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Une sur-politisation du secteur, des décisions qui ont cassé
l'acte agricole et autres tentatives d'enfoncer le secteur dans ses dérives ou
alors de prévoir vendre des terres à? d'anciens colons. L'ancien ministre de
l'Agriculture et du Développement rural ne contredit pas ces réalités. Mais il
reste convaincu que les jalons pour une agriculture performante ont été mis en
place dès 2000. Dr Rachid Benaissa défriche dans
cette interview le secteur dans toutes ses traverses.
Le Quotidien d'Oran : la dernière réunion gouvernement-walis a mis en exergue l'impératif besoin de la décentralisation et de la démocratie participative ; besoin qui, selon des experts, s'accommode largement de l'esprit du renouveau agricole et rural, une politique que vous avez commencé à mettre en œuvre quand vous étiez ministre de l'Agriculture et du Développement rural. Pourriez-vous nous situer les points de jonction entre les deux visions, la vôtre et celle du ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales ? Rachid Benaissa : à la lecture des différentes recommandations des ateliers de cette réunion, j'ai retrouvé certains principes de base qu'on avait essayé de construire et d'implémenter dans le contexte de la mise en œuvre de la politique du renouveau agricole et rural. Je pense à la politique participative, la démocratie locale, la construction de projets de bas en haut impliquant les populations et, bien sûr, la construction de la déconcentration et de la décentralisation par la recherche permanente d'une cohérence et d'un équilibre entre la vision et les décisions centrales et wilayales, et les aspirations locales et sub-locales. Dans le renouveau agricole et rural, il faut se rappeler que dès l'année 2000, le président de la République avait annoncé que le développement de l'agriculture et du monde rural sont intimement liés et les projets de développement y afférents devaient être construits sur les trois principes de base, à savoir la rentabilité économique, l'acceptabilité sociale et la durabilité écologique. Dès lors, nous nous sommes attelés à construire sur ces trois fondements une politique cohérente en réponse à la situation difficile que vivait le monde rural à la sortie de la décennie difficile des années 90 et nous avons développé des outils qui permettent d'apporter une réponse adaptée aux multiples situations et au développement durable. Ces mêmes principes, je les ai retrouvés dans les comptes rendus de la réunion gouvernement-walis d'il y a quelques jours. La déconcentration et la décentralisation recherchées doivent être édifiées. C'est une construction, c'est un objectif qui ne peut se concrétiser et évoluer que s'il est partagé avec l'ensemble des acteurs. Q.O. : les aménagistes estiment que le gouvernement applique une politique de déconcentration par les effets des découpages territoriaux mais n'a pas encore réussi la décentralisation. La politique du renouveau agricole rural se décline-t-elle de la même façon ? R.B. : on déconcentre un pouvoir de décision, mais quand on décentralise, on construit un pouvoir à partir de la base et avec les acteurs qui sont sur le terrain. Dans l'histoire des politiques de développement, les aménagistes ont toujours essayé de trouver un équilibre entre ces deux notions, entre ce que les dirigeants du pays pensent utile et stratégique pour la sécurité et la prospérité de la nation et les intérêts ou les besoins plus ponctuels exprimés par des communautés ou des individus à la base. Trouver cet équilibre est justement l'art de la gouvernance des territoires. C'est ce que nous avons essayé de mettre en œuvre dans le renouveau agricole et rural. Une décision de décentralisation n'est pas une décision sans effets, ses impacts diffèrent de territoire en territoire, certains sont dynamiques parce que les populations sont informées et structurées, donc capables d'imprimer une dynamique. D'autres ne le sont pas et font face à des handicaps multiples, géographiques, historiques et autres?et restent à la traîne même si les décisions les concernant sont de même nature. Ce qui pourrait paradoxalement créer des inégalités et des déséquilibres au nom de la recherche de l'égalité et des équilibres. Une connaissance précise des territoires est donc nécessaire au préalable, appuyée et soutenue par un effort d'écoute par les élus et les responsables administratifs. C'est l'objet du SNADDR (Système national d'aide à la décision pour le développement rural) qui doit permettre à toutes les autorités à tous les niveaux de la hiérarchie (APC, daïra, wilaya, ministère?) de