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Un décret exécutif vient
d'être publié au Journal Officiel (Décret exécutif n°20-60 du 19 Rajab 144 correspondant au 14 mars 2020) fixant la
convention-type conclue entre les organismes de Sécurité sociale et les
Établissements hospitaliers privés (EHP), pour la prise en charge de
l'accouchement. La promulgation de ce décret intervient dans un contexte marqué
par de grandes difficultés économiques et financières avec la chute du prix du
baril de pétrole atteignant des niveaux historiques et une grave crise
sanitaire qui vient mettre à mal notre système de santé, déjà en crise faute de
s'être adapté aux défis, nés de la transition multiple (démographique,
épidémiologique, sociologique...) que vit notre pays depuis au moins deux
décennies. Dans cette contribution, nous tentons de déceler, dans un premier
temps, les motivations sous-tendant la décision de conventionnement de
l'accouchement. Dans un second temps, nous mettons en évidence ses enjeux et
ses impacts sur les différents acteurs de notre système de santé, qu'ils soient
médecins, propriétaires de cliniques, patients et organismes de Sécurité
sociale. Avant d'aborder ces questions, il est nécessaire de jeter un coup de
projecteur sur les structures privées existantes et leurs capacités d'accueil,
le nombre d'accouchements dans les deux secteurs juridiques et les modes de
tarification des cliniques ainsi que les formes de rémunération des
professionnels intervenant au niveau de ces structures de soins.
1- Panorama des cliniques privées opérationnelles En 2018, 17 cliniques médicales avec hospitalisation, 25 cliniques médicales de jour, 135 cliniques médico-chirurgicales avec maternité, 60 cliniques médico-chirurgicales sans maternité, 84 cliniques médico-chirurgicales de jour (ambulatoire) et 160 cliniques d'hémodialyse ont été recensées. Ce sont les 135 cliniques médico-chirurgicales avec maternité qui sont concernées par les activités d'accouchement. En termes de taille et de capacité litière, la majorité d'entre elles sont de taille modeste disposant entre 10 et 30 lits. Géographiquement, elles se répartissent comme suit : 10 wilayas abritent une seule clinique, 24 wilayas localisent entre 2 et 7 cliniques, une wilaya dispose de 9 cliniques (Oran), 2 wilayas (Sétif et Tizi-Ouzou) abritant chacune 10 cliniques et une wilaya (Alger) concentre 20 cliniques. Notons que 11 wilayas ne recensent aucune clinique privée sur leur territoire. On voit bien que les déséquilibres géographiques sont manifestes. Ce ne sont pas toutes les wilayas qui sont concernées par le développement des activités du secteur privé. Les données sur le détail des activités des cliniques privées et les moyens dont elles disposent (nombre de lits en maternité, nombre de blocs opératoires, les équipements, le personnel en exercice...) ne sont pas disponibles dans les statistiques publiées par le ministère de la Santé (MSPRH). Il est donc difficile d'évaluer la capacité des 135 EHP pour répondre à la demande qui va s'exprimer. Evidemment, la situation varie d'une structure à une autre en fonction de la taille, du lieu de localisation... 2- Le nombre d'accouchements dans le secteur public Les données sur les accouchements dans le secteur public sont disponibles. Toutefois, nous ne disposons pas de détails sur le type d'accouchement (accouchement par voie basse, césarienne, forceps...). En 2018, le nombre d'accouchements au niveau national, dans les structures publiques, par type d'établissement (EH+EPH, CHU+EHU, EHS et EPSP) était respectivement de 388.089, 97.699, 212.069 et 117349, soit un total de 815.206 accouchements. 3- Les accouchements dans le secteur privé : essai d'évaluation Dans le secteur privé, aucun état exhaustif à l'échelle nationale n'est disponible dans les statistiques officielles. Les données existent au niveau des directions de la Santé et de la Population (DSP) des wilayas puisque les cliniques rendent compte trimestriellement de leurs activités. Les informations transmises ne sont pas toujours fiables car les cliniques essayent de les faire coïncider avec celles transmises aux services fiscaux. De ce fait, des problèmes de sous-déclaration manifestes sont observés. Pour parler de chiffres, il n'est pas aisé de procéder à une évaluation précise faute de données sur les activités du secteur privé. Nous pouvons tenter une approximation du nombre d'accouchements