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Les sales gosses du foot

par Abed Charef



Ils jouent tous les deux à Manchester City, à qui ils ont offert son premier titre de champion depuis un demi-siècle. Ils sont tous deux internationaux, pour des équipes portant un célèbre maillot bleu. Tous deux sont d'origine étrangère, et ils ont également en commun d'avoir un caractère bien trempé.

Un sale caractère, disent les uns, un caractère marqué, un caractère très fort, disent les autres. Et ils ont marqué l'Euro 2012, chacun à sa manière. Mario Balotelli et Samir Nasri ont été les deux grandes vedettes de cet Euro qui s'achève. Chacun à sa manière.

Le premier a failli ne pas être convoqué pour l'Euro. Pas à cause d'un manque de talent, mais en raison de son caractère. A Manchester City, déjà, il était devenu insupportable. Commettant des bévues impardonnables à ce niveau, il a probablement coûté à son équipe une élimination en Champion's league, et il a failli lui coûter le titre de champion. Ses frasques sont devenues la risée de l'équipe et du monde du football. Il a incendié sa propre maison, en s'essayant aux feux d'artifice. Son entraîneur Roberto Mancini, l'un des rares hommes qui supporte son caractère impossible, a fini par perdre espoir et déclarer qu'il ne voulait plus de lui.

Seule l'absence d'un autre «sale» caractère, Carlos Tévez, lui a permis de jouer. Fils d'immigrés ghanéens qui ne pouvaient lui assurer une vie décente, Balotelli a été élevé par une famille italienne, et se sent totalement italien. Mais il a vaguement conscience qu'il est né sous une étoile particulière. «Pourquoi toujours moi ?», a-t-il arboré sur son maillot, il y a trois mois, pour bien montrer qu'il ne comprenait pas ce qui lui arrivait. La presse a trouvé l'explication: il ne veut pas grandir, disent les journalistes, qui l'ont affublé du surnom de Peter Pan. Jusqu'à ce match Allemagne-Italie, où il a prouvé qu'il était le plus grand, en propulsant l'Italie en finale, éliminant le favori de l'épreuve. Le second, Samir Nasri, est lui aussi un enfant d'immigrés. Ses parents, d'origine algérienne, sont cependant nés en France. Il a vécu dans les traditionnels «quartiers difficiles», avant que les recruteurs ne découvrent ses dons pour le football et son caractère bien trempé.

Il appartient à un groupe très doué, celui de joueurs nés en 1987, mais qui ont la particularité d'être de leur temps : Ben Afra, Ménez, Benzema ont un rapport différent à la nation, au drapeau et à l'hymne national. Ni lepéniste ni militant, Nasri a montré les deux atouts d'un footballeur : du talent et du caractère. Fort en gueule, ne supportant pas qu'on lui marche sur les pieds, il a accepté d'être rayé de la liste des 22 lors de la Coupe du monde en Afrique du Sud, mais il n'a pas pour autant changé.

La différence entre Nasri et Balotelli tient, au fond, à un détail qui échappe totalement aux joueurs eux-mêmes.

L'un joue pour une équipe où on accepte les sales gosses, où on sait qu'il faut de la rage et de la violence pour se surpasser, où on le gère plutôt que de le jeter en pâture au public, et où l'entraîneur prend sur lui pour protéger ses joueurs.

L'autre joue pour une équipe où le débat du jour voudrait qu'on prenne les joueurs moins doués à condition qu'ils soient disciplinés, où on préfère les toutous aux forts en gueule. Balotelli a été accepté, protégé, et maintenu dans l'équipe, malgré ses ratés contre les Pays-Bas. Nasri, auteur du seul but français contre l'Italie précisément, a été vertement critiqué parce qu'il a montré peu de respect pour la presse, qui, elle, ne joue pas au football, mais se permet de dire où est le bien et où est le mal. En Italie, on protège l'équipe et le joueur.

Le fusible traditionnel, c'est l'entraîneur. En France, par contre, un consensus a été créé pour sauver l'entraîneur, Laurent Blanc, quitte à saborder l'équipe. Vikage Dhorasso, un des rares anciens footballeurs à écrire intelligemment sur le football, a noté que si Raymond Domenech avait été à la place de Laurent Blanc, il aurait été lynché. Mais au lieu de l'entraîneur, c'est un joueur qui a été, cette fois-ci, jeté en pâture à cause d'un mouvement d'humeur, alors que la pression, énorme, exercée sur les footballeurs leur offre la possibilité de «gueuler» comme une des rares formes d'expression.

Ces footballeurs n'ont pas forcément été à l'université, ils jouent avec leurs pieds, pas avec leur tête. Pourquoi leur demander de savoir jouer au foot, d'être beaux, raisonnables, gentils, bien élevés, d'être des modèles dans la vie et sur le terrain ? Balotelli a sauvé l'Italie. Nasri a sauvé la France contre l'Italie.

Mais il y avait trop d'acharnement contre lui. On veut le suspendre pour deux ans, parce qu'il a dit un mot déplacé à un journaliste. Même Michel Platini a été contraint d'intervenir, pour dire que ça devenait ridicule, lui, le modèle du joueur bien élevé.

Mais Platini sait que ce qui lui a peut-être manqué pour devenir champion du monde, c'est cette violence, ce sale caractère dont a fait preuve Zidane sur le terrain, ce Zidane qui avait failli rater la Coupe du monde 1998 après son expulsion face à l'Arabie Saoudite, et qui a terminé sa carrière sur son célèbre coup de boule.