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Un détour par l'histoire de cette
région nous permet de comprendre son présent et de spéculer sur son devenir. Au
XIXe siècle le nationalisme arabe et l'islamisme, qui paraissent aujourd'hui
incompatibles, s'interpénètrent. Ils convergent en la personne d'un homme, le
chérif Hussein, intronisé gouverneur de La Mecque par les Ottomans. C'est un
descendant du Prophète par la lignée Hachémite et c'est lui qui entreprend,
sous l'impulsion des Français et des Britanniques, la révolte contre la
présence ottomane en échange de la création d'un royaume arabe indépendant.
Mais ni les Français ni les Britanniques n'ont tenu leurs promesses. Pour les
Arabes, c'est une grande désillusion façonnée par le mensonge et la trahison
qui a abouti in fine au partage du Moyen-Orient et à la création de l'Etat
d'Israël en 1948 sur le territoire palestinien. Cette trahison va-t-elle mettre
un coup d'arrêt à la Nahda ? Elle va d'abord
déboucher sur l'instauration des mandats en Syrie au Liban, en Palestine et en
Irak. Nous rappelons pour l'histoire, que des villes comme Damas, Alep et
Bagdad pour ne citer que celles-là, ont largement contribué
et pendant longtemps à la promotion de la civilisation universelle, alors
comment se fait-il qu'elles doivent réapprendre le sens de la civilisation par
ceux qu'elles ont abreuvés de leur savoir et de leurs arts ? Malgré toutes ces
péripéties, les peuples arabes, ont obtempéré aux règles du jeu démocratique
par l'organisation des élections et l'adoption de constitutions se réclamant de
l'autodétermination promue par les puissances européennes elles-mêmes. En guise
de réponse, ces peuples ont reçu leurs troupes pour les coloniser et les
asservir et, à ce moment précis de l'histoire, l'Europe a mis un frein à cet
élan de liberté, de justice et de démocratie qui animait l'espoir des élites
arabes de l'époque. Ainsi le chemin fut tout tracé pour que la famille des Al Saoud wahhabites, seule force réfractaire à la Nahda, accède aux portes de La Mecque. Les Européens
offrent donc à cette famille adepte d'un Islam rigoriste, une légitimité
qu'elle n'a pas, car on ne trouve aucune trace des Al Saoud
dans la geste du Prophète. Le pacte wahhabite conclu en 1744 entre le prêcheur
Mohamed Abdelwahab et les Al Saoud
transcrit on ne peut plus clairement l'alliance du sabre et du goupillon, une
alliance insolite dans le monde arabe, où jamais une tribu et un clerc ne
s'étaient unis pour créer un Etat. Ce «mariage mixte» a enfanté en 1932
l'Arabie Saoudite, le seul pays où les ressortissants sont désignés du nom de
la famille régnante. En dépit de ces revers, la Nahda
continue de se répandre par l'éducation, l'imprimerie et les échanges et la
diaspora arabe d'essaimer en Europe et en Amérique du Nord. Sur le plan
politique, certains partis d'entre-les-deux-guerres, notamment El Wafd en Egypte
et le Destour en Tunisie, continuent de propager les
idées de la Nahda prônant la liberté, la justice et
l'indépendance. Ces élites nationalistes ont été empêchées par les puissances
coloniales d'assumer complètement leur mission et de faire accéder leurs pays à
la souveraineté pleine et entière. Elles sont dénoncées en outre par les partis
nationalistes et radicaux d'entre-les-deux-guerres comme des vassaux à la solde
des puissances coloniales. Ces partis modernes autoritaires structurés sur le
modèle léniniste se nourrissent de la fin des mandats européens et de la «Nekba» (la catastrophe) c'est-à-dire la création de l'Etat
d'Israël et l'exode massif des Palestiniens en 1948. Aussi les indépendances
acquises de haute lutte par les peuples arabes furent-elles confisquées par des
régimes à parti unique, absolutiste et liberticide dont le souci primordial est
la sauvegarde du pouvoir. Il y va ainsi du parti Baath en Syrie et en Irak, du
Néo-Destour en Tunisie et du FLN en Algérie pour ne
citer que ceux-là.
