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Il est l'un des rares ministres que l'on voit souvent débarquer à 4h du matin dans les ports de pêche en parka et bottes de caoutchouc. De ces « descentes » impromptues, qui ont dérouté marins-pêcheurs et professionnels du métier, le ministre de la Pêche et des Ressources halieutiques Sid Ahmed Ferroukhi tire des enseignements et une expérience qu'il a bien voulu partager avec Le Quotidien d'Oran-et Maghreb Emergent dans cet entretien. Vous évoquez souvent l'amélioration de l'attractivité vers la pêche et l'aquaculture. Est-ce que vous considérez que votre secteur souffre de sous-investissement ? Il y a eu des investissements qui ont été réalisés dans le secteur de la pêche depuis 2000, aussi bien par des opérateurs privés que publics. Les investisseurs privés ont plutôt investi dans la flottille et certains services portuaires comme la construction navale ou les fabriques de glaces ainsi que des investissements liés à la commercialisation. Les investissements publics ont surtout concerné la construction de nouveaux ports et l'aménagement et l'extension de ceux existant. Au cours des 10 dernières années, nous avons réalisé au moins un projet par wilaya, tout le long de la façade maritime. Maintenant il reste des créneaux complémentaires dans lesquels il faut investir, des maillons comme les fabriques de glace qui manquent dans certaines wilayas car le poisson est désormais de plus en plus transporté sur de longues distances et commercialisé en dehors de la zone d'influence du port de pêche. Il y a donc de nouveaux besoins auxquels il faudra répondre par l'investissement. Quand vous travaillez sur votre système incitatif pour les investissements, est-ce qu'il est plus ciblé ou plutôt attrape-tout ? Je pense qu'il est plus ciblé actuellement. Ce que nous avons fait dans un premier temps est d'évaluer l'expérience passée. Notre système est basé sur au moins deux ou trois principes fondamentaux : d'abord nous avons ciblé la population des gens de mer. Nous avons essayé de rester dans les catégories de personnes qui sont les plus proches de la mer, car plus nous nous éloignons de ces catégories, plus il y a des difficultés à s'adapter à ce type d'activité. Car elle reste tout de même liée à des savoir-faire, à une connaissance des zones de pêche qui se transmettent de génération en génération au sein de la famille ou de l'entourage direct. Il y a donc une volonté d'accompagner avant tout les populations les plus proches de ce milieu. Le deuxième élément fondateur est d'aller plutôt vers des incitations indirectes, comme la bonification des taux d'intérêts pour les crédits d'investissement, un système d'assurance spécifique, la formation, etc. A propos de la formation, est-ce qu'il existe une transmission de ces savoir-faire et est-ce que vous êtes satisfait de la manière avec laquelle elle s'effectue ? Il existe une réelle transmission des savoir-faire qui se fait dans le secteur de la pêche. Ce qu'il faut faire maintenant, c'est adapter nos systèmes de formation à ce mode de transmission des savoir-faire qui se fait souvent dans le tas. Le métier de la petite pêche, par exemple, est basé sur la connaissance des zones de pêche, une connaissance qui est transmise au sein de la famille. Or, notre système de formation actuel évacue souvent ce type de savoir-faire pratique qui ne nécessite pas forcément un niveau scolaire ou académique élevé pour les pêcheurs. Il faut donc adapter notre système pour qu'il soit plus basé sur la pratique, que l'on peut renforcer avec des connaissances théoriques. L'autre élément sur lequel nous travaillons est la validation de ces savoir-faire afin de ne pas les perdre et ce, en créant un diplôme équivalent. Car la réalité aujourd'hui, si vous montez sur une petite barque, il vous sera demandé un diplôme de marin ou une qualification pour pouvoir naviguer. Nous allons donc lancer ce système de validation des savoirs cette