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Cette contribution a été
inspirée du nouveau contexte de remise en circulation du dossier de la Casbah
d'Alger, dans ses dimensions patrimoine culturel national et universel.
Profitant de cette opportunité, nous avons considéré utile d'aborder le sujet des
secteurs sauvegardés et des plans de sauvegarde et de mise en valeur, dans la
perspective d'un examen critique et d'un éventuel approfondissement, à la
lumière des outils d'analyse requis en matière de patrimoine culturel et
d'aménagement urbain, notamment.
Les mots et expressions, le plus souvent ancrés par l'usage, ont nécessairement un contenu et une histoire, surtout lorsqu'ils font incursion dans le champ juridique, pour servir le droit. Tel est le cas des expressions « secteur sauvegardé » et « plan de sauvegarde et de mise en valeur », consacrées juridiquement par la loi n° 98-04 portant protection du patrimoine culturel et ses décrets d'application. Ces deux expressions, il faut le souligner, ne procèdent pas d'une création ex nihilo, elles sont l'œuvre du ministre-écrivain André Malraux, alors ministre français des Affaires culturelles qui, en 1962 avait pris une loi (1) dite « loi Malrraux », dont l'article premier disposait : « Des secteurs sauvegardés dits « secteurs sauvegardés », lorsque ceux-ci présentent un caractère, esthétique de nature à justifier la conservation, la restauration et la mise en valeur de tout ou partie d'un ensemble d'immeubles, peuvent etre crées et délimités : 1° par arrêté conjoint du ministre des affaires culturelles et du ministre de la construction, sur avis favorable ou sur proposition de la ou des communes intéressées ; 2° par décret en Conseil d'Etat, en cas d'avis défavorable de la ou d'une des communes intéressées. Dans les secteurs sauvegardés, il est établi, par décret en Conseil d'Etat, un plan permanent de sauvegarde et de mise en valeur ». En 1998 (36 ans plus tard), la « loi Malraux » est reprise dans la loi algérienne de protection du patrimoine culturel sous le libellé: « sont érigés en secteur sauvegardés, les ensembles immobiliers urbains ou ruraux tels que les casbahs, ksour, villages et agglomérations traditionnels caractérisés par leur prédominance de zone d'habitat, et qui, par leur homogénéité et leur unité architecturale, artistique, présentent un intérêt historique, architectural, artistique ou traditionnel de nature à en justifier la protection, la restauration, la réhabilitation et la mise en valeur » (2). Tout en reproduisant les mécanismes du secteur sauvegardé, cette loi n'en donne aucune définition : « sont érigés en secteurs sauvegardés? », sous-entendant l'appropriation de la définition malrucienne. D'aucuns s'interrogent sur les raisons (historiques) qui ont présidé à l'introduction du « secteur sauvegardé » et du « plan de sauvegarde et de mise en valeur » dans le champ législatif patrimonial alors qu'ils relèvent normalement du code de l'urbanisme. Une situation davantage paradoxale, lorsque l'on sait que l'architecture est extraite du champ d'intervention du patrimoine culturel. L'architecture relève du secteur de l'habitat et du logement, ce qui est une incohérence en soi. Dans son esprit et son contenu, le « plan de sauvegarde et de mise en valeur » est un document d'urbanisme « spécifique », qui remplace le Plan d'occupation des sols (POS) sur les périmètres érigés en secteurs sauvegardés. L'unique différence entre les deux est que le premier relève des attributions de l'Etat et le second de la commune, lorsque celle-ci a attribution en matière d'urbanisme. Le « plan de sauvegarde et de mise en valeur » procède d'une approche urbanistique qui consiste à harmoniser la démarche de conservation d'un cadre bâti ancien avec l'évolution des fonctions urbaines contemporaines. Il consiste à édicter des règles et prescriptions particulières pour soumettre tout acte d'aménagement, de transformation ou de construction au respect des qualités historiques, morphologiques, architecturales du tissu urbain ancien. C'est par cet aspect, fondamentalement urbanistique, qu'il marque une distance avec les instruments de protection des monuments et sites historiques (classement, inscription). « On classe et on inscrit un monument (une entité figée) alors qu'on érige en secteur sauvegardé (un tissu vivant). La loi n° 98-04 de protection du patrimoine culturel n'a pas prévu d'attributions en matière d'urbanisme. A titre d'illustration, en France, le secteur sauvegardé ne relève pas du code du patrimoine culturel, il est inclus dans le code de l'urbanisme qui, dans son article L33-1 dispose : « Le secteur sauvegardé est une partie de la ville, souvent son centre ancien, qui présente un caractère historique, esthétique, ou de nature à justifier la conservation, la restauration et la mise en valeur de tout ou partie d'un ensemble d'immeubles bâtis ou non » (3). Cet article sera modifié en 2005 : « Des secteurs dits «secteurs sauvegardés peuvent être créés lorsqu'ils