qui ont lieu, au niveau du secteur privé, en mobilisant les données de l'Office National des Statistiques (ONS) sur la natalité (puisées des registres de l'état civil), moyennant quelques hypothèses. En 2018, selon les données de l'ONS, 1.038.000 naissances vivantes ont été enregistrées. Le nombre de mort-nés était de 12.712. Comme nous ne disposons pas de données sur le nombre d'accouchements gémellaires (2 et plus), nous supposerons que tous les accouchements ont donné lieu à une seule naissance. Tenant compte de ces hypothèses, le nombre d'accouchements en 2018 serait de 1.050.712 (1.038.000 naissances vivantes + 12.712 mort-nés). La différence entre ce total et les accouchements enregistrés dans le secteur public représentera le nombre d'accouchements qui ont lieu dans le privé, soit 235.506. Le partage public/privé serait donc de 77,6% /22,4%. Si nous répartissons les accouchements équitablement entre les 135 cliniques en activité, chacune d'entre elles aurait réalisé environ 5 accouchements / 24h. Ce volume d'activité semble raisonnable pour des cliniques de petite ou de taille moyenne. 4- Les modes de tarification des cliniques et les modalités de rémunération des médecins Les cliniques ne sont pas encadrées par un quelconque dispositif officiel de tarification. Elles tentent de trouver des normes de tarification sur un territoire en se comparant avec d'autres structures de même standing (benchmarking). Les cliniques tentent de s'aligner pour qu'il n'y ait pas de grandes différences tarifaires entre elles. Une sorte d'accord tacite est observée. La grille de tarification ainsi adoptée représente la norme interne de la clinique. Elle sert de référence pour facturer les prestations aux patients, pris en charge par les médecins permanents de la clinique et les médecins externes (les médecins libéraux et ceux du secteur public disposant d'une activité parallèle dans le secteur privé) qui se conforment aux tarifs de la clinique. Il y a donc le tarif territorial, auquel il faut ajouter la complexité de ce que le patient va vraiment payer, par rapport aux stratégies des professionnels. Toutefois, cette tarification ne va pas être forcément connectée avec ce que les patients vont réellement payer. Elle va dépendre du mode de tarification de la clinique, du canal de recrutement des patients, et de la pratique des dépassements d'honoraires par les médecins externes. Deux modalités de rémunération des médecins externes sont adoptées. La première modalité est une tarification au forfait c'est-à-dire que le médecin externe loue le bloc opératoire de la clinique au tarif horaire (entre 15 000 et 20 000 DA) pour réaliser son intervention. La tarification au patient s'est faite au niveau du cabinet ou de l'hôpital public. Dans ce cas, la clinique ne dispose d'aucune information sur le tarif pratiqué par le médecin externe. Cette façon de faire avantage plus le médecin externe que la clinique. La deuxième modalité est la tarification au pourcentage (s'applique également aux médecins permanents de la clinique) mais le partage des honoraires diffère. Alors que les médecins permanents sont rémunérés à l'acte, soit entre 20 et 25% du tarif de la prise en charge, les médecins externes perçoivent entre 40% et 50% sous forme d'honoraires. Ces pourcentages varient suivant l'origine du recrutement du patient. Si par exemple, le patient est recruté par la clinique et que cette dernière fait appel à un médecin externe pour sa prise en charge, le pourcentage qui revient au médecin est de 30% au lieu de 40% ou 50%. La tarification au pourcentage est plus avantageuse pour la clinique car elle ponctionne une partie sur chaque acte réalisé. 5- Les motivations du conventionnement des accouchements avec les cliniques privées D'abord, nous ne savons pas qui a négocié la convention-type avec les organismes de sécurité sociale. À notre connaissance, il n'existe pas une association nationale, représentative de l'ensemble des EHP. Il semblerait que les cliniques sont organisées suivant leurs régions de localisation : Centre, Ouest et Est. Pour revenir aux motivations qui sous-tendent la décision de conventionnement, nous pouvons avancer deux raisons. La première (la principale) est liée à la volonté de réduire la charge sur les structures publiques, souvent dépassées surtout que l'accouchement est un heureux événement, qui doit se dérouler dans des conditions dignes et humaines. La crise