disposer de cet outil très utile pour l'exercice de leurs prérogatives. Q.O. : pourtant, le ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales affirme qu'il n'y a pas de communes pauvres, donc où se situe la différence ? R.B. : nous, nous disions cela autrement. Il n'y a pas de territoires sans avenir, il n'y a que des territoires sans projets. Ce qui signifie que chaque territoire a des potentialités, des capacités et des atouts de différentes natures, agricole, industrielle, minière, touristique, culturelle? C'est ce qu'il faut mettre en évidence. Il faut aller construire des projets de bas en haut et, pour qu'ils soient durables, il faut les construire avec les personnes qui sont sur place, les intégrer et prendre son temps pour que les idées et leur transformation en projets de développement évoluent dans un ensemble cohérent. C'est l'intérêt de la démarche qui, même à travers des petites réalisations, une fois engagée, crée de l'engouement et fait que les populations s'y intéressent, se stabilisent et cherchent à se développer. Cette démarche participative est une recherche permanente pour valoriser les atouts de chaque territoire et aussi pour lutter contre les disparités qui peuvent exister et que l'histoire a créée. C'est la réconciliation des populations avec leurs territoires, leur histoire et leur avenir. C'est aussi le lieu d'expression de la coordination à la base entre les dispositifs développés par les différents secteurs. C'est là tout le sens qu'on a donné aux PPDRI (projets de proximité de développement rural intégré.) Q.O. : est-ce que le renouveau agricole et rural a été décidé par le ministère de l'Agriculture ou alors ce sont les populations qui ont initié et présenté des projets ? R.B. : les deux à la fois confortés et soutenus par une vision développée par Monsieur le Président de la République lui même. Pour initier et réaliser des projets, il fallait mettre en place les mécanismes qui permettent d'allier l'expression des besoins et des intérêts des populations rurales et les objectifs de sécurisation des territoires et de progrès définis grâce aux connaissances que capitalisent les autorités à différents niveaux. La construction des conditions de renouveau a été initiée dès les années 2000 sur orientation du président de la République dans la continuité des actions de résistance et d'urgence menées dans les années 90 durant lesquelles nous avions vécu des situations très difficiles. Un exode rural de grande ampleur a eu lieu en raison de la détérioration de la situation sécuritaire. Il fallait alors en atténuer quelque peu les effets et préparer les territoires à un développement plus durable. Il y avait également un autre aspect lié à des considérations historiques qui consistait en une perception réductrice du rural. Le rural était synonyme de misère, d'arriération, d'insécurité?Il était subsidiaire à quelque chose. Il n'était pas perçu comme centre d'intérêt et d'avenir, en tant que potentialités à découvrir et à valoriser. Pour beaucoup, le développement du rural était perçu seulement comme une dette à payer envers ce monde qui a participé et tant sacrifié pour l'obtention de l'indépendance du pays. Pendant la colonisation, le rural était synonyme de pauvreté, de misère et de vie difficile. Les deux tiers des Algériens étaient loin des centres urbains et la majorité était dans une situation de précarité. A l'indépendance, ils voulaient s'en sortir. Mais beaucoup ont gardé dans leur mémoire que le développement est ailleurs, il est dans les lumières de la ville. Par le renouveau, nous voulions changer cette perception et donner au rural une autre signification. Aujourd'hui, seize années après le lancement des premières actions de renouveau, la perception de ce monde, aidée par la facilité de déplacement, par le progrès dans les infrastructures et la communication a fortement évolué, et je pense en mieux. Q.O. : le développement d'un pays comme l'Algérie devrait-il commencer par le renouveau agricole ou par l'industrialisation ? R.B. : historiquement, dans presque tous les pays développés, on a commencé par développer et industrialiser l'agriculture, c'est-à-dire créer les conditions, les capacités à fabriquer les moyens qui permettent une facilitation du travail, la reproduction industrielle d'un produit, d'un intrant ou d'une démarche ou méthode à même de valoriser les produits, de les stocker et de les commercialiser de plus en plus loin de leur lieu de production. L'agriculture et son développement ont donc existé bien avant l'industrie. Q.O. : si la nature a doté l'Algérie de