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Les écoles professionnelles
suisses sont réputées dans le monde entier pour le sérieux de leur formation
dans tous les corps de métier sans exception. On devrait créer avec un pool de
ces écoles et en cofinancement avec des entreprises privées algériennes, quatre
centres pilotes de formation des formateurs (Est, Ouest, Centre et Sud).
Mais aucune démarche de cette nature ne peut réussir sans soutien actif de la société civile. L'Algérien est capable du meilleur quand il est motivé. Il l'est sans réserve quand il s'agit de ses intérêts. Je me souviens à Sidi Djilali, à l'extrême ouest du pays, au retour d'une partie de chasse éreintante où nous avions crapahuté, du lever au coucher du soleil, sur des pentes abruptes et rocailleuses, un membre de l'équipe, éleveur de son état, a passé toute la nuit à reconstruire sa bergerie qui avait été dévastée par la tempête. Il faut canaliser cette formidable énergie au profit du développement général et faire en sorte que le secteur privé en satisfaisant ses intérêts, satisfasse aussi ceux du pays. Il faut bien constater cependant, au vu des piètres résultats obtenus dans ce sens, que la motivation économique nécessaire à tous points de vue n'est pas suffisante. Il faut qu'elle aille de pair avec un environnement politique favorable. Pour qu'il en soit ainsi la société algérienne doit être associée au processus de décision engageant son avenir, à travers un parlement représentatif de ses différents courants d'opinion. C'est seulement de cette manière que se créera une synergie entre intérêts individuels et collectifs pour le plus grand bien du pays. Afin de parvenir à ce résultat, il s'agit d'engager au préalable le processus de recomposition de la scène politique en faisant en sorte que les partis qui la composent aient un poids électoral généré par la pertinence et donc la popularité de leur programme et non par la permanence de leur allégeance. Il faut engager enfin sans plus tarder le processus de moralisation de la vie politique et économique en décidant par une simple loi organique - puisque la Constitution prévoit la séparation des pouvoirs - que le Conseil supérieur de la magistrature devienne indépendant de l'Exécutif. Quiconque assurera la succession devra tenir compte de ses impératifs. Le peuple algérien a donné des signaux très forts aux dernières législatives : il ne veut pas de violence mais il ne veut pas non plus d'une continuité délétère. Il serait insensé que les cercles du pouvoir ne tiennent pas compte de son appel. Telles sont les réflexions que m'inspire l'histoire d'une réussite. Si Salah a pris sa retraite depuis quelque temps déjà mais son autorité managériale s'exerce encore dans les moments de grandes décisions. C'est aussi un homme d'influence dans la cité car il est membre du Conseil des sages de sa 3achira. Il est d'une grande piété. Il me raconte que dès sa prime enfance, son père les réveillait, ses frères et lui pour la prière du fadjr. Après celle du sobh, ils prenaient un solide petit déjeuner et se rendaient à l'école coranique. Ensuite, ils allaient à l'école publique, rentraient pour le repas de midi, revenaient à l'école et, après le dernier cours, se rendaient directement à la palmeraie familiale où il y avait fort à faire, au printemps surtout. Si Salah poursuit : « Nous grimpions dans les palmiers femelles pour apprendre comment les grands faisaient pour les féconder du pollen des palmiers mâles. Il fallait aider aussi à arracher les mauvaises herbes et reconfigurer à la pioche les rigoles pour que l'eau d'irrigation y circule sans entrave. Une eau rare et donc contingentée mais partagée de façon scrupuleusement égale entre les usagers, selon des règles ancestrales. Il fallait apprendre enfin comment tailler, enter et chauler les orangers, les mandariniers, les citronniers et les néfliers. L'enfant mzabi apprend ainsi les obligations cultuelles en même temps que la vertu de l'effort et comprend très tôt que faire son travail sur terre c'est plaire à Dieu. Nous sommes avec Si Salah dans sa palmeraie. Il se penche, ramasse une motte de terre rouge, l'écrase entre ses mains. Il cueille une fleur d'oranger, la frotte entre ses doigts, la