Selon
le journal Ashark El Awsat, les «fils de l'éveil islamique», association non
agréée de salafistes urbains à Alger, ont marché à Alger. Quelques mètres
seulement, avant de faire face aux policiers et de se disperser. La
revendication ? «Non à l'intervention chrétienne dans le Mali». Traduction
approximative. Le mot juste est «non à la croisade». Comprendre «non à une
croisade au Mali». Dans le sens moyenâgeux et religieux du mot. Pourquoi
évoquer cette anecdote ? Pour parler de l'atlas de l'islamiste moderne, livre
éparse hérité des cartographies du moyen-âge et ses chroniqueurs morts,
théologiens, savants et hommes de guerre. Un islamiste aujourd'hui dessine le
monde avec les mêmes crayons qu'un djihadiste du 11e siècle. Au nord froid et
barbare ? Les croisés et les croisades. En armures, avec un faux livre descendu
du ciel mais traficoté par des moines et l'envie perpétuelle de prendre
Jérusalem. A savoir, les nestoriens. alias Ennassara, seule secte chrétienne
que connaissaient les «arabes» du 7e siècle et qui en devient le titre
générique de tous les chrétiens du monde. Au sud ? Errissala. La Nubie aussi.
L'Abyssinie. Le pays des chrétiens qui reconnaissent le caractère messianique
de Mohammed. Le Sahel, la maison de Dieu, le lieu de l'épiphanie et de la
résurrection de l'épopée des Foutouhate. L'islam refondé dans un désert comme
en l'an zéro. A l'ouest. Des «arabes». A l'est, des Arabes. Et donc l'Arabie,
vaste pays à qui Dieu a parlé en dernier après qu'il a été déçu par les juifs.
Au nord-est ? Des juifs qui sont aussi logés dans le pain, les TV, les livres,
la musique et l'ONU. «Kahybar, Khaybar ya yahoud !», crient les islamistes, au
nom des tribus juives à Médine, il y a des siècles. A l'extrême-nord ?
L'Amérique alias le diable, l'ennemie de Dieu, le pays du Taghout et de la
perte. La terre des dépravations, la Babylone des mauvaises mœurs et des corps
nus et de l'injustice. La Mecque à l'époque du capitalisme koreïchite. A l'extrême-est
? La Chine: pays du mythe et du «savoir», de l'invasion et signe de fin de
monde. Au milieu de la carte ? La Mecque. A délivrer, autant qu'El Qods, Paris,
Gao ou le Sinaï. Au sud du Sud. Le reste: terre de feu, Pérou, Niger, etc. la
terre vacante et sans croyances.
La
cartographie de l'islamiste est mentale, théologique, vision ancienne qui
partage l'univers en orient et occident. Mer des ténèbres et pierre d'Abraham.
Médine et butins. Le monde est une pièce vaste, pleine de dunes et d'Arabes,
avec deux ou trois autres personnages statiques: le croisé belliqueux, le juif
fourbe, le Noir assimilé, la femme dangereuse, l'arabe élu de Dieu, le savant
vénérable, le djihadiste respecté et le moderniste douteux. Il ne s'agit donc
pas de l'humanité mais d'une humanité: pauvre, réduite, étriquée, composée de
dualistes et d'ergs sauvages. Eternellement, l'islamiste parlera de croisade et
de Yathrib et de Saladin. C'est sa dernière histoire qui le coince dans une
histoire morte. C'est son livre, son atlas, son guide métro pour passer d'une
station à l'autre. Son optique: tuer les vivants et faire revivre les morts de
son histoire. Rejouer l'ancêtre. D'où son atlas invraisemblable et sans mise à
jour qui étonne lorsqu'on l'écoute expliquer le monde comme un Saladin
désarticulé.