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Durant les années 70,
l'Algérie croulait sous le poids des sigles avec une domination sans conteste
des SN (Sociétés nationales), des UN (Unions nationales) et des UG (Unions
générales), la politique socialiste ne permettant alors aucune incursion
importante dans le domaine de l'entreprise individuelle ou même de celui des
associations (toutes deux extrêmement rares). Seuls l'Administration (dont
l'Armée), le Parti du FLN (unique dans le domaine de la politique) et leurs
démembrements avaient droit à l'existence.
La traduction en langue arabe paraissant trop longue, pour ne pas dire compliquée, la dénomination en langue étrangère (en l'occurrence, à l'époque, le français) étant, elle aussi, longue et/ou incompréhensible pour beaucoup, on s'est donc rabattu sur le langage des sigles, rassemblement ordonné des premières lettres de chaque mot composant l'appellation déposée. Avec, bien souvent, des recherches et des trouvailles graphiques géniales ou étranges, les plus fortunées des entreprises faisant appel à des «conseils», la plupart du temps sinon toujours non-algériens, qui ont «fabriqué» et «habillé» le sigle en inventant le logo (le transformant en signe ?) et sa garde-robe, sorte de manuel de procédures à utiliser sans dévier... dans les placards publicitaires, les en-têtes de courrier, les enseignes, etc. La plus fameuse initiative, au demeurant très heureuse, est celle de Sonatrach qui avait fait appel à... Maurice Sinet, dit Siné ***, le fameux caricaturiste français. Grand ami de l'Algérie et de dirigeants algériens de l'époque, il fut aussi journaliste à «Révolution africaine» dans les années 60 («Pendant 13 ans, de 1965 à 1978, j'ai complètement conçu, aidé par mon ami Michel Waxmann pendant les premières années, l'image de la société algérienne (Sonatrach), son logo, sa couleur, le design des stations-service et de ses volucompteurs, jusqu'à celui des raffineries en passant par tous les conditionnements, la flotte et même les costumes des pompistes !» dit-il). Sonacome s'était, pour sa part, adressée à son intermédiaire habituel, la firme allemande Diag... Toute la société, du simple citoyen au grand décideur, ne communiquait alors plus que par sigle interposé. Ceci s'était tellement développé que les visiteurs étrangers arrivaient difficilement à s'y faire... Et, on a même entendu un nouvel étudiant africain, fraîchement débarqué à Alger, demander à un buraliste du côté du boulevard Amirouche (alors siège de l'Union nationale des étudiants algériens et du restaurant universitaire le plus important), de lui donner un «paquet d'Ugta» ! La manie s'étant étendue aux produits de consommation courante (la Snta, à l'époque, venait de créer la cigarette Afras, contraction d' «Afro-asiatique»), la confusion n'avait pas tardé à s'instaurer. Certains sigles restent encore bien ancrés dans les mémoires des 60-80 ans, charriant avec eux tout un grand pan de l'histoire économique, politique et socioculturelle du pays. Même disparus dans la tourmente des réformes (certains ont échappé à partir au siglocide... comme Air Algérie, Sncf, Sonarem, Sonatrach, Ugta...) du milieu des années 80, ils restent présents et sont souvent évoqués avec une certaine nostalgie : Rsta, Jfln, Atu, Ate, Gse, Sns (qui est de retour depuis peu), Pri, Prc, Sonacome, Mara, Mic, Rta, Rsta, Sogedia, Unea, Sncg, Sonacob, Sned, Sonitex, Sneri, Oncic, Anaf,... Par la suite, les plus entreprenants d'entre les nouveaux collectifs, en économie, en sports ou ailleurs, ont réussi à conserver ou à récupérer l'ancien sigle qui, affublé de significations algéro- arabisées, surtout en sports, redonne l'espoir d'une composition du futur sans couper véritablement avec un passé peut-être trop mythifié. On peut même dire que ce fut là une «langue» qui a contribué à forger une certaine solidarité, tous les citoyens, arabophones, francophones ou analphabètes bilingues, sympathisants ou opposants au système, se retrouvant sur une même longueur d'onde langagière. A partir de la fin des années 80, donc, les réformes aidant, avec une très large restructuration des entreprises, les grands sigles sont cassés en deux, en trois ou en plusieurs morceaux avec des tentatives désespérées, et parfois vaines, de conserver un tout petit peu ce qui fut le flambeau de l'entreprise ou de l'association-mère. On traverse alors une période de créativité délirante, l'anarchie et le bricolage faisant la part belle au sigle fabriqué en «francarabe», créé dans l'arrière-salle du café du coin, dans un salon enfumé ou au domicile avec l'aide de Madame et des enfants, chacun y allant de son délire. Des centaines de sigles, accompagnant des centaines d'entreprises nationales, régionales et locales, virent le jour, parfois n'ayant aucune prise avec le réel ou même frisant le ridicule. Tout cela ne durera que le temps de la grande éruption «réformatrice». A partir des années 