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Je ne voterais que si?

par Farouk Zahi



«Il faut que le plaisir de gouverner soit bien grand, puisque tant de gens veulent s'en mêler.» (Votaire)

Je ne voterais que le jour où je me sentirais, le centre nodal des préoccupations de l'élu à qui j'ai donné mandat pour l'amélioration de mon vécu quotidien. Je veux qu'il préserve ma santé, n'est ce pas lui qui a signé mon acte de naissance ? Je veux qu'il m'éduque en veillant au bien être scolaire de mes enfants et de mes petits enfants. Je veux qu'il me prémunisse des aléas de la déshérence en m'aidant à construire mon logis, lui qui a scellé le lien de mon union avec mon conjoint. Je veux qu'il me permette de m'épanouir dans un milieu culturel où mes repères résisteront au gommage. Je veux qu'il préserve ma sépulture pour que mon histoire soit écrite.

Ceci, semble tenir de l'impossible auquel personne n'est tenu, mais simple à cerner si, l'auguste élu se mettait résolument dans la peau de celui qui vient servir la communauté qui l'a élu. Il peut, dans son parcours quotidien, prendre régulièrement, le pouls de la cité. Un tour matinal au marché, peut à lui seul, lui restituer les ombres citoyennes dans leur quête alimentaire. Il verra, par la même occasion, ces cohortes de personnes en attente d'un hypothétique transport urbain ou ces interminables chaines devant des bureaux de poste désargentés et dont les grilles sont encore closes. Il pourra aussi constater la frénésie matinale de ces voitures folles qui encombrent, le carrefour jouxtant l'école et dont les élèves encourent des risques mortels à chacune de leurs sorties. Il ne manquera pas de constater en live, le refoulement nauséabond de cet avaloir que les cantonniers ont affirmé avoir curé, ou ces monticules de déchets domestiques vieux de plusieurs jours que des riverains, par dépit, ont incinérés.

Les nids de poule sur la chaussée pourtant remise à neuve, il y moins d'un an, l'obligeront à slalomer, dangereusement, comme tout automobiliste. Il remarquera, l'emblème national enguirlandé à l'occasion de la dernière fête nationale et oublié par les services techniques communaux, pendant lamentablement en paquets fripés. Au niveau de ce qui a été jadis un jardin public luxuriant, il détournera le regard pour éviter de voir ce qu'il en reste ; des arbres rabougris et une enceinte grignotée par endroits. La nuée d'enfants qui y joue, s'exerce aux jeux violents des batailles rangées. Les vieux, fripés par l'injure du temps, les regardent d'un air désabusé en marmonnant des phrases à peine audibles. Les espaces récréatifs pour ce genre de personnes a-t-il fait l'objet d'une réflexion de la respectable assemblée élue ? Probablement jamais ! De quel secteur, relèvent ces catégories, de celui de la Famille ? Ou de la Protection sociale ? ou des deux à la fois. Les deux salles de cinéma qui ont, jadis, fait le bonheur des séniors dans leur jeunesse sont, présentement, hermétiquement closes. Sur le toit de l'une d'elle, un petit arbuste a pris pied. L'assemblée populaire consacre des sommes colossales pour son équipe de foot qui n'a jamais dépassé, le seuil de la ligue régionale. On continue, cependant, à ignorer les talents des autres disciplines. Une petite équipe de handball ou un jeune crossman, peuvent à eux seuls, rapporter plus de dividendes à la collectivité locale. De jeunes prodiges, dans le sport, les arts lyriques ou autres disciplines, lauréats de joutes internationales n'ont, malheureusement, suscité aucun intérêt à leur retour. On leur préfère les champions nationaux des olympiades. On en fait, le buzz local.

Pour que je puisse voter pour l'une ou l'autre liste élective, issues toutes deux de partis différents, il faudrait que leur clocher ait tinté régulièrement, et les occasions n'ont jamais manqué. La misère humaine est vécue au quotidien, quand les apparitions fantomatiques des formations politiques ne sont que quinquennales. Prégnante autour des hôpitaux, des écoles de zones reculées, des familles frappées d'incidents tragiques, elle interpelle la solidarité agissante du geste. Elle n'a que faire du verbe. La rentrée scolaire est cette belle occasion de faire sentir à l'enfant démuni, qu'il n'est point seul. Le meilleur endroit pour un élu pour fédérer les énergies, autour d'actions d'intérêt public, demeure, sans nul doute, la mosquée vers laquelle convergent toutes les couches sociales. Monsieur le maire, ne me consacrez pas de jours de réception, consacrez moi votre attention à travers vos services. Car si vous m'obligez à ne vous entretenir que dans votre «antre bureaucratique», j'aurais la désagréable sensation de m'ouvrir à un quelconque rond de cuir. Si par contre, vous daigniez frapper à ma porte ou à celle du voisin, ou mieux encore, rassembler les résidants du quartier dans la classe d'une école, en repos ce jour là, nous serions tous honorés de votre visite. Nous n'aurons pas à déplorer, le mauvais choix de notre plébiscite. Je vous entends dire que vous n'avez pas assez de prérogatives, peut être ; mais je me suffis de celles que vous détenez déjà !