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L'Histoire ne
cessera jamais d'être interrogée. C'est par l'analyse de l'histoire passée et
présente que l'on peut comprendre les grands événements politiques et sociaux
dans le monde. Il faut se dire, pour ce qui concerne la démocratie, qu'aucun
peuple n'est devenu démocratique sans qu'il ne traverse des épreuves
historiques extrêmement douloureuses.
Un peuple n'est démocratique que par la « force de son histoire, par la force des progrès politiques, économiques et sociaux qu'il a arrachés tout au cours de son existence ». La démocratie n'est pas donnée, elle est toujours à conquérir. C'est un processus historique lent qui demande d'immenses sacrifices. Pour les pays occidentaux, la conquête de la démocratie a demandé des siècles. Pour les pays arabes, elle n'est aujourd'hui qu'en balbutiements. Mais quand bien même elle balbutie, les derniers événements depuis le « Printemps arabe » montrent que les masses arabes y aspirent. Dans la meilleure tradition laïque et démocratique, les populations arabes se sont révoltées contre des régimes répressifs, la corruption et la pauvreté, en revendiquant la liberté et l'espoir de meilleures conditions économiques. La démonstration est faite que les Arabes n'ont rien de différent des autres peuples. Tout être humain aspire à son humanité, c'est-à-dire d'« être créé libre ». Et cette essence d'être libre figure en chaque homme qui vit sur terre. Elle est innée par la pensée même qui la constitue, par qui elle doit son existence. « ..Peut-on emprisonner la pensée ? La pensée est toujours libre parce qu'elle ne doit sa liberté qu'à elle-même. » Un homme peut être esclave mais sa pensée demeure néanmoins libre. L'enfermement des peuples ou leur libération relèvera toujours de l'évolution des stades de leurs histoires. Précisément, le « Printemps arabe » a été un déclic inattendu du réveil de l'homme arabe, de sa léthargie historique, qui a surpris le monde entier. Et cette léthargie précisément est historique parce qu'elle relève de contingents de l'histoire. Aussi ne peut-on que s'étonner que pour la première fois dans l'histoire du monde arabe, les Tunisiens, les Libyens, les Égyptiens, les Syriens, les Yéménites ont donné une véritable leçon de combat démocratique au monde. L'humanité entière a vibré en direct sur les événements qui ont eu lieu sur la place Tahrir, au Caire, en Egypte. Et ce qui frappe d'emblée dans les révoltes arabes, c'est l'absence du fondamentalisme islamique. Cette révolte arabe n'est pas partie d'une quelconque idéologie laïque ou religieuse mais simplement de ce sentiment humain réel que les peuples ont trouvé en eux. De ce sentiment dont ils ont brusquement pris conscience qu'ils sont la société et que sans eux, il n'y a pas d'Etat. Et c'est cette force venue de nulle part qui les a investis et poussés à secouer les chaînes qui les asservissent, ne leur laissant point de lucarne d'une existence digne d'être vécue. L'Histoire du monde arabe opérait un grand tournant historique. Si la situation s'est retournée ensuite, la révolte arabe n'a rien perdu de son aura emblématique. Le « Printemps arabe » est désormais consigné dans l'Histoire. LES OCCIDENTAUX SONT-ILS REELLEMENT INTERESSES PAR LA DEMOCRATISATION DU MONDE ARABE ? Si la démonstration est faite que le sentiment démocratique dans les pays arabes ne se limite pas aux seules élites arabes et que l'immense majorité ne se mobilise que pour le fondamentalisme ou le nationalisme, la lecture occidentale est aujourd'hui battue en brèche. Et cette lecture est à mettre sur le caractère égocentrique des élites occidentales qui pensent bien juger alors qu'en réalité ils manquent beaucoup d'objectivité. La grande question qui se pose malgré tout : Qu'en sera-t-il demain ? Le problème pour être compris n'est