sanitaire que nous traversons a-t-elle accéléré la prise de décision pour limiter la propagation du virus au niveau de nos structures publiques de santé sachant que les activités de gynécologie-obstétrique et de maternité sont très intenses (un million de naissances par an) ? Peut-être ! La deuxième se rapporte à la volonté des organismes de Sécurité sociale d'acheter ce service auprès des prestataires privés de soins en imposant un tarif conventionnel afin d'alléger le fardeau des dépenses de santé, de plus en plus lourd, pesant sur les assurés sociaux et leurs ayants-droit quand ils recourent au secteur privé de soins. Ce faisant, la Sécurité sociale ne va plus se comporter en financeur aveugle de soins comme elle le fait à travers sa participation au financement des structures publiques de santé via une dotation annuelle qu'est le forfait hôpital. Ce dernier est censé couvrir les dépenses occasionnées par les assurés sociaux et leurs ayants-droit au niveau des structures publiques. Nous pouvons se demander s'il s'agit d'une expérience pilote pour l'élargir éventuellement, à d'autres types de prise en charge ou plutôt une réponse ponctuelle à une situation conjoncturelle. 6- Les impacts du conventionnement des accouchements sur les acteurs du système de santé Les conséquences du conventionnement des accouchements sur les acteurs du système de santé sont multiples et diverses. Elles peuvent être appréhendées à plusieurs niveaux (l'impact sur la Sécurité sociale est traité dans un point à part). - Croissance des demandes de prise en charge et modification éventuelle de la structure des activités des cliniques Cette ouverture au privé provoquera un rush vers les cliniques privées, qui pour l'instant ne disposent pas de capacités d'accueil suffisantes pour accueillir toutes les parturientes qui vont s'y rendre. Elles vont bénéficier d'un effet volume important au point où certaines d'entre elles peuvent revoir la structure de leurs activités, et être amenées à sacrifier des prises en charge dans d'autres spécialités au profit des accouchements si cela s'avère nécessaire. - Dynamisation de l'investissement dans le secteur privé des soins Le conventionnement peut entraîner un véritable « effet d'aubaine » en boostant l'investissement dans le secteur privé sous forme de création ex-nihilo de cliniques mono-spécialisées en gynécologie-obstétrique et l'extension des activités vers cette spécialité pour les structures déjà existantes non dotées d'un service dédié. Je rappelle que la mise en place d'une politique de conventionnement, en 2002, pour le cas de l'hémodialyse (et de la chirurgie cardiaque) a entraîné la multiplication du nombre de cliniques sur le territoire. Sur les 430 cliniques opérationnelles, en 2018, 35% sont dédiées à l'hémodialyse. Nous voyons bien l'effet attractif d'une politique publique ou d'une solvablisation du marché sur la dynamique de création de cliniques privées. Verrons-nous des bailleurs de fonds, étrangers au domaine médical investir ce créneau, nouvellement solvabilisé par la Sécurité sociale ? Pour l'instant, la majorité des cliniques appartiennent à des médecins à l'exception de l'hémodialyse où la structure de ce marché est singulière. Il semblerait qu'un opérateur économique privé dispose d'un quasi-monopole avec à son actif une chaîne de cliniques implantées dans plusieurs wilayas. - Modification des stratégies de recrutement des patients et des conditions d'accès au plateau technique des cliniques Des répercussions sur les stratégies de recrutement des patients par les cliniques privées peuvent avoir lieu. Jusqu'à maintenant, les médecins externes des cliniques recrutent leurs patients au niveau de leurs cabinets et de l'hôpital. Quant aux patients anonymes qui s'adressent directement aux cliniques, ils sont généralement pris en charge par les médecins permanents des cliniques (dans le cas où la clinique dispose d'un gynécologue-obstétricien à plein temps). La taille limitée du marché des soins, du fait de la quasi-absence d'une prise en charge collective des dépenses occasionnées dans le privé a exacerbé la concurrence entre les cliniques (et les médecins externes) pour attirer les patients. Les cliniques privées combinent plusieurs stratégies de recrutement de patients, parfois contraires à l'éthique médicale, afin d'optimiser leurs niveaux d'activité. Trois stratégies complémentaires sont élaborées. La première consiste