grands atouts agricoles, pourquoi le développement de l'agriculture est-il toujours en débat, à la recherche de vision appropriée ? R.B. : c'est un problème plus profond qu'il ne paraît. Il faut rappeler que la colonisation a tout fait pour qu'il n'y ait pas de paysan algérien, ceci par différentes actions, par la dépossession, le cantonnement?Ce qui fait que beaucoup de paysans se sont convertis malgré eux en ouvriers agricoles chez les colons. Certains éleveurs et de rares familles y ont échappé mais tous les autres travaillaient pour les riches colons. A l'indépendance, on s'est retrouvé avec cette situation. Il y a eu alors des tentatives de recomposition de la profession, par exemple par l'autogestion puis par la révolution agraire?Mais on était loin de l'esprit d'accumulation qui caractérise une bonne exploitation agricole. Q.O. : la révolution agraire a-t-elle été le bon choix ? R.B. : du côté social oui, mais du point de vue économique, il y a eu des erreurs. Même les principes annoncés au milieu des années 70 d'autonomisation des acteurs et de la gestion des domaines socialistes n'ont pas été mis en place. Q.O. : où se sont situées les erreurs ? R.B. : les connaisseurs disent qu'aucune action dans l'agriculture ne peut être viable que si elle prend en compte l'instinct possessif de l'agriculteur. Dès le moment où on coupe ce lien, on l'ignore ou on l'interdit, on s'éloigne de la volonté de travailler, de s'investir et d'investir. C'est cette dimension qu'il fallait faire renaître. La collectivisation à outrance a fait beaucoup de dégâts. Les pays qui ont pu réussir ce mode de gestion ont maintenu à côté du travail en commun ou en coopérative la possibilité à l'individu engagé de bénéficier pour ses propres activités, en contrepartie, de la force du collectif. C'est la jonction entre l'intérêt général et l'intérêt individuel. Ce sont les notions d'efforts individuels, d'ouverture pour le progrès mais aussi d'entraide, de coopération, d'interprofession?. Malheureusement, ces notions et ces principes, toujours valables, ont été galvaudés et vidés de leurs sens et ces dérives persistent encore jusqu'à aujourd'hui. Certains individus, sous des formes diverses, maintiennent les quiproquos et combattent toute volonté ou tentative de libéralisation des initiatives individuelles ou collectives dans la transparence et le respect des règles élémentaires du progrès. Ils ont l'art de faire référence à des concepts et à des principes qu'ils transgressent sans retenue pour souvent maintenir ou sauvegarder un pouvoir illusoire. Q.O. : ces individus agissent-ils dans la sphère politique ou dans celle de la profession ? R.B : plutôt dans les sphères professionnelles mais souvent tolérés ou parfois soutenus contre toute logique par des politiques. Q.O. : comment fallait-il agir alors pour les empêcher de bloquer ces processus de changement ? R.B. : à l'indépendance, le pays n'avait pas de moyens. Il y a eu des réactions instinctives comme l'autogestion. Ce système devait permettre aux ouvriers agricoles des domaines des colons d'essayer de maintenir l'activité après le départ de ces derniers sans grande capacités de gestion ni de moyens. Ensuite, l'autogestion avait évolué en une gestion des domaines de type socialiste, c'est-à-dire collective. Il y avait en même temps une grande ambition de transformer le monde rural à travers la révolution agraire et le projet de la création de mille villages. C'était une nouvelle armature rurale qu'il fallait mettre en place au profit des populations déshéritées. A ce moment-là, on ne pensait pas production mais bien-être social. Q.O. : c'est ce qui a cassé l'acte agricole ? R.B. : on a commencé les importations de produits agricoles dans les années 70. Il y avait une volonté de produire mais la dimension politique et de justice sociale avait pris le pas sur la dimension économique. Q.O. : la création des exploitations agricoles collectives et individuelles (EAC-EAI) a-t-elle permis de corriger ces erreurs d'approche ? R.B. : huit années après l'abandon de la révolution agraire et plusieurs tentatives de restructuration des domaines agricoles socialistes et dans le contexte de la crise de 1986 (chute des prix du pétrole), l'Etat a décidé de se désengager de la gestion des domaines agricoles et a fait promulguer la loi 87/19 qui se voulait une sorte de privatisation dans un contexte non préparé et un environnement des plus confus et des plus difficiles. En une année et souvent dans la précipitation, on est passé de 3.000 domaines à plus de 90.000 exploitations agricoles collectives et individuelles. En 1990 