Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
D'une famille originaire de
Belgique, Fernand Pouillon, architecte, est né le 14 mai 1912, dans la petite
ville de Cancon, dans le Lot-et-Garonne. Cancon fut sa ville natale parce que
son père, Alexis, gérant d'une entreprise des travaux publics, y avait remporté
un marché comportant des terrassements et un ouvrage d'art, et y avait donc
avec son associé, assigné temporairement résidence1.
En 1886, le père de Fernand, Alexis, qui décéda en 1948, commença des études de génie civil qu'il ne termina pas, selon Marc Bédarida, à l'Ecole des arts et manufactures, du génie civil et des mines du Louvain2. L'activité professionnelle d'Alexis a dû avoir son influence sur Fernand qui fit le choix tardif d'être architecte, après avoir été longtemps constructeur affirmé. Le secteur du bâtiment et ses risques n'étaient pas étrangers à Fernand Pouillon. D'ailleurs, il est possible de faire le lien entre la vie nomade que menait la famille Pouillon à cause de la profession d'Alexis avant qu'elle ne s'établisse définitivement à Marseille, à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les lectures que Fernand faisait comme les traités de l'architecture qu'il parcourut jeune3, et enfin la passion qu'il avait pour la construction 4. Autrement dit, connaître le milieu de l'éducation aide à saisir les choix établis. Fernand Pouillon avait deux frères: Jean mourut enfant (1903-1906) et Jules-Jean-Marie, dit Jo (1909-1979). Autour de 1926-1927, les deux frères, Fernand et Jules abandonnèrent leur scolarité pour des raisons familiales et personnelles5. Vers quatorze ans, Fernand se passionna pour la peinture, qu'il a pratiquée sur chevalet. Toutefois, très tôt, il se rendit compte que ce métier ne pouvait pas lui permettre de mener une vie convenable. Il décida de suivre les cours de l'Ecole des beaux-arts de Marseille; à l'époque, cette école était considérée comme la deuxième école régionale de France. A la suite de plusieurs tentatives infructueuses, il réussit à s'y inscrire en 1931, à l'âge de dix-neuf ans, où il a intégré l'atelier de Gaston Castel6, second prix de Rome en 19137, qui pratiquait, cependant, selon les propos de Fernand, une architecture infâme et catastrophique8. Fernand Pouillon, qui préférait la posture de l'autodidacte9, obtint son diplôme en 1941, à l'école de Lyon où il a soutenu avec un projet de monastère franciscain. Fernand Pouillon avait déjà à son effectif plusieurs projets réalisés dont le tout premier immeuble de sept étages qu'il a construit à Aix-en-Provence, en 1935. Fernand Pouillon, qui se fit remarquer par sa rapidité et sa maîtrise d'œuvre, enchaîna les grandes réalisations, aussi bien en France, que par la suite en Algérie, en Iran et en Côte-d'Ivoire. Il réalisa tout au long de sa carrière, parfois dans des conditions politiquement, économiquement et professionnellement houleuses, des programmes variés, comme des salles de cinéma, des stades, des immeubles, des cités d'habitation, des hôtels et des villages touristiques. Fernand Pouillon fut un sacré personnage, mais aussi un être exceptionnel fait de sentiments, et de prises de position contradictoires qu'il a pleinement assumés. On dit de lui, généralement, qu'il fut orgueilleux, vaniteux, hautain, dédaigneux en particulier vis-à-vis de ses confrères qu'il méprisait, et qu'il eut la folie des grandeurs pour le train de vie qu'il menait. En parallèle, il semblerait que Fernand Pouillon ne partageait pas ce portrait que les chroniqueurs, les journalistes et les architectes dressaient de lui. Il disait de lui-même qu'il ne possédait pas grand-chose, qu'il savait vivre avec peu mais surtout qu'il aimait son métier qu'il qualifiait de social, et qu'il aspirait à offrir le monumental aux petites gens. Fernand meurt le 24 juillet 1986, au château Belcastel, dans l'Aveyron, un château qu'il a restauré pendant sept ans10. Pour Danièle Voldman, «Il décida que c'était là qu'il serait enterré».11 Fernand Pouillon : «J'ai vécu d'espoir, je me suis trompé.»12 Les constructions de Fernand Pouillon ont de tout temps fomenté la polémique, politique et médiatique. A partir de ses vingt-deux ans, il sut se démarquer par ses constructions qui ne coûtent pas cher et qui sont exécutées rapidement; il réalisait un immeuble par an, quasiment. Ses constructions, rapides en réalisation et peu chères, lui ont de tout temps attiré des problèmes de la part de ses confrères, architectes, entrepreneurs, promoteurs, et maîtres