sent longuement puis passe sa main sur le pisé rugueux du haut mur entourant la palmeraie et dit d'une voix grave, le visage soudain durci : « C'est notre terre, ce sont nos maisons, nous y resterons jusqu'à la fin des temps », c'est sa seule allusion aux événements récents. Le devoir de charité est le troisième pilier de l'éthique mzabie. Les différentes 3achirate sont organisées pour aider ceux qui sont dans le besoin. Elles sont aussi autant d'instances officieuses de conciliation et d'exécution à l'amiable des jugements de la justice officielle. En cas de coup dur qui frappe toute la communauté elles constituent un front commun. Une école privée a été construite sur un terrain gracieusement mis à la disposition de la communauté par un particulier à la suite du refus de certains enseignants de dispenser des cours à des enfants mzabis. L'école a été construite en un temps record. Elle assure un cycle de formation complet de l'élémentaire à la terminale. Les installations sportives seront construites sur un terrain mitoyen propriété du même donateur. En cas d'infraction grave à cette éthique sans concession, la communauté est en droit de prononcer l'excommunication. C'est la sentence implacable des hommes en attendant le jugement de Dieu. Celui qui la subit n'a d'autre alternative que le confinement jusqu'à la folie ou l'exil jusqu'à la mort. Seule une repentance sincère et reconnue comme telle par le conseil des sages peut mettre fin au calvaire du proscrit. Le lendemain matin, nous prenons la route pour Ghardaïa. Le docteur Omar y a exercé une dizaine d'années. Sa femme aussi qui est gynécologue. Il y connaît beaucoup de monde. Sa 3chira va organiser les noces de dix-sept couples. C'est donc un des hôtes et je suis son invité. Le mariage collectif aura lieu le jeudi dans la soirée. La route de Berriane à Ghardaïa est bonne. A une trentaine de kilomètres de notre destination, il y a une cité dont la construction est quasiment achevée. Rien à voir avec les monstruosités architecturales croisées jusqu'ici : l'urbanisme s'est adapté au style de construction traditionnel. C'est un ensemble de villas dont la couleur ocre pâle rappelle le paysage environnant fait de collines rocailleuses. Sur les hauteurs de Ghardaïa, juste avant d'entamer la descente en lacets vers la ville, il y a une plateforme d'où l'on a une vue panoramique sur la pentapole. On est frappé par l'harmonie de l'ensemble. Seuls en émergent les minarets typiques de la région, le reste des constructions se mêle à la palmeraie. A proximité de la plate-forme, il y a une clinique et un hôtel-restaurant, leur faisant face de l'autre côté de la route, il y a un immeuble en construction appelé à le devenir aussi. Le tout est d'une banalité désolante mais qui ne gâche pas au moins l'urbanisme puisque le tout est bâti sur les crêtes. Le propriétaire en est un riche Mzabi qui a investi chez lui. C'est tout à son honneur. Bon cœur, il a monté sur une plate-forme dominant la pentapole, une aire de jeux avec des manèges. C'est laid mais les gosses sont heureux et les parents y trouvent leur compte, le propriétaire aussi probablement. Nous allons chez Ahmed. C'est un personnage considérable. Hyperactif, il est la cheville ouvrière des Aït Younès. Il a donc un lien de parenté avec le docteur Omar. Il nous donne la clé d'un petit appartement avec entrée indépendante au rez-de-chaussée d'une maison apparemment inhabitée. Il nous y rejoint. Je suis assis à côté du docteur Omar sur une banquette recouverte d'un matelas et d'une lehifa (couverture molletonnée) multicolore. Il nous fait face. Il est assis sur un tapis à la manière des bédouins, c'est-à-dire les cuisses collées au sol, les genoux croisés, les jambes l'une sur l'autre, chaque cheville reposant sur le genou opposé. C'est une position impossible pour le non initié qui s'y risque. Il est vite ankylosé et contraint d'allonger subrepticement l'une de ses jambes s'il veut éviter la torture d'une crampe paralysante. Ahmed a posé devant lui une table basse sur laquelle il y a un plateau où est disposé tout l'attirail de la cérémonie du thé, la vraie celle-là : thé vert chinois exclusivement ; une botte de menthe fraîche ; du sucre en poudre ; deux théières en