|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
« Pourquoi
vouloir bâtir absolument sur les terres agricoles ? Si l'on avait une mine
d'or, personne ne penserait à bâtir sur une mine d'or. Une terre agricole,
c'est une terre qui va produire indéfiniment si on la cultive. Alors, je pense
que l'on doit réserver les terres agricoles pour l'agriculture » Jean Garon
L'indépendance n'est pas l'œuvre d'une élite intellectuelle partisane mais de l'Armée de Libération Nationale conduite par le Front de Libération Nationale. La victoire n'est pas politique mais militaire. La révolution du 1er Novembre 1954 a été enfantée par les massacres du 08 mai 1945, a grandi dans les maquis de l'intérieur et fut adoptée à l'âge adulte par l'armée des frontières qui en fera son étendard. En posant la violence comme solution ultime au drame de la colonisation, la révolution du 1er Novembre 1954 a été amenée à faire de l'armée, la source exclusive du pouvoir en Algérie. Forts de cette légitimité historique, les dirigeants algériens vont faire du secteur des hydrocarbures la source exclusive des revenus du pays rendant le recours aux importions incontournable à la satisfaction des besoins du marché local, notamment en biens de consommation finale. Compte tenu de l'ampleur des programmes et des objectifs de développement, les autorités du pays ont été amenées à concevoir un système de financement caractérisé par une centralisation des ressources nationales dans le but d'une redistribution en fonction d'objectifs politiques. La solvabilité de l'économie bâtie sur les recettes des hydrocarbures a permis l'importation massive des biens d'équipements, des matières premières pour l'industrie et des produits de large consommation. L'Etat utilise cette rente énergétique à des fins de répartition, plus encore sa légitimité en dépend. La rente pétrolière n'a pas suffi à couvrir les besoins de financement de l'économie nationale. La dette extérieure va le faire. A partir de 1979, les ressources financières du pays vont connaître une nouvelle orientation, elles sont affectées à la consommation, aux infrastructures et aux remboursements des crédits extérieurs. Par ailleurs si un pouvoir veut accélérer l'industrialisation, développer les infrastructure au-delà de ce que les gouvernés, abandonnés à eux-mêmes, toléraient ou supporteraient, s'il veut modifier fondamentalement le mode d'exploitation de l'agriculture, il est obligé de recourir à des procédés despotiques puisque par définition, il veut imposer des mesures que les administrés n'acceptent pas spontanément. La crise qui affecte la production agricole a des origines lointaines; elle découle de la spécialisation à laquelle a été soumise l'agriculture durant la période coloniale. L'implantation d'un capitalisme agraire de l'extérieur s'est traduite par la spécialisation de l'économie algérienne dans une production agricole largement destinée à répondre aux besoins de la métropole et donc déconnecté des besoins internes de consommation alimentaires, d'où un secteur agricole désarticulé, alors que le secteur «moderne» qui couvre les meilleures terres produit des cultures pour l'exportation et le secteur «traditionnel» n'arrive pas à couvrir les besoins du marché interne. Cette mise en valeur de type colonial s'est faite au prix d'une surexploitation et une dégradation des terres aggravées par les phénomènes climatiques saisonniers. Les causes plus récentes de stagnation de la production de la productivité peuvent se ramener à des facteurs d'ordre économique et politique de nature organisationnel et institutionnelle. Ils touchent à la logique et à la cohérence du fonctionnement de l'agriculture. Ils s'articulent autour des problèmes d'approvisionnement, autour des circuits de distribution et des modalités de financement. La conjonction de ces problèmes selon des configuration spécifiques au niveau des secteurs autogérés, privés et de la réforme agraire se traduit par des lenteurs bureaucratiques, des lourdeurs administratives, des déficiences à tous les niveaux qui expliquent largement la stagnation de la productivité et de la production agricole dans la mesure où les possibilités d'extension de la protection selon un mode extensif sont impossibles. Malgré les différentes «réformes» qu'il a connu, le fonctionnement du secteur agricole reste obéré par des problèmes fondamentaux concernant le statut de la propriété foncière, le degré réel d'autonomie de gestion et de responsabilité de domaines agricoles; le secteur privé, s'il dispose de l'autonomie de gestion n'en est pas moins affecté à des «psychoses» de nationalisation qui se traduisent par une fuite devant l'activité agricole qui prend de multiples aspects (abattage des vaches laitières, vente de troupeaux, refus de culture ou lotissement de terrain à vocation agricole, etc.). Si l'insuffisance de l'offre de biens alimentaires au niveau des marchés officiels n'a pas donné lieu à des pressions inflationnistes sur les prix, c'est qu'elle a été compensée par un recours massif à l'importation et que les produits constitutifs ont été fortement subventionnés à la consommation ou plus exactement à l'importation. Pour conclure sur ce sujet à la fois passionnant et important, on peut dire que l'offre des biens de consommation, notamment les biens agricoles, est pratiquement descendante. Tandis que la demande des biens agricoles est fortement élastique. Cette situation découle du modèle de développement qui s'est traduit par un faible