Il ne faut pas
rêver. C'est l'injonction réaliste qu'on entend souvent quand on a des aspirations
irréalistes. Et l'irréalisme, en ce temps d'aisance financière algérienne toute
relative et en tout cas fortement réversible, consiste à croire que nous
pouvons avancer tout seul, sans nos voisins. En cinquante ans d'indépendance,
il faudra être aveugle pour dire que «rien n'a été fait», l'autodénigrement
rejoignant assez facilement l'autosatisfaction dans le déni de la réalité et
des faits. En cinquante ans, des choses ont bien été faites. Mais, elles n'ont
pas été faites comme elles auraient pu l'être. Il était largement possible de
mieux faire si la «politique» avait été un facilitateur au lieu d'être une
entrave et un facteur de blocage. A l'échelon du Maghreb, les occasions
manquées ne se comptent plus et les responsables algériens autant que ceux des
autres pays y ont leur part de responsabilité. Le choix de l'inertie est une
réponse commode. Il consiste à ne pas faire d'effort, à ne pas essayer de
chercher, par la politique, des moyens de résoudre ou de contourner des
divergences qui remontent à l'histoire et à la perception qu'on en a. Il n'est
pas satisfaisant pour de nombreux Algériens - c'est vrai qu'il y en a qui
trouvent que c'est «tant mieux» - qu'en ce cinquantenaire de l'indépendance, la
frontière avec le Maroc soit encore fermée.
Il y a dans ces
attitudes beaucoup d'idées reçues fruits de propagandes instrumentales qui
finissent par autosuggestion à convaincre même ceux qui les concevaient. Entre
les pays du Maghreb comme au sein de chacun des pays du Maghreb, la politique a
manqué avec ce qu'elle permet comme approche de négociations, de conciliations
et d'arrangements mutuels qui ménagent des ouvertures et n'entravent pas les
dynamiques. On en est encore là. Certes on a fini, ici, comme ailleurs, à
revenir, trop lentement, sur plein d'idées fausses. On revient, ici comme
ailleurs, sur des rêves illusoires de croire que l'on peut faire tout par
soi-même, que l'on peut se passer des citoyens comme des voisins. Il nous reste
à faire un plus grand effort de réalisme. Il faut cesser de rêver et? faire le
Maghreb.