fut promulguée la loi d'orientation foncière qui permit la restitution des terres nationalisées dans le cadre de la révolution agraire. Au même moment, les coopératives d'encadrement et de services étaient soit dissoutes, soit restructurées dans un sens de privatisation. Un grand sentiment de désarroi s'est installé dans le secteur du fait que ces grandes réformes qui avaient bouleversé les rapports sociaux et politiques, aient été à tort ou à raison préparés presque dans la confidentialité et mis en œuvre sans grande explication. Même les privés bénéficiaires n'y croyaient pas trop du fait qu'ils ont dû affronter un environnement déstructuré, voire hostile. C'est pourquoi en 1991 et 1992 fut organisée la Consultation nationale sur l'agriculture pour diagnostiquer la situation et tracer quelques perspectives. Les résultats furent présentés en mai 92 au cours d'une rencontre ayant regroupé plus de 1.500 personnes représentantes des différents sous-secteurs et différentes régions du pays. Cette rencontre fut présidée par le président Mohamed Boudiaf. C'est ainsi que les premières bases de la nouvelle politique post-révolution agraire furent adoptées. Toutefois, des questions importantes sont restées sans réponses comme celles ayant trait au choix du mode de gestion du foncier agricole, au mode de financement et à l'organisation agricole et agro-industrielle. Q.O. : les EAC-EAI ont ouvert la voie à toutes sortes de spéculations -au sens malversations du terme- par leur location à des tiers, leur vente même, leur délaissement ou leur conversion en bâtis. A qui incombe la responsabilité d'un tel gâchis dans le secteur ? R.B. : une législation et une réglementation insuffisantes et incomplètes, une situation sécuritaire difficile, une administration cloisonnée. Certaines personnes, y compris au sein des organisations professionnelles censées défendre les intérêts des agriculteurs, ont profité d'un tel état de faits et ont été à l'origine de la situation que vous décrivez. Q.O. : à la fin des années 90, le gouvernement avait déposé un projet de loi de vente des terres agricoles publiques. Qu'est ce qui a fait qu'il n'ait pas abouti et que la vente ait été remplacée par la concession à la fin de l'année 2000 ? R.B. : heureusement que ce projet n'a pas abouti parce que dans le contexte politique, économique et social de l'époque, on aurait assisté à une grande dilapidation et détournement sans aucun effet sur la production agricole. En plus des questions politiques et sociales que la vente des terres publiques soulevait, certaines personnes encore, bien introduites, avaient même préparé la ventes à des étrangers, y compris à certains anciens colons. Je n'ai pas de preuves matérielles mais c'est ce qui se disait. Il faut rappeler que l'initiative d'élaboration de ce projet de loi découlait d'une conditionnalité du FMI et était soutenue publiquement par une partie des responsables de l'UNPA (Union nationale des pays algériens). En novembre 2000, le président de la République, Monsieur Abdelaziz Bouteflika, a, dans un discours à l'occasion de la célébration de l'anniversaire de l'UNPA, apporté des réponses aux questions qui étaient restées en suspens, à savoir la concession comme mode de gestion des terres publiques, la nécessité de développer un système de régulation et de financement adapté et aussi la protection de l'environnement et l'urgence d'accorder une attention particulière au développement du monde rural. Q.O. : la concession en est-elle la bonne formule ? R.B. : oui, mais il faut savoir que les projets répondant aux orientations et directives du Président n'ont été élaborés et finalisés qu'à fin 2001 début 2002, comme la loi d'orientation agricole et la loi fixant le mode de gestion des terres agricoles publiques. Leur adoption par l'APN et le Conseil d'Etat ainsi que leur promulgation n'ont eu lieu respectivement qu'en août 2008 et août 2010, c'est dire qu'il a fallu épuiser sept années de maturation et surmonter tous les obstacles pour pouvoir sécuriser les agriculteurs et leur permettre d'avoir de la visibilité et de reprendre confiance. Aujourd'hui la fonction de production agricole est à plus de 99% de gestion privée, soit sur des terres en propriété, soit sur des terres publiques concédées. Les fermes pilotes et les terres rattachées aux organismes publics sont, elles, appelées à être gérées soit dans le cadre d'un partenariat public-privé, pour ce qui est des fermes pilotes qui sont au nombre de 170, soit par les structures publiques, économiques et administratives pour les autres terres. C'est dire aussi qu'il a fallu plus