Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
L'accord tant
attendu depuis quatre ans sur le Brexit vient d'être
signé. L'histoire est en général une leçon froide dont la temporalité, en
décennies ou en siècles, n'est pas celle de l'actualité. Nous venons pourtant
d'assister à une exception, soit une avant-première de ce qui risque d'arriver
bientôt à ce pays. L'histoire vient de donner une leçon instantanée en
avertissement sévère aux Britanniques.
La Grande-Bretagne était confrontée à un triple problème alors que le monde en subissait deux, déjà deux de trop. À la crise pandémique et au désastre économique qui en découle, elle en avait créé un autre de sa propre volonté, le Brexit. Les partisans du « remain » avaient pourtant averti du risque d'une telle décision mais les partisans du Brexit avaient gagné le referendum, la rupture fut donc actée démocratiquement. Restait la gigantesque difficulté des formalités et arrangements du divorce qui étaient repoussés de date en date avant d'être signés la veille de Noël, à une semaine de la date limite. La fermeture draconienne des frontières pour cause de rebond de la pandémie a fait connaître, comme une répétition grandeur nature, ce qui pourrait être la conséquence dévastatrice du Brexit pour la GB même si le choc est maintenant amorti par l'accord. Un réveil brutal En direct, un correspondant d'une télévision continentale rendait compte de l'inquiétude des Britanniques face à la fermeture du pays : « Ils ont déjà un sentiment d'isolement qui est assez fort, notamment pour les Londoniens qui ont l'habitude d'avoir des liens étroits avec l'Europe ». Un surprenant constat alors que les supporters du Brexit affirmaient depuis des années l'absolu contraire. L'Europe étant devenue à leurs yeux ce qui freinait le développement et la liberté des Britanniques en toutes choses. Une très ancienne position mais qui, cette fois-ci, avait trouvé lors du referendum une majorité pour l'exprimer. Et voilà que cette crise pandémique est la parfaite illustration de ce qui arriverait à ce grand pays qui renie son origine européenne. Le Brexit n'était même pas encore signé que le pays avait touché du doigt ce qui pourrait lui arriver et que les partisans du Brexit avaient écarté d'un revers de la main. Et tout d'un coup, comme un phénomène d'explosion qui apparaît en laboratoire, le pays commence à comprendre que la grande puissance dont ils ont la nostalgie et qu'ils veulent retrouver en quittant l'Europe ne peut même pas atteindre son autosuffisance alimentaire, surtout en produits frais. Les routes étaient si encombrées suite à l'impossibilité des camions de pouvoir livrer que le gouvernement avait prévu de gigantesques parkings, y compris dans des pistes d'aéroports désertés. Cette option était dans les plans les plus pessimistes de l'après-Brexit. La Grande-Bretagne les avait finalement mis en application avant même qu'il n'entre en vigueur. Les images vues dans le monde entier préfiguraient du chaos dans lequel se serait enfoncée la Grande-Bretagne avec une sortie sans accord. Mais la leçon reste encore d'actualité car l'accord ne résout pas tout, au contraire il est le révélateur des lourds questionnements à venir pour les Britanniques. Les « achats-panique» font rappeler les mouvements de crainte des périodes de guerre. Ils avaient oublié que leurs produits alimentaires (et pas que cela) étaient presque tous importés d'Europe. Ils étaient dépendants de leur nourriture, ce qui est le comble en considération des mensonges de la campagne des partisans du Brexit. Chose extraordinaire, ce pays ne parle en ce moment que de pénuries de salades, de brocolis et de primeurs dont la Grande-Bretagne est dépendante, surtout en période de fêtes de fin d'année pendant lesquelles les Britanniques raffolent des produits frais. Les rayons sont vides et le représentant du British Retail Consortium, un agglomérat d'entreprises du commerce, avoue la gravité de la pénurie en matière alimentaire. Les grandes enseignes avaient déjà alerté du risque de ruptures de stock en ce domaine vital pour la population. Les Britanniques ont ainsi perçu de leurs propres yeux ce que pourrait être leur avenir. Pour un pays qui pensait avoir son indépendance de choix et s'envoler vers le grand large comme du temps de sa grandeur coloniale à travers les océans, le réveil est lourd, la gueule de bois assommante. Les chiffres étaient pourtant évidents Dans l'euphorie du discours politique, le peuple britannique s'était détourné d'une vérité économique criante. Les échanges entre la Grande-Bretagne et l'UE ont été en moyenne de 330 milliards de sterling depuis 2010 pour atteindre 423 milliards en 2017. L'Union européenne est de très loin le premier partenaire économique de la Grande-Bretagne. Cette dernière comptabilise 40 % de son commerce extérieur avec l'UE alors que l'inverse n'est que de 8 %. De plus, l'appartenance à l'Union européenne réduisait les coûts commerciaux et permettait un accès compétitif à un très large marché pour