pas de ce qu'il va émerger demain, mais de situer d'abord les freins à l'avènement de la démocratie dans les pays arabes. Evidemment, les obstacles sont considérables. Pour les comprendre, il faut d'abord situer l'architecture qui les a vu naître. Il faut se rappeler les événements qui ont marqué le XXe siècle. D'abord la disparition de l'Empire ottoman sous le poids de l'Histoire et son remplacement par une république kémaliste qui a cherché à s'inscrire dans la modernité. Mais cette république kémaliste ne pouvait pas couper les cordons avec son islamité. Dès son avènement, elle voguait entre un régime républicain à parti unique et un multipartisme où les forces politiques progressistes qui cherchaient à sortir du carcan autoritaire ont, à chaque fois qu'ils ont émergé, été freinés par des coups d'Etat militaires successifs (mai 1960, mars 1971, décembre 1980 et février 1997). Le même processus a joué pour les autres pays arabes qui ont regagné leur indépendance. Tous ces pays ont eu des régimes politiques républicains à parti unique (Egypte, Tunisie, Algérie, Syrie, Irak?). Quant aux pays monarchistes (Arabie saoudite, Koweït, Bahreïn, Emirats arabes unis, Oman, Qatar et Maroc), leur régimes politiques sont restés absolutistes. Et tous les pays arabes sont soutenus par l'Occident ou l'URSS selon le bloc dont ils sont alliés. Même aujourd'hui leur situation géopolitique a peu changé. La situation du monde arabe est extrêmement complexe. Quand on voit la Turquie qui est le pays le plus ancien et aujourd'hui peuplé de près de 80 millions d'habitants et ne jouit toujours pas de véritable démocratie. Bien plus, un régime islamiste qui a émergé par la voie des urnes tente depuis le début des années 1990 de verrouiller la scène politique. Il cherche à museler toute voix discordante. Alors que ce parti n'a pris le pouvoir qu'à l'occasion d'une grave crise économique que la Turquie a vécue à la fin des années 1990. Force est de dire que la voie démocratique des autres pays arabes moins préparés est encore semée de lourdes embûches. D'autre part, l'Occident ne cesse d'appeler publiquement les pays arabes à la démocratie. Cependant, dès que le peuple se soulève contre un dictateur au nom de la liberté et de la justice, et pas au nom de la religion, il se ravise et, dès lors, il est « profondément inquiet ». Cela relève de son hypocrisie. Au lieu de se réjouir qu'enfin les peuples arabes relèvent la tête pour prendre leur destinée en main, il s'empresse de mettre de nouvelles embûches pour dévoyer le mouvement ou de lui trouver un substitut qui maintienne ces peuples sous sa domination. Il faut se rappeler seulement qui a tracé la carte du Moyen-Orient. Sinon l'Occident. Avant même la décolonisation, il a morcelé la région moyen-orientale en mettant sur pied des micro-royaumes (accords Sykes-Picot). Rien n'a été laissé au hasard pour l'assujettissement du monde arabo-musulman. Les Saoud, aidés par les Britanniques, conquirent les provinces d'Arabie et, en 1932, de leur fusion, ils créent l'Etat d'Arabie à qui ils donnèrent leur nom saoudite. En 1945, ils nouèrent avec les États-Unis un accord (le pacte de Quincy) qui assure la protection de la famille Saoud et celle du royaume contre toute menace extérieure en échange de l'exploitation des gisements de pétrole par l'Amérique. La durée de cet accord est de 60 ans renouvelable. L'accord a été renouvelé pour une même durée en 2005 par le président George W. Bush. Et indirectement de cet accord, même s'il n'est pas dévoilé, les clauses de protection valent aussi pour les autres monarchies arabes. Les forces du CENTCOM (United States Central Command ou Commandement central des Etats-Unis) pour le Moyen-Orient et l'Asie centrale sont déployées au Koweït, à Bahreïn, au Qatar, aux Émirats arabes unis, à Oman, au Pakistan. Elles