année en réponse à une demande qui s'est exprimée sur le terrain. C'est donc un système qui ne répond plus forcément aux critères d'âge, de niveaux scolaires, etc. Pour un pays qui a 200 milliards de dollars de réserves et 1200 km de côtes, ne pensez-vous pas qu'une production de 110 000 tonnes de poisson/an est en dessous des capacités réelles du secteur ? Je ne crois pas que ce soit le cas, pour une raison simple : il faut replacer ce chiffre dans l'espace méditerranéen qui est le nôtre. La pêche méditerranéenne produit 1 millions de tonnes/an et il y a 23 pays dans le pourtour méditerranéen. Nous sommes donc à un peu plus de 10%. Et ce chiffre ne tient pas compte d'une certaine catégorie de pêches qui ne sont pas comptabilisées.Mais il est clair que dans l'espace méditerranéen, nous somme dans le groupe de tête par rapport à d'autres pays. Maintenant si on regarde la part de la pêche dans le PIB, c'est des «peanuts» et je peux vous dire qu'il y a très peu de pays dans le monde où la pêche a un poids dans le PIB. Il faut aussi regarder le secteur de la pêche selon notre réalité territoriale. On se rend compte à ce moment qu'une grande partie de nos 1200 km de côte est composée de zones enclavées et inaccessibles, alors que beaucoup pensent que notre littoral est ouvert. Mais qu'est-ce qui fait alors que cette consommation de poisson ne soit pas aussi élevée dans le panier des ménages algériens ? Est-ce une barrière liée au prix, à la disponibilité ? Si l'on prend par exemple la France ou l'Italie, sur 20 kg de poisson consommé par habitant, une bonne partie est importée. Cependant, ces pays exportent aussi et il y a donc un certain équilibre dans la balance. Ce qui n'existe pas chez nous. On peut se fixer des objectifs de consommation par habitant en Algérie mais il faudra aller chercher ce poisson ailleurs, je ne vois pas de mal à ça car cette une tendance mondiale. L'Union européenne est premier exportateur mondial de produits agro-alimentaires mais il est aussi le premier importateur de ces même produits. Le problème n'est pas l'importation en soit mais c'est qu'on n'exporte pas. Est-ce que vous escomptez un doublement de la production de poisson avec l'apport de l'aquaculture et quelle est l'échéance que vous vous êtes fixée pour atteindre cet objectif ? Je pense qu'il faudra une bonne dizaine d'années pour arriver à ce niveau de production. C'est un challenge, mais je crois qu'il faut y aller et y aller maintenant. Il faudra procéder de manière progressive et éviter les erreurs du passé. La première erreur que nous avons faite est que depuis 2000, nous avons testé toutes les aquacultures, et il y en a plusieurs (saharienne, d'eau douce, en bassins, en cages, etc.). La seconde erreur que nous essayons de corriger actuellement est le surdimensionnement des projets qui fait qu'ils échouent dans la majorité des cas. Il aurait fallu procéder par petits projets et en phasing. Par exemple commencer par les cages et ensuite envisager une extension du projet. Avez-vous prévu un volet formation, dans cet ambitieux programme ? Pour l'aquaculture, nous avons un gros rattrapage à faire dans la formation, surtout dans les aspects pratiques. C'est pour cette raison que nous avons opté pour les fermes-écoles. Nous avons commencé par celle de Skikda pour la crevette, la conchyliculture à Tipaza que nous comptons réaliser. Je pense que pour chaque type d'espèce, il faudra mettre en place une ferme-école. Vous avez décidé de décentraliser la gestion des dossiers d'investissement au niveau des directions locales. Pensez-vous que cette décision va accélérer les procédures ? Nous voulons éviter aux opérateurs les désagréments du déplacement au ministère de la Pêche pour le dépôt ou le suivi de leurs dossiers d'investissement. Mais d'un autre coté, nous avons aussi décidé de mettre un terme à ce que j'appelle « les investissements « drugstore ». Nous avons demandé aux investisseurs de se focaliser exclusivement sur