de cinquante années après l'indépendance pour disposer d'une première loi d'orientation agricole et d'une législation foncière basée sur des normes et des approches universelles qui permettent d'atténuer les effets de la sur-politisation du secteur et lui permettre de mener à bien sa mission, pour peu qu'on respecte les lois et leur esprit mais aussi les décisions présidentielles annoncées en 2009 lors de la Conférence nationale tenue à Biskra sur le Renouveau agricole et rural. Une politique qui a nécessité plus de sept années de préparation, de négociations et de participation de milliers de ruraux, d'agriculteurs et de responsables locaux et nationaux, y compris des représentants d'institutions internationales. Q.O. : aujourd'hui, si on produit plus, on ne sait quoi faire des excédents, (cas de la tomate et de la pomme de terre). L'Etat évalue-il les besoins du pays en matière de produits agricoles ou initie-il des programmes sans aucune prévision ou anticipation sur l'évolution du marché ? R.B. : l'activité agricole est une activité pénible et à risques multiples. Elle dépend de plusieurs facteurs économiques, écologiques et même politiques internes et externes. Si certains facteurs peuvent être maîtrisés, plusieurs autres ne peuvent l'être par le producteur agricole. C'est pour cette raison que de tout temps et dans la plupart des pays, des systèmes d'entraide, de soutiens et de régulation ont été initiés et développés au bénéfice des agriculteurs et des consommateurs et ceci dans tous les régimes qu'ils soient socialistes ou libéraux. La différence réside dans le niveau, l'ampleur et le mode d'intervention des pouvoirs publics. En 2009, suite aux mauvaises situations vécues au niveau national mais aussi à la crise financière mondiale de 2007 et 2008 qui a vu plus de 30 pays menacés dans leur existence suite aux renchérissements des prix alimentaires, plusieurs décisions ont été prises non seulement pour booster la production nationale mais aussi pour éviter les pénuries et ce par la mise en place d'un système de régulation des produits de large consommation. C'est le SYRPALAC (système de régulation des produits agricoles, du lait et des céréales) que nous avons initié pour protéger les revenus des agriculteurs en cas de surproduction et les consommateurs par la lutte contre la pénurie et la création de stocks de différents niveaux, stratégiques et ponctuels. C'est un système de coordination et de recherche permanente de compromis entre les intérêts des différents acteurs d'une filière. C'est un système dynamique où les acteurs professionnels sont primordiaux. Il ne s'accommode pas avec les comportements passifs et les injonctions autoritaires, administratives et souvent hors saison. Il est la base d'une gestion démocratique et responsable d'une filière. Il nécessite des administrateurs ouverts, dynamiques et acceptés par les différents acteurs. En clair, il est pour créer la confiance et développer la sérénité. Le Syrpalac a fait ses preuves en 2011 lors des difficultés connues en début d'année. Il a aussi permis à la production de pommes de terre de doubler en moins de trois années passant de 2 millions de tonnes à 4 millions en 2012. Je lis parfois dans la presse que le Syrpalac n'a pas fonctionné ou c'est à cause de lui qu'il y a pénurie. C'est tout à fait faux car, comme je viens de le dire, c'est un système de coordination et d'organisation d'intervenants. Il lui faut de bons conducteurs et leaders au niveau de la profession, des différents métiers et des différentes administrations ainsi qu'une animation quotidienne. Q.O. : il y eut quand même en 2007 un Conseil des ministres consacré exclusivement au traitement des problèmes liés à la disponibilité de la pomme de terre et à ses prix exorbitants? R.B. : la question avait pris de court plusieurs responsables qui peinaient à trouver une solution adaptée. C'est un accident de parcours qui a permis par la suite de tirer plusieurs enseignements à plusieurs niveaux de la profession, de l'encadrement technique et administratif mais aussi de la communication. Q.O. : pourquoi les espaces interprofessionnels (par filière) n'ont-ils jamais réussi à faire émerger une profession organisée, performante et productrice de richesse ? R.B. : l'espace interprofessionnel est prévu pour permettre la recherche de compromis nécessaires entre les différents acteurs d'une filière pour développer, corriger, préserver et protéger un produit ou un groupe de produit. C'est l'expression même de la démocratie participative. C'est aussi la transparence à tous les niveaux. Ces espaces ne peuvent jouer