présentent un caractère historique, esthétique ou de nature à justifier la conservation, la restauration et la mise en valeur de tout ou partie d'un ensemble d'immeubles bâtis ou no » (4). Les difficultés rencontrées, jusque-là, en matière de gestion des « secteurs sauvegardés », à un premier niveau d'analyse, relèvent d'une contrainte structurelle, d'ordre règlementaire. Les textes d'applications de la loi n°98-04 ont donné prérogative au ministère et au ministre chargé de la Culture, d'agir dans le champ de l'urbanisme (sans les outils administratifs et techniques correspondants), alors que loi elle-même ne le prévoit pas. En revisitant les 05 articles (41-45) de la loi n°98-04, relatifs aux secteurs sauvegardés, nous réalisons, qu'à aucun moment il n'est accordé un rôle de dépositaire de la « protection » des secteurs sauvegardés, comme c'est le cas, pour les sites et monuments classés ou inscrits où le ministre chargé de la Culture a un pouvoir régalien d'autoriser et d'interdire. Pour mieux contenir le sujet dans ses aspects juridiques, il est utile de revenir à l'article 2 de la loi Malraux, sur les secteurs sauvegardés : « A compter de l'arrêté interministériel ou du décrets délimitant un secteur sauvegardé, tout travail ayant pour effet de modifier l'état des immeubles est soumis soit à autorisation dans les conditions et formes prévues pour le permis de construire, soit à autorisation spéciale pour les travaux qui ne ressortissent pas au permis de construire. Cette autorisation ne peut être délivrée que si les travaux sont compatibles avec le plan de sauvegarde et de mise en valeur. Pendant la période comprise entre la délimitation et l'approbation du plan de sauvegarde et de mise en valeur, les travaux de la nature de ceux qui sont indiqués ci-dessus peuvent être provisoirement interdits pendant une période qui ne peut accéder deux ans. L'autorisation énonce les prescriptions auxquelles le propriétaire doit se conformer». Ce libellé nous invite à saisir le sens et l'esprit de l'entreprise innovante du « secteur sauvegardé », où « sauvegarde » et « mise en valeur » sont entendues comme deux leviers d'une même « mécanique » d'intervention, dite d'« urbanisme qualitatif », qui consiste à assurer la préservation du cadre bâti et de l'architecture, tout en garantissant une évolution des centres historiques et quartiers anciens, par des opérations spécifiques de requalification, de rénovation, d'amélioration et de réfection des voiries, des façades, des toitures, des rues, et de création d'espaces verts et autres aires de stationnement. Des opérations qui soient en phase avec les attentes sociales en matière de modernisation, d'accès au confort et aux canons de la vie contemporaine. Cette « mécanique », telle que pensée par A. Malraux, se voulait être en vis-à-vis des approches « dogmatiques » des monuments et sites historiques, pour épargner aux tissus anciens la fossilisation et la fixation, au sens de la conservation muséale. C'est la significtion qu'il faut donner au plan de sauvegarde et de mise en valeur, celui d'un instrument d'urbanisme, un POS spécifique, destiné à encadrer des programmes de rénovation et d'aménagement spécifiques. D'aucuns avaient préconisé, s'agissant du secteur sauvegardé de la Casbah d'Alger, devant la difficulté opérationnelle, de recourir à la procédure de l'expropriation pour raison d'utilité publique, afin de pouvoir intervenir sur la propriété privée. Cette préconisation est en elle-même un aveu d'échec de l'esprit même du secteur sauvegardé, dans la mesure où elle ne fait que proposer l'extension de l'approche monuments historiques aux centres anciens, en intervenant sur un bâti en dehors de ses habitants. La solution est pourtant plus simple : il suffit tout juste d'abroger le décret créant le secteur sauvegardé pour revenir à une gestion normale du tissu urbain, les monuments classés ou inscrits, demeurant régis par la loi de protection du patrimoine culturel. Bien évidemment, politiquement et éthiquement, cette solution est inenvisageable, mais elle invite, cependant, à réfléchir sur les issues et les alternatives pour un redéploiement et un nouveau départ. Ceci nous commande, encore une fois, d'observer les aboutissements de la loi Malraux, sa mise en œuvre là où elle a réussi et là où elle a échoué, pour en tirer des leçons, profiter du recul et apporter les réponses requises. Nous savions déjà, qu'en 2016, la notion de secteur sauvegardé a été pratiquement invalidée en France et il lui a été substitué, par une loi du 7 juillet 2016, une notion tout à fait nouvelle, portant sur la protection du patrimoine urbain et paysager, les « sites patrimoniaux remarquables ». Les secteurs sauvegardés préexistants n'ayant pas été supprimés mais devenus automatiquement, après une phase de transition, des sites patrimoniaux remarquables « de plein droit » (art. 112). Les « sites patrimoniaux remarquables », relèvent désormais du code du patrimoine. Ils comprennent « les villes, villages ou