l'aquaculture et de ne pas se perdre dans d'autres activités comme de l'hôtellerie, ou d'autres activités qui n'ont rien à voir avec la pêche et l'aquaculture. Mais ça dénote aussi d'un manque d'assurance sur la réussite du business plan ? Peut-être mais cette tendance à la multi-activité empêche la spécialisation dans le secteur et freine son développement. Dans le volet gestion des ports de pêche et amélioration des services publics sur les quais, il existe souvent des conflits d'intérêt avec le secteur des Transports. Dans votre élan, allez-vous demander à gérer directement les ports de pêche ? Sur cette question, mon raisonnement est le suivant : je pense que nous allons de plus en plus dans des formes complexes de gestion à multi-acteurs, des espaces à plusieurs intervenants, plusieurs responsables et des chaines de valeurs à mettre en place. Le challenge est donc d'arriver à mettre tout ce beau monde en cohérence. De mon point de vue, le fait de simplifier, c'est-à-dire de gérer directement les ports de pêche ne règle pas le problème car le port est un lieu complexe, hyper-concentré en superficie, où vous avez plusieurs autorités et plusieurs fonctions qui doivent arriver à s'articuler et cohabiter. Il faut trouver des modes de management et des mécanismes de coordination adaptés à ces complexités, car 90% des problèmes qui existent dans le port sont liés au voisinage. Il faut trouver une forme de cohabitation. Et c'est ce que nous essayons de faire évoluer. Vous avez acquis un bateau pour évaluer les ressources halieutiques nationales. Où en est cette évaluation ? Nous sommes en train de faire évoluer nos connaissances sur nos fonds marin et nos stocks de poissons. Depuis 2010, nous évaluons deux fois par an nos ressources, mais le problème qui se pose à nous aujourd'hui est la transmission de ces bases de données aux opérateurs. Il faut donc construire des passerelles vers les professionnels de la pêche, car d'un coté, il y a des chercheurs avec une logique scientifique et de l'autre, des professionnels qui sont dans la leur aussi. Il faut absolument créer ces ponts dans la façon de transmettre les informations. Un professionnel, par exemple aura beaucoup plus besoin d'une carte qu'il pourra exploiter plutôt qu'une communication scientifique ou une base de données chiffrée. Ces données serviront-elles par exemple à inciter les pêcheurs à s'aventurer ailleurs que dans les zones où ils ont l'habitude de pêcher ? Effectivement, mais vous savez, ce mode de pêche ou cette habitude comme vous l'appelez, n'est pas tout à fait irrationnel. En sortant en mer, un pêcheur pense en premier lieu à s'assurer au moins qu'il va rembourser son plein de gasoil qui représente 50% de ses charges. Et il doit le rembourser en poissons. C'est pour cette raison qu'il se dirige souvent vers les mêmes endroits de pêche et à la même période de l'année pour pécher. Il y a un raisonnement économique qui pèse sur sa décision et qu'il faut prendre en considération. Il va vouloir aller à l'endroit où il est sur de trouver du poisson en premier lieu et,peut-être, aller s'aventurer ailleurs mais en prenant le risque d'accrocher son filet ou de perdre un chalut. Vous organisez un salon international de la pêche et de l'aquaculture à Oran. Qu'attendez-vous concrètement de cette manifestation ? Nous travaillons depuis plus d'une année sur plusieurs fronts avec une volonté d'avoir de la cohérence, de construire des ponts, d'intégrer les professionnels dans une dynamique avec un cadre plus clair et plus lisible. Ce salon est donc un moment très important et je compte beaucoup sur cet évènement pour ouvrir une nouvelle page et jeter les jalons de l'avenir de la pêche et de l'aquaculture en Algérie. Nous voulons construire la confiance entre opérateurs et les pouvoirs publics et nous voulons surtout dire aux opérateurs que nous avons confiance en eux pour l'avenir de ce secteur. |
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