à recruter directement les patients pour le compte de la clinique en recourant surtout au bouche à oreille (BAO). La deuxième est celle du conventionnement (formel ou tacite) avec le maximum de médecins de différents profils : médecins libéraux, médecins du secteur public mais aussi des médecins correspondants qui n'interviennent pas directement au niveau des cliniques mais réfèrent les patients pour le compte des cliniques moyennant ou pas un intéressement financier ou autres avantages. La troisième est la conclusion de conventions avec les entreprises et administrations afin de prendre en charge les besoins de santé de leurs employés. Ces stratégies peuvent connaître des modifications puisque la dépendance peut basculer du côté des médecins externes qui doivent assurer une place pour leurs patients au niveau des cliniques. En effet, pour bénéficier des prestations, l'assuré (e) social (e) doit disposer d'un accord préalable d'admission délivré par l'établissement privé (Art.21). Les modes de rémunération des médecins externes et les conditions d'accès au plateau technique peuvent également être impactés. Dans le cas où ce sont les cliniques qui fourniront de l'activité aux médecins externes en leur confiant ses patients, ou même si ce sont ceux des médecins externes, les cliniques disposeront d'un pouvoir de négociation plus important pour imposer leurs conditions. - Création d'une pression sur le marché des gynécologues-obstétriciens et des sages-femmes L'article 5 de la convention stipule que les activités d'accouchement de l'établissement privé doivent être assurées sous la responsabilité d'un médecin spécialiste en gynécologie-obstétrique, exerçant à plein temps. Cette disposition va accroître le nombre de gynécologues-obstétriciens à recruter à plein temps. Les EHP trouveront, tous, un gynécologue-obstétricien qui acceptera d'exercer de façon permanente et qui prendra la responsabilité de tous les actes réalisés au niveau de l'établissement ? Ce n'est pas certain vu que l'activité en cabinet pour ces spécialistes peut être plus rentable et moins contraignante qu'une activité à plein temps au niveau d'un EHP. Les cliniques peuvent rencontrer d'importantes difficultés pour recruter des sages-femmes pour prendre en charge les accouchements normaux. Exclues progressivement du système de santé, elles se font de plus en plus rares. D'ailleurs, un audit de ce métier est indispensable ! Présentement, les cliniques privées engagent les sages-femmes retraitées et celles du secteur public s'adonnant à des activités dans le privé. Ce déficit peut même justifier le raccourci vers les césariennes ! - Maintien versus abandon des dépassements d'honoraires La convention fixe des tarifs conventionnels que les cliniques doivent respecter. L'article 13 précise que « l'établissement privé s'engage à ne pas demander aux bénéficiaires, d'autres honoraires au titre des actes prévus à l'article 3 ». Il est fait état de 8 types de prise en charge. L'acte le moins coté est l'accouchement simple par voie basse. Le tarif conventionnel est fixé à 25.000 DA. L'accouchement par césarienne avec pathologie associée HTA, diabète, prise de médicaments compris est l'acte le mieux rémunéré, soit 60.000 DA. Entre ces 2 tarifs, il y a 6 autres cas, chacun avec un tarif correspondant. Nous savons bien que les tarifs pratiqués par les cliniques sont nettement supérieurs aux tarifs conventionnels. Aujourd'hui, dans beaucoup de cliniques de la capitale (et même ailleurs), la césarienne est facturée à 100.000 DA et l'accouchement normal entre 50.000 et 60.000 DA. Deux situations peuvent se présenter. Dans le cas où les cliniques respectent les tarifs conventionnels du fait que les organismes de Sécurité sociale leur garantissent de l'activité, le risque pour les patients est celui d'accéder à des soins low cost. L'objectif pour les cliniques est celui de réduire leurs charges et maintenir une bonne marge bénéficiaire. Dans le cas contraire, les cliniques ne respectent pas les tarifs proposés et exigeront un reste à charge pour les patients. Il semblerait que la pratique des dépassements d'honoraires est assez répandue pour le cas de la chirurgie cardiaque. Les patients oseront-ils dénoncer ces pratiques quand nous connaissons les attitudes d'auto-censure caractérisant les comportements de nos patients ? - Engendrement des inégalités d'accès à la prise en charge de l'accouchement Les déséquilibres