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L'Egypte s'enfonce dans une crise, née de décisions incohérentes de M.
Mohamed Morsi. Des décisions qui confirment l'indigence de la pensée politique
des Frères musulmans.
Mohamed Morsi est un président à la légitimité incontestable. Il bénéficie de l'appui de la majorité des Egyptiens, qui en ont fait le premier président librement élu de leur histoire. Avec la moitié des députés qui lui sont favorables, et un autre quart, les salafistes, qui lui apportent un soutien critique, M. Morsi dispose d'une marge exceptionnelle pour mener à terme ses projets. Pourtant, l'homme accumule les erreurs. Il prend des initiatives incohérentes, des décisions à l'emporte-pièce, qui disqualifient son pouvoir, ainsi que le courant politique qu'il incarne. Sa gestion met à nu l'indigence de la pensée politique de l'organisation des Frères musulmans qui l'a porté au pouvoir, une organisation qui a longtemps vécu sous le mythe protecteur de l'Islam, avant que l'accès au pouvoir n'en révèle la vérité: c'est un courant ultra-conservateur, techniquement incompétent, politiquement hors-jeu, socialement primaire, soucieux de contrôler les mœurs et d'imposer des restrictions sur le plan sexuel, mais incapable de gérer une cité et relever les défis de la modernité. M. Morsi, qui a vécu aux Etats-Unis, dont il a fréquenté les universités avant de travailler dans une prestigieuse institution, était supposé au-dessus de ces contingences. Préféré au principal dirigeant des Frères musulmans comme candidat à la présidence, il était supposé apporter la caution et la méthode américaines. Il s'est révélé comme un simple Boudjerra Soltani, un homme que le savoir a frôlé sans le pénétrer. Les décisions de M. Morsi montrent qu'il a d'abord, pour consolider son pouvoir, commencé par limoger de hauts responsables militaires, déjà fragilisés par la période de troubles qu'a connue le pays. Comme ses amis de l'AKP turque, il a réussi à écarter des hommes qui risquaient de lui faire de l'ombre. Peut-être que son succès face aux militaires l'a quelque peu enivré. Après tout, dans un pays arabe, si on sort vainqueur d'un bras de fer avec la hiérarchie de l'armée, tout le reste apparaît facile. Mais M. Morsi s'est visiblement trompé. L'armée est le pion le plus fragile dans la situation de l'Egypte. Elle peut s'avérer moins puissante que les juges, auxquels le président égyptien a décidé de s'attaquer. Contrôlant l'exécutif et le législatif, dont il s'était accaparé le pouvoir, M. Morsi a voulu interdire à la justice de se prononcer sur ses propres décisions. Mais un pouvoir qui cumule ainsi l'exécutif et le législatif, et qui élimine le pouvoir judicaire, s'appelle une dictature. Ainsi, en une année, M. Morsi aura bouclé la boucle. Arrivé au pouvoir par les urnes, il met en place un système qui nie une règle de base de la démocratie, la séparation des pouvoirs. Dans son élan, il veut tout imposer, et tout de suite. Il annonce, fin novembre, la tenue d'un référendum sur la Constitution pour la mi-décembre. Là, il est dans l'absurde. Comment peut-on organiser un référendum en deux semaines? Comment, dans ces conditions, organiser le débat, la campagne électorale, donner les garanties de transparence et d'équité du vote? L'Algérie, qui n'est pas un modèle de démocratie, se donne un délai de soixante jours pour convoquer le corps électoral. C'est dire si M. Morsi a dérapé. Pour l'Egypte, la situation est encore plus complexe. C'est la première expérience de constitution adoptée après le printemps arabe. En raison de la sociologie de l'Egypte, cette Constitution doit tenir compte des nécessités d'ouverture et de respect des droits des minorités. Et, plus que tout, dans les conditions qui sont celles de l'Egypte, une Constitution ne doit pas seulement être adoptée à la majorité. Elle doit faire l'objet d'un consensus national. Et c'est au pouvoir d'obtenir ce consensus. Il doit mettre le temps qu'il faut et les moyens qu'il faut, mais le texte ne doit pas apparaître comme l'expression de la volonté des uns, même si c'est une majorité, imposée aux autres. Ceci révèle le principal handicap des «Frères», qui agissent comme les islamistes dans la plupart des pays où ils accèdent au pouvoir. Ils ne bâtissent pas des institutions sur la durée, mais tentent d'imposer des textes qui consacrent leur domination conjoncturelle. Ils veulent seulement consolider leur pouvoir, et mettre en place des règles qui les favorisent. Sur ce terrain, M. Morsi ne diffère en rien de M. Hosni Moubarak ou de M. Abdelaziz Bouteflika. C'est un vrai frère. Le comportement de M. Morsi montre, à contrario, les priorités pour un pays arabe soucieux d'avancer. Avant de consolider son propre pouvoir, un dirigeant, dans les conditions de l'Algérie, de l'Egypte ou de la Tunisie, doit d'abord se soucier de construire des contre-pouvoirs, de mettre en place des règles et des institutions qui fonctionnent. Les expériences récentes ont montré que les armées, le sentiment de puissance, le soutien des Occidentaux, les dollars, tout est éphémère quand manquent les valeurs, les règles qui codifient ces valeurs, et les institutions en mesure de faire respecter ces règles. |
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