ont été également déployées en Jordanie et en Arabie saoudite lors de la deuxième guerre du Golfe. C'est dire l'importance de ces pays pour la puissance américaine. Le pétrole étant un « enjeu vital » pour les États-Unis dans leur stratégie planétaire pour la domination du monde. Donc on voit mal les Américains, y compris les Européens, accepter une véritable démocratisation du monde arabo-musulman et des pays arabes en particulier. Une démocratisation naissante des pays arabes provoquerait forcément des conséquences incalculables sur ces pays, ce qui se répercutera immanquablement sur les intérêts occidentaux. L'Amérique sera la première perdante. Sans une mainmise sur le pétrole arabe, la Réserve fédérale américaine ne pourrait plus financer son endettement par le reste du monde. Et cette donne du pétrole sur les émissions massives de dollars par l'Amérique, souvent incomprise, est laissée à dessein obscure. Donc on voit mal l'Amérique et l'Europe pousser véritablement les pays arabes à se démocratiser, cela équivaudrait à scier la branche sur laquelle ils sont assis. LE MONDE ARABE, UN VERITABLE «LABORATOIRE GEOPOLITIQUE ET GEOSTRATEGIQUE» OU TOUS LES COUPS SONT PERMIS Evidement comme le monde arabe est structuré, on ne peut tout mettre sur l'Amérique et l'Europe. La situation politique, économique et sociale du monde arabe était telle que ce qui a cours dans ces dernières décennies ne sort pas de l'inédit mais coule dans l'histoire même qui a donné naissance aux Etats arabes. L'Amérique finalement n'a fait que profiter d'une situation de sous-développement du monde arabe qui existait déjà. Comme d'ailleurs les puissances européennes l'on fait en leur temps. Des peuples qui étaient longtemps colonisés et sortirent de la nuit coloniale ne pouvaient que subir ce qui a prévalu de leur histoire antérieure. Le système tribal qui s'est mué en système monarchique féodal au Moyen-Orient relève des forces même de l'histoire qui avaient préexisté. Le découpage tel qu'il a été opéré au Moyen-Orient par les accords secrets de Sykes-Picot entre le Royaume-Uni et la France en 1916 et ultérieurement trouvèrent un monde arabe en friche. Les liens de ces pays avec un Empire ottoman décadent étaient très lâches. Celui-ci lui-même vivait ces dernières années puisque en 1924 le califat a cessé d'exister. La fin du califat ottoman n'était pas ordonnée par Mustapha Kemal mais par les forces de l'Histoire. Il n'y avait tout simplement plus d'empire ottoman, donc plus de califat. Tous les territoires arabes qui étaient assujettis à la Porte Sublime étaient retirés par les puissances européennes. « Le berceau même de l'Empire ottoman, c'est-à-dire la Turquie d'aujourd'hui, était sur le point d'être dépecé par le traité de Sèvres, en 1920. » Et la Grèce, en connivence avec les puissances européennes aidées par les Britanniques, cherchait à liquider la Turquie pour reconstituer à sa place la « Grande Grèce historique ». Ce n'était ni plus ni moins, si le projet avait réussi, la fin de la Turquie et du peuple turc désormais soumis à la tutelle grecque. Mais l'Histoire encore une fois changera les donnes et mettra fin au dépeçage de la Turquie et au projet chimérique des puissances européennes. En précipitant une union nationale qui rejettera le traité de Sèvres, et battirent militairement les forces britanniques et grecques, cette union ouvrira la voie à la République turque. Elle sera effective en 1924. Ce passage de l'Histoire fut la première victoire du monde de l'Islam au XXe siècle sur l'Europe. Le monde de l'Islam avait aussi des droits historiques en Europe. C'est dire que l'évolution de l'humanité est complexe, et que ce l'on croit acquis ne l'est qu'un temps. Dans les événements qui marquent le monde, il y a toujours une idée de progrès dans les faits de l'Histoire. Rien ne vient