géographiques dans la répartition territoriale des cliniques généreront, à coup sûr, des inégalités d'accès aux soins, pour ce type de prise en charge. Assisterons-nous à des mouvements de parturientes des wilayas les moins dotées en structures privées vers les wilayas les plus dotées ? Sans doute! - Augmentation probable du taux de césariennes Les césariennes présentent plusieurs avantages pour les cliniques privées. Financièrement, elles sont mieux rémunérées que l'accouchement normal, elles sont réalisées en moins de temps et elles sont programmables, ce qui facilite la gestion du plateau technique. Enfin, selon les médecins, le risque fœtal et maternel est minimisé. Le recours à la césarienne croît quand les diagnostics et examens révèlent un niveau de risque médical et obstétrical élevé, notamment en cas d'antécédents de césarienne, de détresse ou de présentation anormale du fœtus, de pré-éclampsie, de diabète, de retard de croissance in utero, etc. Des facteurs non médicaux sont également déterminants comme les caractéristiques socioéconomiques des femmes, les pratiques médicales des professionnels de santé, ainsi que l'organisation et le financement du système de santé. Pour revenir à notre contexte, dans une recherche antérieure, nous avons comparé les déterminants du recours à la césarienne dans les secteurs public et privé (Zehnati et collaborateurs, 2017) en exploitant la base de données de l'enquête nationale sur la santé de la mère et de l'enfant (MICS 4, Algérie). Il ressort de nos analyses que la probabilité de recourir à la césarienne est associée positivement au lieu d'accouchement. La probabilité d'accoucher par césarienne dans un établissement privé est multipliée par presque 8. De plus, nos résultats révèlent que les facteurs médicaux expliquent le recours à la césarienne dans le secteur public. En revanche, dans le secteur privé, ce sont les facteurs non médicaux qui déterminent l'accouchement par césarienne. Il n'est pas exclu, que le taux de césariennes déjà élevé au niveau des cliniques privées, évalué à 72% (Zehnati, 2014) connaîtra une augmentation même si dans le décret, il est fait mention que le médecin-conseil des organismes de Sécurité sociale, au niveau de la wilaya, sera destinataire des dossiers médicaux des parturientes avant et après l'accouchement. Nous nous demandons si le médecin-conseil est capable de traiter tous les dossiers et procéder à des contrôles a priori et a posteriori ? Dispose-t-il de l'expertise nécessaire pour distinguer entre les césariennes médicalement justifiées et celles qui ne le sont pas ? Même dans les pays les plus développés qui ont élaboré des recommandations professionnelles dans la but d'orienter les médecins dans la prise de décision, ne parviennent pas à faire face au pouvoir discrétionnaire du médecin dans le choix de recourir à la césarienne. Les médecins ne communiquent que rarement sur les effets indésirables des césariennes surtout quand elles ne sont pas médicalement justifiées. Plusieurs travaux évoquent un lien entre ce mode d'accouchement et diverses maladies chez l'enfant telles que l'obésité, les allergies respiratoires ou encore les maladies inflammatoires du système digestif. Les césariennes feront de ces enfants une population vulnérable face aux risques sanitaires comme celui que nous connaissons en cette période, en l'occurrence le Covid-19. 7- Estimation financière de l'impact sur les comptes de la Sécurité sociale L'impact sur les comptes de la Sécurité sociale n'est pas négligeable. Il est difficile de chiffrer les retombées financières surtout que nous ne disposons pas de données sur le détail des activités de gynécologie-obstétrique des cliniques pour effectuer des estimations. Pour tenter une évaluation, prendrons en compte deux actes : l'accouchement simple par voie basse, facturé à 25.000 DA et l'accouchement par césarienne avec pathologie associée, fixé à 60.000 DA. Nous retenons 2 hypothèses : une hypothèse basse avec le maintien du nombre actuel d'accouchements (situation de référence) et une hypothèse haute avec une augmentation du niveau d'activité des cliniques, suite à la décision de conventionnement. Hypothèse basse : En 2018, nous avons estimé à 235.506 accouchements (22,4% de l'ensemble des accouchements) qui ont eu lieu dans le privé, soit 5 accouchements par clinique/24 heures. Nous prenons ce niveau d'activité comme hypothèse basse, et nous admettons que 50% des délivrances correspondent à des accouchements simples par voie basse, et 50% sont des césariennes avec pathologie associée. Ce nombre d'accouchements avec cette structure d'activité vont générer une dépense annuelle de 10 milliards de DA pour les organismes de Sécurité sociale. Hypothèse haute : Nous supposons que le volume d'activité des cliniques sera doublé en passant de 5 accouchements par clinique /24h à 10 accouchements. Alors, les 135 cliniques opérationnelles réaliseront 492.750 accouchements par an, soit 46% du total des accouchements. 