Il n'en demeure pas moins que le mouvement de la Renaissance, s'il prônait les idées de liberté, d'égalité, de justice et d'indépendance, n'a pas pour autant atteint les objectifs politiques et sociaux qu'il s'est assignés. La raison réside dans les carences intrinsèques des hommes qui l'ont piloté et qui se manifestent à la fois dans leur mode de pensée et dans leur stratégie. C'est dire que les facteurs externes (l'entrave des puissances occidentales et des partis nationalistes radicaux) ne peuvent pas à eux seuls expliquer cet échec. D'une part, la reformulation de la théologie telle que souhaitée par les réformateurs, (particulièrement le plus pragmatique d'entre eux, Cheikh Abdou) n'a pas eu lieu, et d'autre part, c'est cette théologie qui deviendra contre toute espérance, l'effet bloquant, qui fera dévier le mouvement réformateur de ses principes fondamentaux. Ainsi donc, les efforts déployés par le mouvement réformiste n'auront fait que redorer le blason de la théologie qui n'a ni posé le problème de la fonction sociale de la religion, ni réussi à défaire les musulmans de leurs mystifications et de leurs superstitions. Dans le sillage des idées réformistes de la Nahda, la pensée arabe contemporaine n'a pu s'affranchir du primat du discours religieux traditionaliste. On est donc loin des idées des «Lumières» et a fortiori des principes démocratiques de l'Etat moderne, qui restera pour les pays arabes une muraille indestructible. Mais alors par quoi se distingue l'Etat moderne ? A vrai dire, l'Etat moderne se caractérise par la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire dont la liberté d'expression et de création en est le corollaire. «Il faut que le pouvoir arrête le pouvoir », a écrit Montesquieu. L'Etat dans une démocratie pluraliste résulte du choix de ses concitoyens à l'issue d'un scrutin libre et transparent qui confère aux institutions élues une légitimité populaire et une assise constitutionnelle. Certes, la démocratie est inséparable de la liberté d'expression et de création qui est elle-même garante de la liberté de la presse et de conscience, mais elle ne se décrète pas. Elle s'obtient par les luttes et les sacrifices consentis par les différentes couches de la société, parfois violents et parfois pacifiques. Pour nous rafraîchir un peu la mémoire, rappelons-nous que jusqu'aux années 70 il y avait encore des dictatures en Europe occidentale. La Grèce, l'Espagne et le Portugal étaient des Etats dictatoriaux dirigés par des juntes militaires mais qui ont basculé plus ou moins pacifiquement vers la démocratie et le pluralisme politique (la Révolution des ?illets au Portugal en 1974, la crise chypriote en Grèce qui fit précipiter la chute de la dictature des colonels en 1974 et la mort du général Franco en Espagne en 1975). Les Etats latino-américains étaient également des dictatures mais ils ont réussi leur mutation démocratique entre les années 80 et 90 et sans effusion de sang. Ce vent libéral a ensuite gagné les Etats du bloc de l'Est après la chute du mur de Berlin en 1989 et le démembrement de l'Union soviétique. L'instauration du système démocratique s'est déroulée avec moins de violence. Comment se fait-il que les changements démocratiques réussissent dans des Etats liberticides latino-américains et européens, et échouent dans les pays arabes dirigés dans leur totalité par des potentats pourtant sérieusement ébranlés par leurs peuples ? Pourquoi les pays arabes n'arrivent-ils pas à opérer leur mutation vers la démocratie et la liberté à l'instar des autres ? S'agit-il d'une fatalité ? Non, c'est trop abstrait. S'agit-il d'une question liée à l'histoire, à la culture et à la religion ? Oui, plutôt les trois à la fois. En tout état de cause, le Rubicon démocratique n'a pu être franchi par aucun pays arabe. L'Algérie entre le sabre et le goupillon En Algérie, l'ouverture démocratique n'a pas eu lieu