fer blanc galvanisé, une petite et une grande ; trois petits verres et un grand. A portée de la main gauche de Ahmed, il y a un réchaud électrique à un feu. Tout est axé sur la petite théière. Elle sert à extraire du thé sa quintessence pour permettre de la sorte à son acquéreur d'en avoir pour son argent (bach yahalallou drahmou). Concrètement l'opération consiste à y faire mijoter le thé sur lequel on a préalablement versé de l'eau bouillante. C'est la première mouture. Ahmed la transvase dans le grand verre. Elle a une couleur ambre très foncée. La deuxième mouture est jaune sombre. La troisième est jaune paille. Le thé a donné le meilleur de lui-même et son consommateur peut être satisfait de l'avoir acheté. Ahmed transvase le contenu du grand verre dans la grande théière et ajoute dans celle-ci l'eau, la menthe et le sucre. Il laisse mijoter le tout quelques secondes puis il nous sert en levant progressivement la théière jusqu'à son épaule. Une mousse se forme. C'est la touche finale : la « chéchia » sans laquelle le thé perd son label d'excellence, ses lettres de noblesse en somme. Ahmed met quelques grains d'encens sur le plateau encore chaud du réchaud. Leurs effluves odoriférants ajoutent à la convivialité. Les Mzabis ont l'art de bien recevoir et savent mettre leurs invités à l'aise. Ahmed habite à deux pas de la grande place. Après l'avoir traversée, nous nous engageons dans une rue étroite qui mène à la mosquée. Son minaret apparaît en perspective sur fond de ciel bleu. Sous la houlette de Ahmed, nous hâtons le pas pour ne pas manquer la prière du 3asar. La rue pentue s'est transformée en escalier aux larges marches qui deviennent de plus en plus étroites et raides au fur et à mesure de la montée. La dernière volée de marches est à pic et nous entrons dans la mosquée hors d'haleine juste à temps pour prendre place dans le dernier rang des fidèles. La prière se pratique selon le rite malékite, les bras le long du corps, comme du temps de nos pères avant l'invasion wahhabite. Les murs de la salle de prière sont peints à la chaux. Le sol est couvert de nattes. Ce dépouillement voulu participe de l'éthique évoquée plus haut. La prière est un acte de contrition, d'humilité et de méditation qui doit être ancré en permanence dans la morale la plus intransigeante. Le rituel excessif et ostentatoire sert trop souvent de nos jours, hélas, à travestir des agissements aux antipodes de la morale et des arrière-pensées on ne peut plus coupables. Après la prière, l'imam nous ouvre la porte de la terrasse jouxtant la salle de prière. De là, on comprend pourquoi la mosquée - cernée d'un côté par un escalier facilement défendable et de l'autre par une plateforme donnant sur le vide - est une citadelle imprenable ; c'est le symbole d'une volonté inébranlable de préserver ses convictions religieuses. Nous quittons la mosquée d'un pas plus lent qu'à l'aller, pour nous rendre avec Ahmed au siège de sa 3achira. C'est lui qui tient le cahier de doléances dans un réduit où il y a une table, une chaise et un ordinateur. La pièce voisine est une rotonde dont les murs sont chaulés et le plafond est constitué de dalles en verre translucide qui sert de plancher à la pièce du dessus. Les parties concernées y sont reçues par des membres du conseil. En cas de désaccord persistant c'est le conseil qui tranche après délibération. Celle-ci se tient dans une rotonde identique à celle du rez-de-chaussée. On y accède par un escalier en colimaçon. Les décisions se prennent à la majorité du quorum requis. Nous voici de nouveau dans la rue conduisant à la mosquée. Nous montons les marches qui y conduisent mais aux deux tiers du parcours nous prenons un autre escalier qui conduit à un centre de recherches sur l'ibadhisme. Le directeur en est Hadj Saïd. C'est un homme tout en rondeur, vêtu d'une gandoura beige de belle draperie qu'il porte élégamment. Il est à la veille d'un voyage au Japon où il doit assister à un séminaire. Son arabe est d'une grande limpidité qui sert une logique implacable, le sens de la litote et une ironie mordante. Il nous fait un exposé d'une demi-heure sur les activités du centre après quoi nous faisons le tour des rayonnages de la bibliothèque. Il nous signale au