sans cause et sans « l'harmonie de l'Histoire ». Ce qui s'est passé en cette première moitié du XXe siècle est que tout devait s'opérer pour ouvrir une nouvelle page du monde. Les deux Guerres mondiales qui ont ébranlé la puissance occidentale, ont concouru à libérer les peuples colonisés. Là encore, tout n'est pas gagné. La décolonisation sortie par la force des événements historiques a procédé autrement que ce à quoi les peuples aspiraient. Une indépendance retrouvée, une libération d'un statut qui a enlevé toute dignité à l'homme, retrouve les peuples arabes de nouveau assujettis à des systèmes politiques autoritaires à parti unique. Ces peuples ne méritaient-ils que ces systèmes non démocratiques ? La réponse est complexe. Les systèmes politiques autoritaires, qu'ils soient républicains progressistes ou monarchiques absolutistes et féodaux, ne sont pas sortis ex nihilo, mais relèvent d'une situation géopolitique instable et de la carte politique du monde arabe que les puissances ont léguée. Pour les pays progressistes, la situation rappelle un peu le traité de Sèvres qui dévoile que les puissances occidentales sont toujours là et prêtes à dominer. Les régimes autoritaires arabes à parti unique devaient provoquer par conséquent une Union nationale comme réponse aux visées occidentales. A l'époque, l'URSS et la Chine s'opposaient à l'hégémonie occidentae. De plus, la création de l'Etat d'Israël par les grandes puissances tant occidentales que des pays de l'Est a encore compliqué les donnes de la région. Dès lors, les aspirations des peuples arabes à la démocratie étaient illusoires, et le sont encore aujourd'hui. Cette situation nous fait dire que si les Américains ou les Européens avaient vécus la même situation, les mêmes causes auraient provoqué les mêmes effets. Ceci simplement pour dire l'état d'un monde arabe non-démocratique n'était pas une fatalité et relevait des forces internes et externes qui ne pouvaient que le laisser dans l'état où il est. Où la démocratie était un luxe qu'il ne pouvait se permettre tant les forces lui étaient contraires. Ses formidables richesses pétrolières et la mainmise occidentale évacuait toute possibilité de sortie de crise. Bien plus, il est devenu un véritable « laboratoire géopolitique et géostratégique » où tous les coups étaient permis. LE PROBLEME N'EST PAS LA DEMOCRATIE OU L'ABSENCE DE DEMOCRATIE MAIS L'UTILISATION DU MONDE ARABE A DES FINS GEOSTRATEGIQUES Précisément tous les coups étaient et sont permis. Et l'islamisme dont la doctrine avait déjà commencé à apparaître dès les années 1960, va de plus en plus s'étendre dans le monde arabe. Les Occidentaux avaient déjà assimilé l'Histoire depuis l'avènement de l'arme absolue ? l'arme nucléaire ? qu'ils ne pouvaient y avoir de guerre avec les puissances adverses, essentiellement l'URSS, sinon à provoquer une «Troisième Guerre mondiale». Ce qui signifierait l'apocalypse et un retour de l'humanité à l'« âge de pierre». Aussi leurs stratèges ont pensé à un substitut à l'arme absolue, tout aussi redoutable. C'est l'islam idéologisé en «islamisme», comme une arme de combat et dont les conséquences pouvaient être aussi ravageuses que l'arme absolue. Et sans provoquer une troisième guerre mondiale. A l'«islamisme», il faut encore adjoindre les «pétrodollars arabes». Et ces monnaies sont venues dès 1973, avec les krachs pétroliers. On dit que les Arabes ont provoqué le krach pétrolier à l'occasion de la guerre du Kippour comme représailles contre la puissance américaine qui a soutenu Israël. En réalité, ce sont les États-Unis qui ont « commandité ces krachs pétroliers, les pétromonarchies arabes n'étaient que des exécutants ». * Auteur et chercheur spécialisé en économie mondiale, relations internationales et prospective. |
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