d'ouvrage. A Marseille, talentueux aussi bien dans la négociation que dans la vie des chantiers, Fernand Pouillon, dans ce qui est connu aujourd'hui sous l'appellation, «l'affaire du port», était sur le point de perdre définitivement son agrément auprès de l'Ordre des architectes, qui le radie quelque temps en 1951 avant de le blanchir. Les membres de l'Ordre des architectes ne supportaient pas sa rapidité suggestive et sa performance opérationnelle. Au cours des années cinquante, en Algérie française, il défraya la chronique, lorsque des commandes importantes de logements lui furent destinées à l'initiative du maire d'Alger, Jacques Chevalier. Celui-ci, en l'accueillant à l'aéroport d'Alger, lui «asséna aussitôt une formidable tape dans le dos: - C'est vous Pouillon ? Jacques Chevalier. Vous n'êtes pas bien épais, dites ? J'ai promis pour la fin de l'année mille logements en chantier. Puis-je compter sur vous ?».13 Pouillon a accepté et réalisé trois cités qui marquent à ce jour le paysage algérois: Diar-es-Saada (1953), Diar-el-Mahçoul (1954), et cité d'habitations de Climat-de-France (1955). Il a écrit à propos de ses cités: «Mes réalisations déconcertèrent et rendirent enragés les architectes formalistes de la revue de M. André Bloch14, ce pisse-froid de l'architecture abstraite.»15 Fernand Pouillon savait faire vite et bien, en pierres, alors que ses contemporains construisaient en béton des cités laides. «C'était la première fois que, grâce à Chevalier, les Algériens allaient habiter une véritable ville.»16 Fernand Pouillon paya cependant cher sa différence avec l'affaire du Comptoir national du logement (CNL), qu'il créa en 1955. Cette affaire est le produit d'un mélange de trahisons de la part de ceux qui étaient supposés être ses amis, d'une vindicte que lui juraient les partisans de l'Algérie française, à leur tête Michel Debré, à l'époque Premier ministre, de la jalousie de ceux qui ne savaient pas construire monumentalement pour ceux qui n'avaient pas les moyens d'habiter dans des conditions décentes, et enfin d'une presse acharnée de ce fait qu'elle diffusait des informations aux sources inconnues. Fernand Pouillon, condamné à quatre ans de prison, écrit à ce sujet: «Qui a-t-on condamné le cinq mars 1961 ? Le seul architecte défenseur et champion des sans-logis, le seul promoteur capable d'adapter le coût du logement aux salaires du SMIG, des travailleurs, des petits cadres, le seul humaniste capable de faire vivre ensemble, dans une égale dignité, l'ouvrier et le patron, le petit et le haut fonctionnaire, le médecin et le manœuvre.»17 Dit autrement, les idées socialisantes et les défis héroïques de l'homme qui aimait construire sont pour beaucoup dans l'arrivée de cet architecte exceptionnel en Algérie. «Mon pays»18, comme il aimait le dire, faisant allusion à l'Algérie qui lui a donné l'occasion de la couvrir de son architecture, à l'invitation de Jacques Chevalier qui choisit la nationalité algérienne et qui présidait la chambre de commerce d'Alger après l'indépendance. Vers une reconnaissance internationale et difficile de l'œuvre de Fernand Pouillon Ce qui est impressionnant et disons même curieux, c'est que l'individu et ses réalisations ne se confondent pas nécessairement, comme c'est le cas de rares architectes qui font parler d'eux, tel que Le Corbusier. Le parcours de l'individu est singulier, et ses réalisations sont singulières. Nous pouvons d'ailleurs organiser des rencontres pour débattre principalement de la personnalité hors norme de Fernand Pouillon, sa conception de l'architecte qu'il était par engagement moral, et son haut niveau culturel, de l'homme combattu et cruellement jalousé, comme nous pouvons organiser des débats sur ses réalisations et leur force d'expression. La carrure de Fernand Pouillon illustre parfaitement nos propos. C'était un homme de grande taille, à la hauteur de son œuvre colossale, qu'il a voulue simple et banale, selon l'enseignement qu'il a retenu de son maître vénéré, Auguste Perret. Mais aussi d'auteur, et d'éditeur. A travers l'exploration affutée de son œuvre architecturale, nous pouvons même constater la proximité d'esprit dans lequel s'inscrivaient un certain nombre d'architectes de renom, comme Louis I. Kahn, Hassan Fathy, André Ravéreau, qui n'ont jamais cherché à plaire, et qui ont su faire dans la force du banal, c'est-à-dire, en ressortant au mieux possible l'expression constructive, structurelle et structurante de leur architecture. Nous comprenons donc