passage les ouvrages princeps sur l'ibadisme et le Mzab. Un rayon de la bibliothèque est réservé aux auteurs occidentaux qui se sont consacrés aux mêmes sujets. Nous lui souhaitons bon voyage et il nous apprend que c'est le premier qu'il effectue après une longue interruption. Il ne dit mot sur les raisons de celle-ci. A-t-elle été volontaire ou forcée ? Pendant notre séjour, nous avons visité un autre centre de recherche historique doté d'une bibliothèque comprenant des manuscrits très anciens déposés dans une pièce qui ne s'ouvre qu'au cas par cas. Nous avons aussi écouté quelques intervenants dans un séminaire consacré aux Aït Younès. Le docteur Omar lui-même prépare une monographie sur le cimetière de Sidi Bennour, situé entre Bouzeréah et Bab El-Oued, dont la sérénité a été vantée par Camus. On m'a dit que chacune des villes de l'heptapole dispose d'un ou de plusieurs centres de recherche. Ces initiatives de la société civile ne semblent pas être liées à une quête identitaire en réaction à quelque occultation ou manipulation et travestissement du passé comme il peut en exister dans les historiographies officielles. Les Beni Mzab regardent leur histoire en face. Ils sont fiers des dynasties rostomides et de la relative démocratie ayant caractérisé la désignation des neuf imams successeurs du père fondateur. Comme ils s'enorgueillissent de leur esprit de résistance séculaire. L'impulsion donnée à la recherche historique doit être plutôt vue comme l'expression d'un besoin d'affirmation, de soi par soi-même ; de ce particularisme que la société algérienne dans son ensemble tolère plus qu'elle n'intègre et souvent dénigre et qu'elle condamne volontiers comme hérétique. Des extrémistes ont-ils été à l'origine du déferlement de violence dans la région ? C'est possible mais comme toujours, l'argument religieux cache d'autres raisons bien concrètes celles-là ! Dans ce cas, peut-être le ressentiment des moins nantis côtoyant une société bien organisée et globalement prospère. Mais la violence, exutoire de rancœurs accumulées au fil des ans a-t-elle été spontanée ou fomentée ? Et dans ce dernier cas par qui ? Des forces occultes ? Intérieures ? Extérieures ? En conjonction les unes avec les autres ? Pourquoi ? Provoquer un schisme irrémédiable entre deux communautés ayant l'une comme l'autre le droit de vivre en paix sur la terre de leurs ancêtres ? Déstabiliser de la sorte durablement cette région charnière entre le Nord et le Sud du pays avec toutes les conséquences que cela peut avoir sur la stabilité de l'Algérie ? Le fait est que la haine est inexpiable. De part et d'autre, le réquisitoire est sévère. Les carences mais aussi les collusions sont dénoncées avec une colère rentrée et un découragement souligné par un bras qui se lève et retombe lentement. La présence massive de divers corps de sécurité lourdement équipés et harnachés montre bien qu'aucune éventualité n'est exclue. L'ordre est rétabli en tout cas à défaut de paix dans les cœurs. La grande place de Ghardaïa, cernée par des arcades où se nichent diverses boutiques, est occupée en partie par des étals où se vendent des fruits secs du cru et des produits artisanaux. En cette période de vacances scolaires, des parents accompagnés de leurs enfants marchandent un plateau en cuivre octogonal incrusté de motifs géométriques peints en noir. Le chef d'un parti politique d'opposition fait du tourisme culturel en famille. Il ne m'en est que plus sympathique. Un ancien confrère du docteur Omar, à la retraite aussi et portant le même prénom que lui se joint à nous et nous visitons ensemble trois gîtes d'étape appartenant à des particuliers. Deux d'entre eux se trouvent dans les environs immédiats de Ghardaïa. De hauts murs en pisé les mettent à l'abri du regard et de lourds portails en fer en interdisent l'entrée. Une fois à l'intérieur, le visiteur a une vue d'ensemble des lieux. Ce sont d'anciennes demeures privées transformées en centres touristiques. D'une des terrasses où nous conduit un des employés, on a une vue d'ensemble du gîte qui s'enfouit dans la palmeraie entourée de tous côtés par les collines rocailleuses caractéristiques de la région. A suivre... |
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