malgré le semblant de réformes institutionnelles que le Pouvoir a bien voulu entreprendre vers le début des années 90. Elle a été confisquée par le système en place qui a réussi à opérer sa mue sans la société qui, elle, est restée statique et orpheline d'un véritable prince moderne pour la guider et l'initier aux réformes et à la pratique démocratiques. Pendant les évènements du 05 octobre 1988, les forces politiques en présence étaient faibles et gélatineuses s'apparentant plutôt à une nébuleuse à ce moment précis de l'histoire du pays et restaient par conséquent inaptes à combler le vide d'un Pouvoir rentier affaibli par la chute vertigineuse des prix du pétrole et la crise sociale vers le milieu des années 80. Elles n'ont pu assumer le rôle charnière qui leur était dévolu et peser de tout leur poids sur ce Pouvoir afin de changer dans le fond un système suranné, érodé par le temps et dépassé par les évènements. Mais, comme la nature a horreur du vide, c'est la mouvance islamiste qui a pris le relais en cette période de crise plurielle et est entrée dans une lutte violente contre le Pouvoir en place qui l'a pourtant légalisée mais n'a pas admis son écrasante victoire lors des élections législatives de 1991. L'Islam politique s'est révélé donc à la fois comme un cri de révolte et une quête de justice sociale. C'est dans les moments de grande crise que les extrémismes naissent, se nourrissent et grandissent. En effet, l'effondrement de l'économie qui entraîne la désagrégation systématique de l'édifice moral et intellectuel de la société, fait apparaître une mouvance avec des ambitions de pouvoir totalitaire, visant à embrigader idéologiquement tous les paliers de la société pour leur faire subir une répression multiforme. L'Allemagne nazie et l'Italie fasciste en sont des exemples encore vivants dans nos mémoires. Le FIS, ce Parti de masse qui gagne chaque jour en popularité a en effet proféré des déclarations pour le moins intempestives à l'intention de la société tout entière sur la liberté d'expression, le statut de la femme, la réforme de l'Ecole, la réforme du système fiscal et l'application de la Charia et son arsenal de peines (en affichant aussi un dédain pour la culture et la création artistique), qui ont fait peur à tout le monde. Aussi, l'annulation du processus électoral par l'armée était-elle une erreur à double sens. D'une part, elle porte un coup fatal au choix du peuple qui dans sa grande majorité ne voulait plus de l'omnipotence de l'Etat-FLN et de la démocratie, ce «produit» occidental importé qui, loin de ramener la stabilité sociale, entraîne des clivages et des conflits politiques et sociaux. D'autre part le Front islamique du salut se serait désagrégé à l'épreuve du pouvoir. N'ayant aucune expérience de la gestion des affaires de l'Etat, ses «fidèles» n'auraient pu être à la hauteur d'un redressement économique, social, institutionnel et moral qu'exigeait le pays pour sortir de cette crise multidimensionnelle qui le grevait profondément, car ils se sont unis autour de la question du pouvoir plutôt que celle d'un programme qu'ils étaient dans l'incapacité de concevoir. Cependant, le pouvoir en place ne pouvait aussi admettre qu'une force opposée, s'appuyant principalement sur les masses «converties», soit capable de rivaliser en tissant large dans les couches démunies de la population. C'est un épouvantail qui a fait trembler un système corrompu par le confort des recettes des hydrocarbures qui légitiment toujours son maintien. Le FLN et le FIS sont en fait les revers d'une même médaille et tous deux véhiculent un populisme aux couleurs d'un nationalisme exacerbé, fondé sur la foi inaltérable du peuple uni que rien ne doit diviser ; d'où leur faible engouement pour la démocratie, autrement dit pour la reconnaissance de classes sociales antagonistes et partant du multipartisme et de l'alternance au pouvoir. Ainsi, l'échec