taux d'investissement dans le secteur agricole. La stagnation sinon la régression de la production agricole a donné lieu à une forte dépendance alimentaire vis-à-vis de l'extérieur et des tensions inflationnistes insupportables pour les bas revenus, sans oublier l'aggravation de la dette extérieure. Le problème du pouvoir en Algérie est également un problème de climat moral parce qu'il y a confusion entre l'économie En effet, les mesures économiques visant à développer la production et à rentabiliser la gestion ont souvent un effet antisocial car elles favorisent la concentration des richesses et du pouvoir de décision entre les mains d'entrepreneurs, plus soucieux de productivité et de rentabilité que de paix ou de justice sociale. En sens inverse, les mesures sociales qui visent à une grande justice dans la répartition sociale et à une amélioration du sort des couches modestes de la population coûtent de l'argent à la société et l'appauvrissent d'une certaine manière. D'une manière générale, les mesures économiques sont considérées antisociales et les mesures sociales antiéconomiques et la politique au sens noble du terme, nous semble-t-il, est l'art difficile d'établir dans une société donnée à un moment donné un certain dosage entre les mesures économiques et les mesures sociales. Faire de la politique en Algérie, signifie seulement lutter pour conserver le pouvoir ou lutter pour le conquérir, pour soi-même ou pour son groupe pour les privilèges qui y sont attachés. Plus l'économie est fragile, plus les menaces internes sont dangereuses, plus le pouvoir fait appel à l'extérieur, les dirigeants politiques au pouvoir ou dans l'oppostion, recherchent des patrons étrangers (ancienne puissance coloniale ou super puissance) donc une relation d'Etat-client à Etat-patron. D'où un retour en force, sous l'impulsion des économies dominantes ou des organisations multilatérales qu'elles contrôlent, des pressions en faveur du libéralisme c'est-à-dire du libre jeu du marché, de la vérité des prix, de la liberté d'entreprendre, mais aussi de la privatisation, de la déréglementation, d'un rôle aussi large que possible de l'entreprise et des capitaux privés y compris étrangers ainsi qu'une référence déterminante aux critères de la combattivité sur les marchés mondiaux. Dans ce cadre, l'Algérie peut être considérée aujourd'hui comme un relais relativement «sage» du processus de mondialisation économique dans une position de faiblesse manifeste, c'est l'abandon du nationalisme économique des années 70 et le passage à un discours d'adaptation aux lois du marché mondial. Ce processus de mondialisation qui tend à imposer un système planétaire de type capitaliste autour des USA, de l'Europe et du Japon, s'appuyant sur un système monétaire unique dont il convient de gérer les tensions pour en pallier les excès et les dérèglements. L'Etat algérien est appelé à gérer les effets internes de la mondialisation économique suivant une démarche plus réaliste que nationaliste. Les hommes et les groupes rivaux ne se soucient pas de réfléchir aux problèmes fondamentaux de la société, ni de proposer un programme précis pour les résoudre mais seulement de se maintenir ou d'accéder au pouvoir. Le problème majeur de l'Algérie d'aujourd'hui est fondamentalement politique. C'est celui de la légitimité du pouvoir. Il réside dans le fossé qui sépare le peuple de ceux qui sont chargés de conduire son destin. Le recours systématique à la Banque Mondiale et au FMI ne traduit-il pas l'absence de tout projet national de développement depuis le début des années 80 ? De plus, l'évolution de l'Etat algérien n'est-elle pas marquée par le paradoxe suivant : déficit de légitimité interne et recherche de nouvelles sources de légitimation externe à travers la restauration de la confiance des milieux financiers internationaux ? La privatisation est aujourd'hui un phénomène mondial et aucun pays ne semble être épargné. Ce phénomène s'explique par le déséquilibre structurel et chronique de la balance des paiements, du poids des contraintes budgétaires, par l'inefficacité des entreprises publiques et la paralysie du secteur productif. Il est favorisé par l'ampleur des capitaux nationaux oisifs et spéculatifs, par la mise en œuvre des programmes d'ajustement structurels recommandés par le FMI et la BIRD, et par les pressions idéologiques et doctrinales des bailleurs de fonds étrangers. La privatisation peut également s'analyser comme un retrait de l'Etat à un moment où l'internationalisation des capitaux ne laisse aux gouvernements guère d'alternative que la reconnaissance et la stimulation de la dynamique des entreprises. Cette privatisation s'entend comme un retour à la «normale» c'est-à-dire la remise en cause des privilèges et des monopoles. Privilèges des syndicats qui s'identifiaient au pouvoir politique et qui émargeaient au budget de l'Etat ; privilèges des travailleurs qui percevaient des salaires sans fournir de contrepartie productive ; privilège enfin des dirigeants, exemptés de l'obligation de résultats et assurés d'une stabilité certaine et durable de leur carrière grâce à une gestion fondée sur le clientélisme, voire le tribalisme. Mais dans la mesure où la production et la reproduction des bases matérielles de la société repose de plus en plus sur l'économie mondiale, la maîtrise du pouvoir économique et donc politique échappe aux acteurs locaux. En effet, pour assurer la stabilité de la société et par là même la sienne, le pouvoir en Algérie