l'abondance des rencontres et des expositions, autour de Fernand Pouillon, qui se sont succédé ces dernières années dans différents pays19, et qui ont abouti parfois sur des publications collectives très instructives, comme celle que Jean-Lucien Bonillo a dirigée, et qui porte le nom de notre grand architecte: Fernand Pouillon20. Pour l'anecdote, cette reconnaissance de l'architecte fut possible quasiment au forceps, car longtemps les revues spécialisées, à leur tête la célébrissime revue française: Architecture d'Aujourd'hui, connue sous l'appellation abréviée AA, et créée en 1930 par André Bloch, que nous pouvons mettre d'ailleurs dans la catégorie du «totalitarisme médiatique» de Jean-Jacques Deluz, a refusé de médiatiser l'œuvre de Fernand Pouillon, et l'a même combattue selon les propos de Jean-Jacques Deluz avec acharnement. «En 1950, en France, l'architecture moderne, c'est «L'architecture d'Aujourd'hui». Le groupe d'André Bloch prône avec un dogmatisme intransigeant les principes de la Charte d'Athènes, les thèses du Corbusier et du Bauhaus, ou leurs prolongements dans les affirmations agressives de la modernité. Toute recherche en dehors de ces limites est considérée comme rétrograde, comme méprisable. [?] Mais Pouillon est «hors catégories»: il n'a de respect que pour lui-même, et peut-être pour Perret et les ancêtres. A l'«Architecture d'Aujourd'hui», on le déteste.»21 *Architecte (USTOMB) et docteur en urbanisme (IUP) Notes : 1 Fernand Pouillon, Mémoires d'un architecte, Ed. Du Seuil, Paris, 1968. 2 Marc Bédarida, Fernand Pouillon, Ed. du patrimoine/Centre des monuments nationaux, Paris, 2012, p.31. 3 «Dès mon plus jeune âge, j'ai collectionné des livres d'architecture; je veux dire que je connais tous les traités d'architecture, que je les ai tous analysés, lus, et que j'en ai tiré des enseignements nombreux, [?]», in Affirmation de Fernand Pouillon, dans: Fernand Pouillon, mon ambition, textes choisis et présentés par Bernard Marrey, Ed. du Linteau, Paris, 2011, p. 64. 4 Fernand Pouillon, Mémoires d'un architecte, Ed. Du Seuil, Paris, 1968. 5 Affirmation de Fernand Pouillon, dans: Fernand Pouillon, mon ambition, textes choisis et présentés par Bernard Marrey, Ed. du Linteau, Paris, 2011, p. 10. 6 Gaston Castel est né le 1er Août 1886 à Pertuis dans le Vaucluse. Il est mort le 09 février 1971 à Marseille. Il est fils d'un entrepreneur de Maçonnerie. De 1918 à 1941, successivement, il a occupé le poste d'architecte départemental et architecte en chef des Bouches-du-Rhône. Il écrivit deux livres d'idées:Marseille et l'urbanisme (1932) et Marseille métropole (1934) Pour Gaston Castel, il est possible d'aller sur: http://www.massalire.fr/biographie/castel_gaston_bio.htm 7 Dans le livre de Danièle Voldman, Fernand Pouillon, architecte, Ed. Payot et Rivages, Paris, 2006, p. 35., nous pouvons lire ceci: « Quant à Fernand, il prépara son admission dans l'atelier de Gaston Castel. C'est là qu'il noua des liens durables avec ce prestigieux chef d'atelier [?]» 8 Voir: Marc Bédarida, Fernand Pouillon, Ed. du patrimoine/Centre des monuments nationaux, Paris, 2012, p.35. 9 Marc Bédarida, Fernand Pouillon, Ed. du patrimoine/Centre des monuments nationaux, Paris, 2012, p.34. 10http://www.imprimerie.lyon.fr/static/new_imprimerie/contenu/fichiers/telch/expositions_presse/pouillon/bedarida.pdf. 11 Danièle Voldman, Fernand Pouillon, architecte, Ed. Payot et Rivages, Paris, 2006, p. 295. 12 Fernand Pouillon, Mémoires d'un architecte, éd. Du Seuil, 1968, p. 480. 13 Fernand Pouillon, Mémoires d'un architecte, éd. Du Seuil, 1968, p. 165. 14 André Bloch est fondateur de la revue Architecture d'Aujourd'hui en 1930. 15 Fernand Pouillon, Mémoires d'un architecte, éd. Du Seuil, 1968, p. 205. 16 Fernand Pouillon, Mémoires d'un architecte, éd. Du Seuil, 1968, p. 205. 17 Fernand Pouillon, Mémoires d'un architecte, éd. Du Seuil, 1968, p. 414. 18 Danièle Voldman, Fernand Pouillon, architecte, éd. Payot, 2006. 19 A Alger, chaque année il y a une rencontre à deux autour de Fernand Pouillon, mais aussi dans les instituts culturels français comme celui d'Oran, où Myriam Maachi-Maiza et Gérard Huot ont animé une conférence qu'ils ont intitulée: L'œuvre algérienne de Fernand Pouillon, le jeudi 08 mai 2014. 20 Coll., sous la direction de Jean-Lucien Bonillo, Fernand Pouillon, architecte méditerranéen, éd. Imbernon, Marseille 2001. 21 Jean-Jacques Deluz, L'urbanisme et l'architecture d'Alger, - Aperçu critique, éd. Pierre Mardaga, Liège, 1988, p. 59. |
|