Un milliard d'euros. Pas un dourou de plus ni de moins,
c'est promis, juré. Et puis c'est quoi un milliard de malheureux euros pour la
grandeur et la notoriété de tout un peuple. Hein ! Je vous le pose en mille. Si
vous n'êtes pas d'accord, c'est que vous êtes peut-être de ceux qui mangent le
mois. Si vous dites que c'est du gaspillage, c'est que vous avez une autre
chapelle où prier. Si vous dites que c'est inutile que la colère de Dieu s'abat
sur vous. Un milliard d'euros pour une mosquée. Et pas n'importe quelle
mosquée. Et puis, on ne chipote pas sur le prix du ticket d'entrée au paradis.
Quand on peut payer, il faut pas jouer aux pingres. Il faut être grand seigneur
et en mettre plein les yeux aux voisins qui nous épient du haut des frontières.
Ils vont mourir noyés dans leur jalousie quand ils vont voir ce minaret chatouiller
les nuages et l'appel à la prière qui sera entendu jusqu'à Marseille. C'est moi
qui vous le dis, parole de Chinois. L'homme a voulu laisser une trace de son
passage dans ce bas monde, ce n'est que justice, il a tant fait à ce pays qu'on
le célèbre chaque jour avec des feux de joie allumés un peu partout dans
l'Algérie d'en bas. Dans l'arrière-pays où l'indépendance n'a pas encore été
célébrée. Et pour les mauvaises langues qui chuchotent que c'est pour son ego
démesuré, je répondrai simplement qu'il n'était même pas présent à la cérémonie
de lancement des travaux. Et la mosquée ne porte même pas son nom. Voilà qui
est dit sauf si quelque part on prépare déjà une débaptisation. Et là, je vous
laisse à votre conscience. C'est vrai, me diriez-vous, que ce milliard d'euros
aurait pu servir ailleurs. Oui, mais où ? Dites-moi seulement où et je vous
donnerai raison. Où vous mettez le doigt, vous touchez la corruption. Elle est
présente partout, sur le bitume, dans l'air et le sous-sol. Donc investir un
peu d'argent dans le divin, peut-être que les gens réfléchiront par deux fois
avant de goûter au miel défendu. Et en plus, l'Algérie est un pays musulman,
c'est pas moi qui le dis, c'est la Constitution. Et puis, y'a qu'à voir les
mosquées remplies le jour du Seigneur pour avoir une idée de la dévotion toute
caricaturale de l'Algérien qui, une fois son devoir religieux accompli les
larmes aux yeux, n'hésite pas à allumer un brasier autour de lui. En chaque
Algérien, sommeille un Néron en puissance. C'est vous dire qu'il faudra plus
que la plus grande mosquée d'Afrique et le plus grand minaret du monde pour
laver nos pêchés. Et cette mosquée sera là pour l'éternité, un legs pour les
prochaines générations à défaut de pétrole ou de gaz. Ils pourront toujours
lever la tête au ciel et maudire leurs ancêtres qui ne leur ont laissé qu'un
pays vide au ventre creux et une échelle vers Dieu.