90, avec l'éruption «démocratique», vint le temps du réveil et de la décantation. Le sigle perd de sa superbe et se trouve assez vite submergé par une vie active économique, sociale et politique très ouverte, presque sauvage soumise au règne des produits, des résultats et à la concurrence (étrangère). Les rédacteurs de textes se trouvent donc submergés et «inventent» parfois n'importe quoi. Ainsi, en octobre 2003, on a créé un Centre opérationnel national d'aide à la décision siglé... «CONAD» !... Un N de trop, certainement pour éviter la dérive langagière de «COAD». Mais, de Charybde en Scylla ! Le sens populaire de «CONAD» relevé, le sigle fut assez vite «rectifié», dans le JO de fin novembre de la même année, en «CNAD». Ce dernier fut purement et simplement supprimé début 2013. Autre exemple, fin 2012-début 2013, la ZALE (Zone arabe de libre-échange) qui a une connotation populaire vulgaire en certaines parties du pays a été transformée (au niveau du discours public et médiatique du ministère du Commerce dirigé depuis septembre 2012, dans le nouveau gouvernement de A. Sellal, par un arabo-islamiste, Mustapha Benbada, nouveau ministre du Commerce) en GZALE (Grande Zone arabe de libre-échange). L'essentiel n'était plus à la forme et au paraître. Même l'Histoire n'arrivait plus à imposer son mot. Ainsi, le sigle le plus fameux du 20ème siècle (dixit Jean Lacouture, un grand journaliste français des années 60-70), FLN, se retrouvait bousculé et contesté, ramené bien souvent, du fait des dérives, des volontés récupératrices et des ambitions politiciennes, au rang de formation politique banale au milieu d'une plusieurs dizaines de partis politiques. Aujourd'hui, le sigle -ou la marque- (avec sa plus belle réussite quand il devient un nom commun s'inscrivant sans capitales initiales) continue à fleurir mais, s'il est encore dominant, il n'est plus dominateur. Beaucoup plus informatif et moins racoleur, il épouse de très près l'activité couverte et il a acquis une signification véritablement utilitaire. Il n'existe que par nécessité, pour gagner du temps, pour se faire comprendre assez vite par le maximum de gens. Hélas, l'absence du réflexe de s'adresser à des «conseils» spécialisés, la rareté de ceux-ci, ainsi qu'un certain mépris des gestionnaires pour la «Com'» rentable font que le sigle reste à parfaire dans sa présentation et dans son utilisation, afin qu'il soit immédiatement accepté et compris par tous, d'ici ou d'ailleurs, et qu'il ait une durabilité certaine. Parmi les plus gros utilisateurs (ou «faiseurs») de ce langage, il y a, évidemment, la presse écrite qui déverse sur le marché, journellement, des centaines de milliers de pages destinées à au moins 10 millions de lecteurs (durant les années 80 à la fin des années 90). Coincée entre un espace rédactionnel réduit et le flot de nouvelles, soumise aux règles du temps et à la rareté de personnels qualifiés, la presse écrite - quotidienne tout particulièrement avec ses 80 titres tirant plus de 4 millions d'ex par jour (en 2010) - transmet les informations, parfois sans trop de larges explications. Ici, les règles rédactionnelles élémentaires, concernant les appellations, sont souvent irrespectées et le lecteur se retrouve inondé d'abréviations, de sigles et d'acronymes incompréhensibles tant en langues nationales qu'en langue étrangère. Et, l'introduction récente tous azimuts de l'anglais, actuellement, n'est pas faite pour faciliter les choses, obscurcissant même une partie du paysage de la communication. Notes : (*) On distingue les acronymes, qui se prononcent comme des mots ordinaires et s'écrivent en majuscules et sans points (UNESCO, ENA, UA), des sigles, dont chaque lettre est épelée et dans lesquels on devrait placer des points après chaque lettre (S.A.R.L., E.T.U.S.A., O.G.M., P.-D.G.). Dans notre ouvrage, les points sont omis volontairement pour faciliter la lecture et l'écriture. Le genre d'un sigle ou d'un acronyme est déterminé par le genre du noyau du groupe nominal que le sigle ou l'acronyme formait avant la réduction. Ainsi, on parle de la S.N.T.F. (Société nationale des transports ferroviaires) puisque société, noyau du groupe nominal, est un nom féminin, et on parle d'un C.M. (Conseil des ministres) puisque Conseil est un nom masculin. Par ailleurs, sigles et acronymes ne prennent pas d'accent et sont invariables. La liaison devant les sigles se fait selon l'usage ordinaire. Notez qu'un acronyme lexicalisé (delco, sida) se comporte comme un nom commun : il perd ses majuscules et s'accorde en nombre. (**) Article repris (et légèrement corrigé) de la présentation du «Dico-sigles», édité par les Editions Takidj.com, Alger 2012 (254 pages) et dont je suis l'auteur (ancien professeur associé aux Universités et journaliste indépendant) (***) Voir fiche documentaire complète in www.almanach-dz.com/communication/personnalités |
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