les produits et services britanniques. On s'est même rendu compte que l'épineux dossier de la mer qui faisait trembler l'industrie de la pêche européenne, particulièrement française, qui bénéficiait des eaux territoriales britanniques beaucoup plus riches en poissons, pourrait être au détriment de la Grande-Bretagne avec le Brexit. Car, comme pour tous les autres produits alimentaires, les poissons pêchés en eaux britanniques étaient tributaires de l'industrie de transformation située essentiellement en territoire continental. Les Britanniques ne peuvent ni s'alimenter en agrumes ni même en poissons, secteur emblématique de la campagne du Brexit qui ne représente de toute façon que 1 % du PIB britannique. Pour une leçon qui remet le symbolique problème de la pêche à sa juste réalité, c'est une dure leçon. Mais d'où vient ce désastre ? L'immoralité politique est parfois sanctionnée Personne ne conteste aux peuples un droit fondamental et légitime de choisir leur destinée. La Grande -Bretagne est dans son droit à avoir proposé un referendum pour le Brexit. Mais la soudaine proposition de l'ancien Premier ministre est entachée de deux perversités majeures. La première est que sa position politique originelle n'était pas pour la sortie de l'Union européenne. Ni même d'ailleurs celle de Boris Johnson qui affirmait tout le contraire avant de rejoindre la réalité des mathématiques électorales. Le référendum avait donc été proposé pour une toute autre raison, celle de contrer le parti d'extrême droite ainsi que l'aile droite d'un parti conservateur qui était menacé d'une implosion. Tout cela sous fond d'un risque fort de perdre les alliés unionistes d'Irlande. Une majorité qui risquait ainsi de basculer entre les mains des extrêmes ou du parti travailliste. La grande idée du Brexit n'était en quelque sorte qu'un écran de fumée. Une manœuvre politicienne qui s'est enrobée d'un projet faussement patriotique et d'avenir radieux pour les Britanniques. Puis est venu se rajouter de grands mensonges lors de la campagne électorale, de ceux qui ont pour but de faire peur et de provoquer un vote de rejet de l'Europe. Le Brexit était donc bâti sur des fondements de pure hypocrisie et de calculs électoraux, le retour du boomerang est d'autant plus percutant. Ce vieux rêve chimérique du grand large Nous connaissons ce célèbre discours de Churchill avec son passage toujours rappelé « Entre le choix du grand large et le continent, les Britanniques choisiront toujours le grand large ». Nous savons que ce vieux rêve chimérique est celui de retrouver la grande puissance maritime et coloniale de la couronne britannique, notamment avec le rapprochement avec les États-Unis et l'extrême Orient. Ce que peu de personnes ont relevé pendant cette crise du Brexit en faisant référence à cette affirmation de Churchill, c'est qu'il avait été en d'autres temps le premier à proposer l'idée inverse d'une grande Europe des nations. La proposition politique d'une construction de l'Europe émane bien, avant même celle des fondateurs, d'une lettre rédigée par Churchill. Cela démontre, comme pour le Brexit, que l'ambiguïté a toujours été dans l'esprit des Britanniques. Mais, malgré tout cela, ils resteront à jamais des Européens quoi qu'ils en disent avec force, du moins par une partie de la population. Revenons ainsi à une vérité historique (tout en étant réelle pour la période actuelle) afin d'argumenter cette affirmation d'appartenance européenne profonde. Un ancrage historique profondément européen Je le développerai en trois points fondamentaux en plus de l'argument économique que nous avions abordé auparavant. 1. Le faux argument classique de l'insularité et du grand large C'est un argument que tous les lycéens écrivent sur leur copie car il est en partie indéniable. Souvenons-nous que l'empire britannique avait conquis un territoire où le soleil ne se couche jamais, expression reprise de celle qu'on attribuait à l'empire de Charles Quint au XVIè siècle. La marine britannique, symbole puissant d'un vaste territoire colonial, fut l'une des plus redoutables, ce qui expliquerait une attirance vers le grand large plutôt que vers le continent. Mais l'argument s'effondre aussitôt lorsqu'on oppose l'histoire des autres puissances, toutes aussi aventurières et conquérantes à travers les mers et les océans. La France fut elle aussi présente en Amérique du Nord et y a possédé des territoires très vastes, sans compter les colonies africaines et du Moyen-Orient. Sa langue fut celle de la diplomatie des grandes puissances et parlée dans toutes les cours royales y compris jusqu'à la cour britannique. L'Espagne eut aussi une puissante armada. Il suffit de constater le gigantesque empire qu'elle possédait. Qui peut ignorer qu'elle a été la première à découvrir un nouveau continent puisqu'elle finança l'expédition du génois Christophe Colomb ? Et que dire des Portugais qui ont écumé les océans et conquis de vastes territoires ou le périple de Marco Polo sur les terres lointaines d'Asie ? Ainsi, l'argument de l'insularité et du grand large, s'il fut certainement réel et important, n'explique pas tout de la nature réfractaire actuelle de la Grande Bretagne à l'égard de l'Europe. 