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Avant-hier
à Mostaganem : tout juste à côté de l'ancienne église, aujourd'hui « Grande
mosquée », un beau jardin revenu de loin. L'endroit avait été squatté par les
petits-fils de la réconciliation, les barbus qui y vendaient sous-vêtements,
babouches et « islamiseries ». Pendant deux décennies presque. Le jardin public
avait disparu sous le bazar de l'époque. Puis ils ont été délogés et c'est
agréable. Voir enfin un jardin fréquenté par des gens assis qui y lisent le
journal ou regardent le ciel ou par des enfants. Du coup, des idées : quand on
veut, on peut. La plus grande victime de la guerre des années 90 a été l'espace
public aussi : volé, maltraité, privatisé, interdit, disparu, tué, assassiné,
torturé. Cela a démarré avec les jardins pour aboutir aux trottoirs, en passant
par les plages. L'espace était à celui qui se l'appropriait, le plus
rapidement, et par la force. Celle du nombre ou de la matraque. Bien sûr les
gens ont le droit de vendre et d'acheter mais les Algériens ont le droit d'être
propriétaires de cet espace public volé par les Romains, les Vandales, les
Ottomans, les Français, le socialisme puis le défaitisme et le Bouteflikisme
populiste.
Donc on déloge et on restitue. C'est peut-être cela gouverner : faire des choses simples qui commencent simplement. « Pourvu que cela dure », répond le scepticisme national. Mais cela est déjà là : le jardin est revenu à la terre de tous. Les revendeurs devront apprendre un métier ou apprendre à payer des impôts, comme les salariés qui sont ponctionnés à la source. Bien sûr, cela pose le problème de la suite. C'est un long chemin, mais qui commence par un pas, selon le proverbe chinois. Derrière le squatteur du jardin public, il y avait la force publique qui a laissé faire, le policier qui a baissé la tête. Il y a aussi le maire qui a autorisé et le chef de daïra qui a cru ainsi résorber le chômage ou la colère. Il y a le wali qui a dit oui et les fournisseurs qui ont trouvé des distributeurs et le régime qui a trouvé son compte et de l'argent. Donc il y a tout un Pouvoir qui a été complice, auteur et participant dans cette prédation. C'est cette analyse qui fait douter les Algériens, grands sceptiques de l'Afrique, sur la suite. Faut-il donc arrêter de récupérer les jardins et les trottoirs, sous prétexte qu'il faut revoir le tout depuis 62 ? On réforme un Etat par le haut ou par le bas ? « Par quoi commencer ? », a dit Boudiaf avant de commencer par mourir. Faut-il résoudre la question des « disparus » ou celle des trottoirs ? Peut-on réformer le régime de l'intérieur (comme a dit Hamrouche, un moment), ou de l'extérieur comme a pensé le RCD ou de l'Etranger comme pensent les victimes les plus impuissantes, face au régime ? Il y a chez nous une fascination monstre pour le moment zéro et l'acte Un. Où sont-ils situés ? En 62 ? Aujourd'hui ou dans le proche avenir ? Par quoi commencer ? Par expulser des gens d'un jardin, comme pour l'histoire de l'humanité. Ou par des choses simples : restaurer l'Etat gangréné par le Pouvoir. Ou par se laver les mains et dire bonjour. Ou par la Justice, l'Ecole et la Santé, comme disent beaucoup. Ou par soi-même. Par une balle en 54. Par les ordures en 2012. Par des excuses aux familles des disparus ou par élections propres vraiment. Il faut commencer et c'est tout. Souvent c'est l'essentiel, dans un pays à l'arrêt ou en régression. |
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