujourd'hui à Alger et à Tlemcen de les y aider. |
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