du FLN et la puissance du FIS attestent de l'incapacité de la société algérienne à concevoir un projet moderne en rapport avec son histoire, sa culture et sa religion. Ceci étant, quelques acquis notables ont été arrachés de haute lutte par des hommes et des femmes dont le courage et la détermination méritent tout notre respect. Il s'agit entre autres de la liberté de la presse écrite dont certains quotidiens sont devenus un modèle dans le paysage médiatique algérien. En guise de conclusion, nous dirons que la démocratie depuis son avènement au Ve siècle avant notre ère dans l'antiquité grecque, ne s'est pas pérennisée au gré du hasard mais plutôt grâce à l'esprit fécond des «Lumières» dont l'apport intellectuel et moral a été le creuset où des hommes animés d'esprit de justice et d'égalité, épris de savoir et nourris de vérité, venaient goûter aux délices de la liberté et aux caprices de la responsabilité. Si elle a voyagé à travers les siècles et bravé les dangers contre vents et marées, monts et vallées, c'est par défi à l'usure du temps et la résistance au poids des ans. Elle n'a pas vieilli, sa régénérescence continuelle témoigne de sa puissance éternelle, et ni la France ni l'Angleterre n'ont failli, pour donner à sa jeunesse, les préceptes de leur grande sagesse. D'Hérodote à Montesquieu et d'Aristote à Rousseau, elle s'est enrichie par le savoir afin de promouvoir par les hommes et par les règles le mode d'exercice du pouvoir. De Hobbes à Locke, de Marx à Tocqueville, la pensée de l'état de nature à l'état civil a bien avancé et par le contrat social tout a commencé. L'agrégat d'individus épars se tenant par la force comme le met en évidence notre pessimiste Hobbes, aliène sa liberté pour un semblant de tranquillité. Mais n'est-ce pas insuffisant, se dit Rousseau étincelant, que des hommes soient soumis à la volonté du Prince sans protection et en silence ? La liberté est ce droit naturel qu'il nous faut protéger, par l'entremise d'un Etat aux pouvoirs allégés, et le contrat social prendra tout son sens dans une société apaisée par sa clémence. Marx et ses classes antagoniques, Tocqueville et son mouvement démocratique, prévoient le changement social ; l'un par l'action révolutionnaire, l'autre par le rapprochement égalitaire. Aussi, semer le désordre ne sied-il pas au sieur Comte et son auguste société d'ordre. Mais Ibn Khaldoun et ses prolégomènes, au XIVe siècle nous ramènent pour faire l'apologie du père de la sociologie. Les phénomènes de civilisations y sont définis par une phase cyclique après avoir synthétisé les faits historiques dans cette grande œuvre encyclopédique : de l'expansion à l'apogée et de l'apogée à la décadence, c'est la dure loi de la déchéance. La démocratie et le monde arabe n'ont jamais fait bon ménage depuis leur plus jeune âge. Les peuples sont pris en otage par des satrapes sans scrupules, leur confisquant l'indépendance devant le monde incrédule. Et l'Algérie, après le drame colonial et le plan quadriennal, s'en trouva fort dépourvue quand la bise fut venue. Aucun projet sociétal ne pointe à l'horizon, pour un pays sans d'idéal, en proie à la déraison. Qu'a-t-on fait pendant l'embellie ? On volait, on dilapidait du zéro à l'infini, sans que personne ne soit puni. Eh bien, qu'on paye maintenant ! Et ce ne sera pas fini tant qu'on ne prend pas soin de ce beau pays. C'est par cette conclusion légère et rimée, qui résume l'essentiel de notre modeste contribution que nous terminons ce sujet dans lequel l'appréhension du phénomène démocratique alterne avec l'histoire des doctrines politiques. Evidemment on ne peut aborder en un seul thème toutes les philosophies y attenantes. Mais notre souci de synthèse a guidé notre démarche et influencé notre choix. Marx La démocratie, elle ne s'use que si l'on ne s'en sert pas. *juriste, Constantine |
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