leur rôle, ô combien important, que si on croit dans les vertus du dialogue, du respect des engagements et de la nécessité de construire de la durabilité et de la confiance. Q.O. : les agriculteurs dénoncent très souvent la sur-politisation du secteur. Ont-ils tort ou raison ? R.B. : ils ont raison. Le secteur a souvent souffert de sur-politisation et à toutes les époques. Cette sur-politisation couplée à du populisme et à des déclarations dilatoires a souvent mis en échec les meilleures initiatives et éloigné du secteur des forces réelles de développement. Q.O. : au-delà du ministère, une multitude d'entités, d'organismes, de structures et d'intervenants politiques et administratifs interviennent dans l'agriculture. N'est-ce pas trop pour un acte qui exige de savoir labourer, semer, cultiver et vendre ? R.B. : vous venez de citer plusieurs fonctions essentielles. Il faut créer les espaces nécessaires pour coordonner entre elles et impulser des synergies positives dans la transparence, au profit des multiples acteurs de la profession et des consommateurs. Le problème n'est pas dans le nombre des structures et de leurs natures mais dans la capacité de créer des synergies, de respecter les missions et les responsabilités de chacun et de toujours laisser la porte ouverte aux nouveaux intervenants et autres jeunes. C'est aussi la capacité d'arbitrer juste et dans les temps tenant compte souvent des délais et des cycles biologiques. C'est dire toute la crédibilité que requiert cette mission dévolue aussi bien aux professionnels eux-mêmes qu'aux pouvoirs administratifs et politiques. Q.O. : est-il normal que le ministère décide du choix des cultures pour plusieurs régions sans la consultation des agriculteurs? R.B. : Non, bien sûr ! Depuis les années 90, les décrets de campagne ont été abandonnés. Aujourd'hui, c'est l'agriculteur qui décide de son plan de production. Les services techniques l'orientent par la diffusion des connaissances et des études dont ils disposent pour la région et l'aident afin qu'il en tire le meilleur de ses terres dans le respect du triptyque économiquement rentable, écologiquement durable et socialement acceptable. C'est aussi l'une des principales missions des chambres d'agriculture et du système de vulgarisation agricole. Les dispositifs de soutien sont élaborés de manière à favoriser certaines productions comme les céréales ou le lait ou encore des méthodes d'irrigation?Souvent, l'agriculteur tient compte aussi des habitudes et de l'historique de la zone où il se trouve. En précisant ces données, je mets en exergue toutes les difficultés que doit affronter l'agriculteur et c'est pour cette raison qu'il mérite non seulement tout le respect et devrait bénéficier de toute la solidarité de la nation mais aussi de l'entraide de ses pairs et des professions apparentées. Ceci n'est pas propre à notre pays. Les systèmes d'entraide, de mutualisme, de chambres d'agriculture et de syndicalisme sont nécessaires pour un développement harmonieux et durable de notre agriculture et de notre monde rural. Le programme de renforcement des capacités humaines et d'assistance technique (PRCHAT) initié en 2011, devrait dans ce sens être bénéfique aux agriculteurs tout autant qu'aux éleveurs. Q.O. : quel rôle joue l'UNPA dans le secteur ? R.B. : l'UNPA a été créée dans le sillage de la révolution agraire. C'était une organisation de masse jusqu'en 1997 quand son congrès a décidé de se mettre en conformité avec la loi de 1990 et choisi d'ériger l'organisation en syndicat. De qui ? Des travailleurs de la terre, des propriétaires terriens, des concessionnaires, des fonctionnaires du secteur, je ne sais pas. Il est vrai que lorsque j'écoute le responsable de l'UNPA s'exprimer, je n'arrive ni à le situer ni à comprendre de quoi et de qui il est responsable. Pour ma part, j'ai toujours milité pour l'émergence d'un syndicat fort et clair dans ses missions et attributions, dans ses relations avec les autres organisations professionnelles et avec l'administration sans mélange de genres qui ne peut que compliquer les situations et retarder le développement et la modernisation du secteur qui a été pourtant le premier à engager les réformes ou à les subir, c'est selon chaque époque. Q.O. : l'Etat a consenti beaucoup d'aides financières aux agriculteurs mais il s'est vu obligé de ré-échelonner leurs dettes. Pourquoi les agriculteurs s'endettent-ils ? R.B. : notre Etat, comme beaucoup d'autres dans le monde, soutient son agriculture compte tenu de sa mission économique, écologique et sociale mais aussi des aléas climatiques, des calamités