54% des accouchements continueront à avoir lieu dans le secteur public. La structure d'activité des cliniques étant la même que dans le cas de l'hypothèse basse. Avec ce nombre d'accouchements et cette structure d'activité, le coût annuel est de presque 21 milliards de DA pour les organismes de Sécurité sociale. Afin de situer ce niveau de dépenses, une comparaison avec les autres postes de dépenses des organismes de Sécurité sociale s'avère utile. Malheureusement, les données dont nous disposons datent de 2017 ; elles sont lacunaires et ne concernent que la CNAS (l'organisme le plus important). Le premier poste de dépenses de la CNAS reste le remboursement des médicaments qui s'élevait à 194 milliards de DA, soit 64% des dépenses totales de la branche assurances sociales. Le conventionnement avec les médecins généralistes et spécialistes a coûté respectivement 4,6 milliards de DA et 0,16 milliard de DA. Le conventionnement avec les cliniques pour le cas de la chirurgie cardiaque et la cardiologie interventionnelle a généré une dépense de 3,31 milliards de DA. Pour le cas de l'hémodialyse, le montant de la dépense avoisinait 11 milliards de DA. Conclusion Les cliniques privées vont toutes souscrire à la convention-type ? Pas sûr ! Leur adhésion dépend des résultats de l'arbitrage qu'elles feront entre le bénéfice de l'effet volume au tarif conventionnel imposé et le taux de rentabilité de leur activité avec les tarifs qu'elles pratiquent actuellement. La délégation des accouchements au secteur privé peut être perçue comme une mesure conjoncturelle face aux difficultés récurrentes de prise en charge des parturientes au niveau du secteur public. Le nombre d'accouchements est élevé et les effectifs des gynécologues-obstétriciens est réduit sachant qu'entre 70% et 80% d'entre eux exercent dans le secteur privé. La démarche de la Sécurité sociale paraît logique en dépit de son caractère partiel. La généralisation du conventionnement à l'ensemble des prestations de soins délivrés par le secteur privé est souhaitable, étant donné l'importante charge financière qui pèse sur les patients, en tant que payeurs en dernier ressort. Aller vers cet objectif semble être une entreprise risquée qui compromettra l'existence même des organismes de Sécurité sociale à cause de l'importance des dépenses qui seront générées. C'est peut-être l'une des raisons qui ont poussé les tutelles à des décennies d'atermoiements dans la mise en œuvre du projet de contractualisation qui était sur l'agenda du gouvernement depuis 1993. Au-delà des questions traitées dans cette modeste contribution, la pandémie de coronavirus nous rappelle combien il est urgent de réformer en profondeur notre système de santé et celui de la Sécurité sociale qui doivent être fondés sur une solidarité agissante, une équité réelle, une participation active et un sens élevé des responsabilités de tous les acteurs qu'ils soient médecins, patients, prestataires de service et pouvoirs publics. *Docteur Ahcène Zehnati est économiste de la santé, chercheur au Centre de Recherche en Économie Appliquée pour le Développement (CREAD). Il est également chercheur associé au Laboratoire d'Économie de Dijon (LEDi). Sa thèse de doctorat, soutenue en 2014 a porté sur une analyse économique de l'émergence et du développement d'une offre privée de soins en Algérie. Il a à son actif plusieurs publications dans des revues nationales et internationales. En 2017, il a publié un ouvrage collectif sur les évolutions récentes du système de santé algérien. En 2018, il a publié un autre ouvrage sur la démographie médicale en Algérie, paru aux éditions Loumi. Une deuxième édition revue et augmentée de cet ouvrage ainsi qu'un troisième ouvrage consacré à la médecine de ville, en Algérie, paraîtront incessament aux éditions Arak. |
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