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Le mois dernier, la Chine a dévoilé son premier porte-avions, et continue de se préparer à défier les États-Unis dans la mer de Chine méridionale. De même, en lançant un programme destiné à internationaliser sa monnaie, la Chine cherche à contester la valeur du dollar sur la scène internationale. C’est délibérément que les responsables chinois tentent de forger un rôle mondial pour le renminbi. Pour reprendre les mots du vénérable proverbe chinois, ils «traversent la rivière en tâtant du pied chaque pierre.»
La première décision prises par les autorités a été d’autoriser les entreprises chinoises à utiliser le renminbi pour régler les transactions commerciales transfrontalières. Lorsque que les entreprises étrangères exportant vers la Chine se sont mises à accepter des paiements en renminbi, la devise s’est accumulée sur leurs comptes bancaires à Hong Kong. Cela a mené à l’étape suivante: les entreprises étrangères souhaitant investir en Chine ont été autorisées à exploiter ces dépôts grâce à l’émission d’obligations libellées en renminbi, et les institutions financières offshore éligibles ont été autorisées à investir leurs renminbis sur le marché obligataire interbancaire chinois. Ensuite, l’été dernier, la Chine a annoncé le projet de permettre aux banques de Hong Kong de prêter des renminbis aux entreprises à Shenzhen, ouvrant ainsi financièrement cette ville au reste du monde. On s’attend à ce que l’ouverture financière, si elle fonctionne à Shenzhen, soit généralisée par après. Enfin, étape importante vers la transformation du renminbi en une véritable monnaie de réserve, la Chine a signé des accords d’échanges monétaires avec les Philippines, la Corée du Sud, le Japon et l’Australie. Pendant ce temps, la Malaisie, le Nigeria et le Chili ont déjà accumulé des quantités modestes de réserves en renminbi. D’autres banques centrales devraient suivre. Mais est-ce que le plan de la Chine de faire du renminbi un rival international au dollar peut réussir? La réponse, à mon avis, dépend de la façon dont la Chine aborde quatre défis. Premièrement, la Chine devra créer des marchés financiers plus liquides. Ses marchés obligataires restent limités, et le volume des transactions faible, car la majorité des titres sont détenus jusqu’à l’échéance par des investisseurs nationaux. Il s’agit d’une question qui revêt une importance considérable pour les banques centrales, qui donnent beaucoup de valeur à la liquidité lorsqu’il s’agit de décider quelles monnaies détenir en réserve. Après tout, c’est la liquidité des obligations du Trésor américain qui en fait des actifs de réserve de premier plan pour le monde entier. Deuxièmement, le succès de la Chine dépendra en grande partie de la façon dont le pays gère la transition vers un compte de capital plus ouvert. L’histoire est jalonnée de crises financières qui se sont produites à la suite d’une libéralisation précipitée du compte de capital. Se retrouver en proie à une crise ne serait pas exactement apte à encourager l’utilisation internationale de la monnaie chinoise. Troisièmement, les perspectives du renminbi au niveau international et en tant que devise de réserve seront influencées par la façon dont la Chine gère le ralentissement de sa croissance. La clé sera de savoir si elle parvient à opérer une décélération en douceur, auquel cas l’internationalisation du renminbi continuera, ou au contraire si elle connaitra un atterrissage brutal, auquel cas l’agitation sociale s’intensifiera et tous les paris sont ouverts quant à l’évolution du pays. Le dernier défi peut être formulé sous la forme d’une question qui est rarement posée : le système politique de la Chine est-il un obstacle à l’internationalisation du renminbi ? La livre sterling et le dollar, les monnaies de réserve principales aux XIXe et XXe siècles, respectivement, étaient émises par des démocraties. La Grande-Bretagne et les Etats-Unis jouissaient d’élections contestées et de systèmes politiques limitant l’exercice arbitraire du pouvoir exécutif – institutions qui sont absentes du système politique chinois. La démocratie peut influencer le statut de monnaie internationale, entre autre parce que les gouvernements démocratiquement élus sont mieux à même de prendre des engagements crédibles nécessaires au développement de marchés financiers profonds et liquides. Ils sont capables de s’engager à ne pas exproprier les créanciers, puisque ces derniers les évinceraient du pouvoir lors des élections dans le cas contraire. Et le même respect des droits des créanciers qui rassure les investisseurs nationaux rassure également les investisseurs étrangers – qu’ils soient publics ou privés. La Chine parviendra-t-elle à établir des limites au pouvoir exécutif arbitraire et à suffisamment renforcer les droits des créanciers sans entreprendre une transition démocratique à part entière ? Jusqu’à présent, les contraintes sur la prise de décision par le secrétaire général du Parti communiste chinois, le responsable le plus haut gradé du pays, ont été – comment le dire poliment ? – limitées. Mais cela commence à changer. Le secrétaire général est de plus en plus contraint par d’autres institutions du PCC. Les délibérations de l’Assemblée populaire nationale, par exemple, sont de moins en moins cérémonielles et de plus en plus substantielles. D’autres part, les autres décideurs bureaucratiques sont de plus en plus contraints par des exigences de transparence et de divulgation. Des mouvements basés sur Internet forcent les responsables chinois à renforcer les normes de travail et environnementales. Pourquoi pas les droits des créanciers? Depuis le début du XIXe siècle, les principales monnaies internationales ont été celles des pays jouissant de systèmes politiques démocratiques, là où existent des contraintes à l’action publique arbitraire et les créanciers sont bien représentés. Cela ne veut pas forcément dire que la Chine ait besoin d’un printemps démocratique avant que le renminbi ne devienne une monnaie internationale et de réserve de première importance. Mais cela veut dire qu’elle devra renforcer les pouvoirs de l’Assemblée populaire nationale et créer une bureaucratie fondée sur des règles plus transparentes si elle veut atteindre ses objectifs financiers. Traduit de l’anglais par Timothée Demont * Professeur d’Economie et de Sciences Politiques à l’Université de Californie, Berkeley. |
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