naturelles, des handicaps physiques et également pour développer les productions agricoles stratégiques et atténuer les effets des fluctuations des prix et des concurrences extérieures souvent déloyales. Les formes de soutien sont multiples. Q.O. : les prix des produits agricoles restent très élevés par rapport au pouvoir d'achat des ménages même lorsqu'il y a abondance. Quelle en est la cause ? R.B. : c'est une perception toute relative et conjoncturelle. La solution durable réside dans le renforcement et la maîtrise du Syrpalac par tous les acteurs des différentes filières. Les excitations et les accusations impersonnelles et conjoncturelles et surtout publiques ne règlent aucun problème, elles ajoutent à la confusion, à l'instabilité et à la perte de confiance, situation favorable à tous les excès. Q.O. : le prix de la viande reste aussi très élevé. De par votre formation de vétérinaire, vous devez bien connaître l'état et l'importance des cheptels du pays ? R.B. : la demande sur la viande rouge ne cesse d'augmenter. Elle aurait triplée par personne selon certaines évaluations qui restent à confirmer. Même si le cheptel ovin a pratiquement lui aussi triplé depuis les années 70, la population humaine est passée de 10 à 40 millions. C'est dire tout l'effort qui reste à poursuivre pour soutenir les éleveurs afin qu'ils puissent préserver l'excellente qualité et améliorer leurs productions. Nous avons la chance de disposer d'excellents professionnels qu'il s'agit d'écouter, de soutenir et de protéger. Quand aux prix de la viande, il est à remarquer qu'ils avoisinent ces dernières années le niveau de ceux des pays voisins alors qu'il était plus bas. L'effort devrait également toucher la sphère des élevages bovins. On enregistre plusieurs intentions d'investissement dans ce créneau. Concernant les viandes blanches, c'est une question de maîtrise du système de régulation initié en 2010 connu sous l'appellation «la triangulaire». Q.O. : la relation entre mandataires, marchés de gros et détaillants pèse-t-elle dans l'affolement de la mercuriale ? R.B. : en partie, oui. Des professions -comme celle de mandataire- ont soit disparues, soit perdu de leurs prérogatives au gré des politiques souvent extra-professionnelles. Or, c'est ce genre de métier, entre autres, qui est utile pour la régulation des fruits et légumes. Un marché peut difficilement fonctionner sans ces métiers. Parce qu'un marché, c'est d'abord des activités commerciales, ce ne sont pas des murs seulement. Il est utile parfois de rappeler des évidences. Q.O. : en fin de compte, le renouveau agricole et rural avec toutes ses déclinaisons, n'a pas révolutionné l'agriculture et le monde rural en général. Est-ce la faute au politique ou à la profession ? R.B. : c'est le renouveau qui a été recherché, pas la révolution. Le secteur a trop souffert des décisions inattendues et révolutionnaires. On a capitalisé sur les expériences passées et souvent vécues, sur les succès et sur les échecs et on a abouti en 2009 à la conception finale, à l'adoption et au partage d'une politique cohérente qui a pris en compte dans ses perspectives les probables réductions des recettes du pays puisqu'on voulait autonomiser l'agriculture et son développement des recettes des hydrocarbures et ce dès le début de l'initiation de la politique du renouveau. L'agriculture a connu entre 2009 et 2013 un taux de croissance moyen annuel de13,7%. L'agriculture a produit en chiffres réels en 2012 près de 30 milliards de dollars alors que la collectivité nationale ne lui octroie annuellement qu'autour de 3 milliards de dollars. L'agriculture emploie près de 20% des actifs et représente presque 10% du pib, et ce sans comptabiliser ses rôles dans l'occupation des territoires, dans leur sécurité et bien d'autres rôles écologiques, culturels et sociaux. En 2013, des experts et des observateurs internationaux affirmaient que le secteur se caractérisait par le dynamisme et la sérénité, qu'il est doté d'une visibilité jusqu'à au moins l'année 2020, et aussi d'outils légaux et réglementaires à consolider. Ces chiffres et ces appréciations positifs ne veulent en aucun cas dire que la bataille pour la sécurité alimentaire est gagnée comme l'avancent et l'affirment sournoisement certains détracteurs de la dynamique. Ces données expriment tout simplement que le renouveau agricole et rural et la modernisation du secteur sont possibles et que par le travail, nos éleveurs, nos agriculteurs, nos industriels et même nos techniciens et nos jeunes sont capables de relever les défis. |
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