2. L'histoire continentale anglo-normande Dire que la Grande-Bretagne n'a jamais tourné son regard vers l'Europe est une contrevérité absolue. Toute l'histoire des îles Britanniques, depuis l'unité à peu près intégrale de cette région, fut une réalité européenne. Il serait trop long de résumer entièrement cette histoire millénaire, choisissons quelques éléments clés. Il y eu les saxons, les romains et les celtes qui ne peuvent vraiment pas être considérés comme étrangers au continent européen. Le nom de Grande-Bretagne n'est pas non plus un pur hasard. Même si la grande épopée européenne, dans le sens d'une véritable intégration, commence en 1066 avec la conquête par le Duc de Normandie, Guillaume 1er, dénommé Guillaume le Conquérant. Dès lors, l'Angleterre fut sous souveraineté d'un grand fief continental. Si le duché de Normandie était bien plus puissant et plus riche que le patrimoine et les revenus du roi de France, cantonné sur un territoire pas plus grand que l'île de France, il en était le vassal. L'Angleterre appartenait désormais au royaume de France. Puis ce fut autour de la puissante dynastie des Plantagenêt, alliance des terres du Duc d'Anjou et celles d'Aliénor d'Aquitaine, qui régnèrent sur la moitié du territoire français, dans sa partie ouest, jusqu'au royaume d'Angleterre, et qui étaient également vassaux du roi de France. L'Angleterre et la France furent donc des territoires sous une même alliance de mariages , de liens de dépendances et d'échanges économiques. Ce n'est absolument pas paradoxal, au contraire, que des guerres interminables furent engagées par les uns contre les autres et inversement. Le royaume anglais posséda même à son tour la moitié du territoire français avant que le roi de France ne s'en accapare de nouveau. Puis furent les alliances avec l'ancien Saint empire germanique, devenu l'Allemagne pour sa plus grande partie territoriale, dont est issu d'ailleurs partiellement la famille royale actuelle. Ce n'est donc pas pour rien que la famille royale anglaise possède toujours une devise en français « Honi soit qui mal y pense » (Honni portant deux n dans la version française de son orthographe). Et que l'on dénomme la Grande-Bretagne «Les îles anglo-normandes». Si mille ans de cette histoire commune n'est pas un lien européen, peu d'autres choses le seraient. 3. L'Irlande et l'Écosse, deux ancrages européens solides Je ne voudrais pas insister sur les antécédents historiques de l'Écosse et de l'Irlande tant il seraient long de les rappeler. Mais il faut bien savoir que ces deux pays sont attachés solidement à l'Europe d'une manière très ancienne. De plus, bien que cela fut beaucoup plus certain pour les Irlandais, persiste encore la trace d'une humiliation sociale et politique qu'ils ont subi de la part de l'Angleterre. Le fossé est grand et n'est pas prêt de se refermer aussi rapidement. D'où la grande crainte des Anglais de voir resurgir la frontière entre les deux Irlande. Ce fut un point crucial qui a fait retarder l'accord de sortie de la Grande-Bretagne. L'Écosse eut une reine qui fut reine de France, Marie Stuart. Les écossais ont ainsi toujours été du côté de la France, y compris dans de nombreuses batailles. Et que dire du sentiment tenace des écossais qui n'ont jamais pardonné à Elizabeth 1ère (à ne pas confondre avec l'actuelle reine, Elizabeth 2) d'avoir condamné à mort leur reine bien-aimée, Marie. Le désir de l'Écosse pour son indépendance s'est manifesté récemment à deux reprises. Il vient, au lendemain de l'accord, de refaire surface. Le puissant parti pour l'indépendance annonce l'organisation d'un autre referendum. Mais on sait que cette tentative avait été refroidie par le passé car l'Écosse ne pourrait rester dans l'Union en cas de séparation, les traités lui exigeraient une demande d'adhésion pour y entrer de nouveau. La Grande Bretagne y opposerait un refus catégorique. C'était d'ailleurs le risque avec le referendum catalan car le gouvernement espagnol avait avec fermeté menacé d'un veto sans appel. Ou bien il aurait concédé l'adhésion du nouveau pays avec une contrepartie en humiliations par des traités beaucoup plus lourds que ceux que lui imposent le pacte fédéral actuel. En conclusion générale, tous ces arguments plaident pour un retour, un jour ou l'autre, de la Grande-Bretagne qui est profondément européenne. Le pays des Beatles, du flegme et de la grande littérature ne peut avoir un destin détaché de l'Europe. Ils reviendront, à condition, toute chose étant égale par ailleurs comme on disait sur nos copies universitaires, que l'Europe existera toujours en l'état. *Enseignant Note: la dernière partie de ce texte est tirée d'un article que j'avais rédigé et publié le 10 février 2020 « Good-bye Great Bretain ? ». Le point d'interrogation plane ainsi sur cette question depuis 75 ans. |
|