doit sans cesse chercher des revenus extérieurs par: une augmentation de prix des hydrocarbures: une accélération de l'exploitation des gisements pétroliers et gaziers ; une cession d'actifs ; un transfert de tout ou partie du pouvoir c'est-à-dire une insertion plus profonde dans le marché mondial; s'interroger sur la responsabilité des gouvernements dans l'aggravation de cette situation revient à poser le problème du choix des orientations économiques nationales. Dans le cadre d'une thèse de doctorat d'Etat en sciences économiques sur le thème de la gestion des EPE et la question de la légitimité du pouvoir en Algérie soutenue au milieu des années 90, en examinant les perspectives à long terme, nous avions esquissé deux alternatives des réformes de 1988 : * La première alternative optimiste, celle de la réussite des réformes est de s'attendre à une réduction de la dette extérieure, à une baisse de l'inflation, à une résorption du chômage, à une ouverture des marchés occidentaux aux biens et services produits par les pays endettés, à une reprise de la croissance. En d'autres termes, après une période de «sacrifice» imposée aux travailleurs, aux consommateurs, et les secteurs privés dominants pendant le processus d'ajustement, les besoins pourront être graduellement satisfaits au moyen de politiques compensatoires. Dans le même temps, l'approfondissement des réformes du marché réduira progressivement les disparités sociales traditionnelles reflétant ainsi les changements sociaux et les nouvelles orientations économiques. * La seconde alternative, cette fois-ci pessimiste, celle de l'échec des réformes libérales conduisant à une déroute «catastrophique» de l'Etat susceptible de compromettre sérieusement la capacité du secteur public à conserver l'infrastructure de base et à satisfaire les besoins les plus élémentaires des couches sociales les plus démunies et les plus marginalisées. Par contre la réduction de la capacité de l'Etat à réguler le fonctionnement de l'économie libérale et privée peut promouvoir des marchés hautement concentrés et une spéculation financière pouvant entraîner une croissance lente et instable. Ces conséquences pouvant contribuer à leur tour à une aggravation de la désarticulation du tissu social et à une perte définitive des identités collectives entraînant une diminution massive de la participation des citoyens au scrutin et à un désintéressement à la politique prônée par les gouvernants. Cette situation peut attiser les mouvements sociaux, religieux et laïques vers des convulsions sociales menant au chaos économique et social. Trente ans, la même problématique, le même questionnement, les mêmes hommes, le même logiciel qui de surcroît infecté. En 2008, faut-il le rappeler, la hausse des prix des matières premières agricoles a entraîné des émeutes de la faim provoquant une crise alimentaire entraînant une flambée des prix des denrées alimentaires. Quelques mois plus tard le cours des matières redescendit laissant entrevoir une sortie de crise. Le prix du brut plafonnait autour des cent dollars. Aujourd'hui, de nombreux économistes alertèrent sur une crise alimentaire durable provoquée par la volatilité des prix des biens alimentaires. Le prix du brut redescend à moins d'un dollar le baril. La machine est déréglée. Ces évènements montrent que les marchés mondiaux sont orchestrés par les organismes internationaux comme l'OMC, l'OMS, l'AIE, l'OPEP et pouvaient être la source de l'insécurité alimentaire et sanitaire de l'humanité. L'OMC plaçait le libre-échange et la concurrence comme axe prioritaire au détriment du développement des économies locales et des productions alimentaires autosuffisantes. Les Etats ont fait confiance au marché au lieu de place de leurs peuples. A présent, ils paient leur myopie. L'erreur de la stratégie algérienne de développement réside à notre sens dans l'automatisme qui consiste à vouloir se débarrasser de ce que l'on a au lieu de l'employer productivement chez soi ; la finalité de l'économie fut ainsi dévoyée, car il ne s'agissait pas d'améliorer ses conditions de vie par son travail mais par celui des autres grâce au relèvement des termes de l'échange avec l'extérieur. En résumé, toute politique agricole mal pensée, mal conduite, provoquera une inflation galopante laquelle limitera la demande, donc l'opportunité d'investissement, réduisant ainsi les capacités de production avec comme conséquence le chômage massif et l'endettement extérieur sans compter l'insertion dans le système économique dominant aujourd'hui en pleine crise dans une position manifeste de fragilité. Ce sont les populations pauvres, qui ne sont aucunement responsables des fautes et erreurs commises par leur gouvernement, que l'on punit par la misère et la violence du désespoir Notes : «...Un brigand agresse sauvagement à coups de couteau un passant pour lui dérober son portefeuille. Terrassée et gisant dans son sang, la victime supplie son agresseur de lui envoyer des secours. Ce dernier ramène deux charlatans de ses amis. Le premier médecin libéral, docteur du FMI, refuse de croire à l'agression et diagnostique une simple faiblesse. Un bonne saignée remettra le patient d'aplomb. Le second médecin socialiste et fonctionnaire, admet l'agression mais maintient le diagnostic de malaise et recommande vitamines et exercices. Tandis qu'ils se disputent ainsi, la victime achève de perdre son sang sous les quolibets de l'agresseur?» Serge LATOUCHE. Faut-il refuser le développement ? |
|