quartiers dont la conservation, la restauration, la réhabilitation ou la mise en valeur présente, au point de vue historique, architectural, archéologique, artistique ou paysager, un intérêt public ». Les espaces ruraux et les paysages ayant une relation intelligible avec ces sites peuvent également être classés au même titre. Le classement des sites patrimoniaux remarquables est entrepris en partenariat entre l'État et les collectivités territoriales. Il est notifié par décision du ministre chargé de la culture sur proposition ou accord de la commune ou de l'intercommunalité, après avis de la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture. Nous ne sommes plus dans le paradigme des secteurs sauvegardés mais dans celui d'un enjeu patrimonial sur un territoire, qui introduit un nouvel outil technique, le plan de gestion, pour assurer la prise en charge du patrimoine dans les politiques urbaines (5). Ce changement de paradigme, correspond, politiquement, à la « mise à mort » de la politique publique culturelle d'A. Malraux. L'ordre est totalement inversé, de l'offre culturelle nous passons à la demande culturelle, ce qui est traduit par des actes de transfert de compétence en direction des collectivités locales et de participations accordées au monde associatif et au secteur privé. Le patrimoine culturel devient une opportunité économique pour les collectivités locales, qui y voient une issue pour des projets de développement au titre de l'attractivité territoriale et son corollaire le tourisme culturel. C'est dans ce contexte de renversement des paradigmes que l'Algérie avait introduit, dans la Constitution révisée de 2016, un article 38 bis qui énonce dans son premier alinéa que « le droit à la culture est garanti au citoyen ». Une disposition annonciatrice d'une nouvelle approche de la culture, formulée, non plus en termes d'offre culturelle, mais en « droit », impliquant une action positive des pouvoirs publics (Etat et collectivités territoriales) à l'endroit du citoyen algérien. L''article 15 de cette Constitution dispose « ?L'Etat encourage la démocratie participative au niveau des collectivités locales, précise et confirme ce besoin et cette nécessité de partage et d'élargissement des compétences aux collectivités locales, notamment à la commune, considérée comme « l'assise territoriale de la décentralisation et le lieu d'exercice de la citoyenneté », constituant « le cadre de participation du citoyen à la gestion des affaires publiques ». Il s'agit, dans ce cadre, de déterminer les conditions et modalités de mise en œuvre de cette participation citoyenne dans les politiques culturelles locales, en situant précisément la place des parties prenantes dans le processus de participation. Cette avancée constitutionnelle est confortée, dans sa mise en œuvre, par la loi portant schéma national d'aménagement du territoire (SNAT), qui réalise l'ancrage des politiques sectorielles au territoire. Une loi qui introduit un nouveau mode de gouvernance, nous déplaçant, progressivement, de l'orbite de la gestion administrative du territoire où l'Etat, omniprésent, était appelé à assurer la répartition des équipements et la distribution égalitaire du développement économique, à une gouvernance participative qui permet aux différences locales de s'exprimer, dans la perspective de l'intérêt national. C'est, désormais, dans une logique partenariale, entre les quatre grands acteurs de l'aménagement du territoire (l'Etat, les collectivités territoriales, le secteur privé et les citoyens), que se conçoit la nouvelle approche territoriale. Ce sont là les opportunités offertes pour réaliser les changements requis et les correctifs nécessaires en matière de patrimoine culturel, d'architecture et de développement urbain. La Recommandation de l'Unesco 2011 concernant le paysage urbain historique, est un document de grande portée, particulièrement intéressant et utile pour la réalisation des éventuels transformations, considérant, par ailleurs, que les sites de la Casbah d'Alger et de la vallée du M'zab sont inscrits sur la liste du patrimoine mondial, au titres de Valeurs universelles exceptionnelles (VUE) établies selon les protocoles scientifiques et techniques de l'Unesco. Dr* Envois (1) Loi n°62-903 du 4 aout 1962 complétant la législation sur la protection du patrimoine historique et esthétique de la France et tendant à faciliter la restauration immobilière (2) Article 43 de la loi n°98-04 portant protection du patrimoine culturel (3) Loi nº 76-1285 du 31 décembre 1976, Loi nº 83-8 du 7 janvier 1983 art, Loi nº 2000-1208 du 13 décembre 2000, Loi nº 2003-590 du 2 juillet 2003, Ordonnance nº 2005-864 du 28 juillet 2005. (4) Ordonnance n° 2005-864 du 28 juillet 2005 relative aux secteurs sauvegardés (5) Le plan de gestion se décliné sous deux formes : un plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) et un plan de valorisation de l'architecture et du patrimoine (PVAP). |
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