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Mais est-il, pour
autant, terminé ? Préparé fiévreusement, il s'achèvera dans l'excès des jours
de fête avec ses gueuletons sucrés et carnés. Le père de famille à revenus
moyens se voilera la face pour sauter dans le vide du surendettement. Laminé
par le marchand de fruits et légumes et le boucher, la bourse familiale ne
résistera pas à l'inflation. D'ailleurs, le boucher n'intervient dans la curée
que pour les quelques grammes de viande hachée congelée. Le reste est affaire de
volaille ou d'abats. Cette bourse sera déficitaire à la veille de « l'Aid El
Fitr » où il faudra, malheureusement, habiller la couvée. L'habillement neuf,
ce rite, pourtant facultatif, s'est inscrit depuis longtemps dans les us de
l'apparat. Il faut que les enfants ressentent, que c'est vraiment la fête. Le
sacrifice est énorme, quand on sait que les parents se priveront pour ne
satisfaire que partiellement, les légitimes caprices de leur progéniture. Le
père se contentera de sa chemise, dont le col est à peine élimé et de son
pantalon en toile.
La maman s'offrira un nouveau foulard pour donner l'illusion du changement. La jeune fille du pré-emploi, fera un tour à la «fripe», sinon elle gardera son hidjab, acheté tout récemment. Les retraités quant eux, et qui seraient au nombre de 2.000.000 d'individus, auraient décroché la timbale avec les neuf (9) pour cent d'augmentation. Une pension de retraite de 25.000 DA, récoltera un bonus de 2.250 DA, l'équivalent d'un peu moins de 3 kg de viande de Nouvelle Zélande. Ce sera toujours çà de gagné. Pour ceux qui sont au dessous du seuil, ils se contenteront de moins. On ne se rend pas encore compte, dans un marché dérégulé, que tout est pris en charge par cette « cagnotte » appelée salaire ou pension. Qu'il s'agisse d'alimentation, de gite, d'habillement ou de menues dépenses, le salarié est cet oisillon au bec ouvert, et dont la pitance dépend d'autrui. Le haut responsable politique ou administratif quasiment pris en charge, ne ressent presque pas les effets du rouleau compresseur des charges vitales quotidiennes. Il considère même que beaucoup de sacrifices sont consentis par le budget de l'Etat pour venir en aide aux plus vulnérables. Kaddour, l'ancien agent communal est tenté par les colis alimentaires du Ramadan qui peuvent aller jusqu'à 8.000 DA, le 1/3 de sa pension de retraite, mais il n'ose pas franchir le pas. Son ex-statut social lui interdit tout infléchissement, il considère que sa dignité est la seule chose qu'il ait pu conserver, après 30 ans de bons et loyaux services. Sous l'insistance de son épouse, il osera une ou deux fois à déambuler du coté du service social de la mairie, mais à chaque fois il battra en retraite. Le personnel de service le recevait avec déférence et chaleur sincères. Ils devaient tous penser que Ammi Kaddour n'était nullement dans le besoin, et que sa visite ne pouvait être que courtoise. Les commentaires des uns et des autres sur les bénéficiaires, souvent désobligeants, le dissuadaient à chaque fois pour ne pas enjamber son rubicond social. Les questions anodines sur ses enfants, déjà, adultes depuis longtemps et bien installés, lui semblent des insinuations qu'il élude avec un « lapes » grognon. Il quittera vite les lieux en se promettant de ne plus y remettre les pieds. Le Ramadan n'est qu'à moitié de son parcours, pourra-t-il parvenir à le clôturer net de tout compte ? Comme pour se rassurer, il tapotera sa poche qui contient quelques pièces de monnaie et un petit billet tout fripé. Il pense que pour la journée, ce sera suffisant pour le lait, le pain, quelques pots de yaourt et un paquet d'herbes aromatiques. Le soupir est plus profond que sa déshérence. Dieu y pourvoira Incha ALLAH ! Elle est là, assise au seuil de la porte d'une mosquée de la Mitidja, anciennement emblématique et riche. Une vieille tradition, faisait qu'on abandonnait la dernière partie de la récolte aux familles pauvres qui pouvaient en disposer gracieusement. Ce n'est plus, hélas, le cas présentement. Autour de la trentaine, cette jeune femme sans enfants, ne tend pas la main. Relativement bien mise, hidjab et ample foulard, la tête baissée, elle ne harcèle les fidèles par aucune complainte. Elle attend, en silence, de la générosité humaine qu'elle lise dans son âme assurément meurtrie par la détresse. Son histoire doit être quelconque, comme celles de milliers de démunis qui deviennent soudain visibles en ce mois de jeûne, où les sens sont aiguisés. Et c'est là, où probablement la privation prend tout son sens. L'enfant, lâchant subitement les basques de son père se précipite dans la pâtisserie bondée. Le nez écrasé sur la vitrine du comptoir frigorifique, il bouffe des yeux les délices exposés. Son regard balaie le panorama de rêve, il saute des pavés crémeux, aux tartes au kiwi ou aux fraises. Le père qui le déniche au milieu de la cohue le tire avec vigueur et le traine dehors, sans ménagement, sous le regard placide des clients. Dehors, les cris de l'enfant sont plus stridents, la raclée a due être musclée. Le dépit peut mener à l'excès et les âmes innocentes en paient souvent le prix. Arrivé à la maison, il apprend qu'il n'y plus de gaz butane, l'unique bonbonne dont il dispose est vide. Prenant son mal en patience, il va devoir trouver le taxi clandestin qui voudra lui transborder le précieux produit de la station service, jusqu'à son logis perché sur la colline. Il trouvera par chance, son jeune voisin qui vient de bénéficier d'un prêt «ANSEJ» qui lui a permis d'acheter un mini-truck (petit camion) pour l'aider dans cette galère et le mot n'est pas fort. Après l'éprouvant exercice, la rupture du jeûne se fera par une simple galette, du petit lait et une simple chorba sans viande. L'enfant dormira le sommeil du juste en rêvant des délices de la vitrine? D'autres, feront le déplacement jusqu'à Ouled Djellal ou Hassi Hahbah pour ramener des bêtes à abattre. Il semble en toute évidence que cette chair tendre, est «bio». Le mouton, là bas se nourrit principalement de «chih» (armoise) et de touffes steppiques. |
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