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Afin de
développer et d'illustrer quelques-unes des mutations profondes que connaît
l'enseignement du management, nous nous proposons de croiser les avis
pertinents de trois experts et spécialistes (a,b,c) dont les travaux dans le
domaine font référence et autorité, d'en cerner la quintessence et de la
restituer au profit de nos lecteurs, des chefs d'entreprises et des
responsables de structures et autres entités dédiées à la formation.
Deux segments fondamentaux de l'enseignement du management, l'élaboration des contenus et la conception des méthodologies de transmission des connaissances et du savoir, sont ainsi soumis au crible de l'expertise développée tant sur le plan académique que sur celui de la pratique de la formation de haut niveau. Ces deux segments sont également évalués par rapport aux mutations que connait l'entreprise et qui sont induites par un environnement économique variable avec lequel elle doit composer. L'enseignement du management, sous toutes ses déclinaisons, connaît donc lui-aussi et à l'instar des mutations profondes de l'économie en général et de l'entreprise en particulier, de profonds bouleversements et parfois même une véritable refondation. L'apparition de nouveaux besoins inhérents à la capacité d'adaptation de l'entreprise à un environnement mouvant confère aux enseignements l'obligation non seulement de l'écoute des fluctuations de la demande du marché et des préoccupations des étudiants et stagiaires mais aussi celle de la réactivité indispensable induite et sans laquelle la pertinence des cursus ne serait plus apte à prendre en charge les défis à venir. Le principal facteur inductif de ces mutations reste l'hyper complexité de l'environnement économique et son impact sur le devenir de l'entreprise et sur la nécessité pour elle de développer et d'acquérir de nouvelles compétences pour y faire face. Le Professeur Mohammed MATMATI (*) résume avec pertinence les défis que doivent affronter les chefs d'entreprises en relevant que "l'instabilité est devenue une caractéristique du fonctionnement des entreprises, le changement permanent étant son corollaire. Les managers doivent faire face à cette nouvelle donne et détenir les compétences qui permettent d'y faire face". Cet environnement exige de l'enseignement du management la capacité de développer et de promouvoir de nouvelles aptitudes et de nouvelles compétences indispensables aux chefs d'entreprises et autres dirigeants dont précise-t-il " la capacité d'adaptation à des situations évolutives tant sur le plan technique que managérial, la capacité de mobiliser des savoirs et la capacité de faire travailler en équipe et à distance plusieurs compétences multiculturelles sur des projets sont les nouveaux challenges " à gagner et auxquels doivent les préparer les institutions de formation". Le Professeur Bachir MAZOUZ (**), suggère avec un argumentaire extrêmement étoffé que les mutations de l'enseignement du management doivent d'abord être évoquées par les aspects historiques qui les portent et les aspects multidisciplinaires qui les enveloppent et qu'historiquement " des considérations essentiellement idéologiques, géopolitiques, économiques, budgétaires, financières, technologiques et plus récemment sociales sont évoquées pour justifier les changements opérés autant au niveau de la recherche universitaires que dans celui de l'enseignement du Management " et de poursuivre que sur le plan de la chronologie des processus "qu'entre 1945 et 1970, des évolutions géopolitiques affectant les rôles et l'étendue de l'action étatique et des grandes entreprises ont été observées à l'échelle mondiale. L'enseignement du management (le terme gestion étant plus usité à l'époque) était alors "concentré autour de la croissance économique et du développement industriel, vus sous une perspective géopolitique opposant l'Est communiste à l'Occident ". Et de préciser que " dès la fin des années 1970 et jusqu'au début des années 1980, sous fond de crises géopolitiques graves, des dysfonctionnements organisationnels inattendus se sont avérés économiquement et budgétairement dangereux et compromettants pour l'action publique et les investissements privés à l'échelle mondiale ". S'agissant des changements structurels opérés dans la recherche académique et dans l'enseignement du management, Bachir MAZOUZ précise que "d'une approche du Management dite concurrentielle, la recherche et l'enseignement se sont progressivement orientés vers la capacité de changement des organisations. Selon l'auteur, "Gouvernements et actionnaires privés se sont montrés préoccupés par les effets dévastateurs des programmes de restructurations et plan d'justement lancés dans la foulé des crises des années 1980. Tout au long des années 1990, la question centrale était, pour les praticiens comme pour les théoriciens du management, ''comment gérer le changement ?''. L'accent était ainsi mis, et restera à ce jour, sur la gestion des processus d'affaires, la gestion des ressources humaines, la culture du service aux clients, la gestion de projets, les méthodes d'organisation du travail et de responsabilisation des gestionnaires et des employés, la gestion des systèmes d'information et de communication? Et de conclure en guise de perspective et dans une posture de prospectiviste averti qu'" avec la quête croissante de sens et de valeurs universelles, de prise d'initiatives privées (entrepreneuriat) et publiques (intrapreneuriat), de créativité, de connaissance et de propriété intellectuelle, d'équilibre travail-famille et du progrès numérique les deux premières décennies du 21e siècle verront, je l'espère, la recherche et l'enseignement du Management plus orientés par les finalités : celles des sociétés civiles qui aspirent à l'épanouissement, des économies du bien-être et des États au service de leurs populations et territoires" Le Professeur Vincent PLAUCHU (***) conforte les points de vue précédents et estime que du point de vue historique, l'enseignement du management a, "au-delà des effets de mode (qui existent en gestion comme partout) " permis "quelques innovations qui ont été marquantes depuis quarante ans, non seulement dans le milieu universitaire, mais surtout dans la pratique des entreprises" et d'en citer quelques unes comme "la structuration des démarches qualité, l'analyse des coûts et performances cachés, la prise en compte de l'importance de la logistique et le Supply Chain Management, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, la gestion de la relation client et le branding, l'aboutissement des systèmes d'information avec les ERP, l'analyse de la gouvernance des entreprises, l'analyse de l'impartition, en particulier dans les achats et la maintenance, la conception partenariale des relations inter entreprises et sa prise en compte dans la gestion, la prise de conscience de la Responsabilité Sociétale de l'Entreprise ((RSE), et sa mise en œuvre effective, l'évolution des conceptions et pratiques comptables sous l'influence des normes IFRS etc. et sans parler de toutes les innovations en Finance ! ". Ces analyses mettent bien en exergue les innovations mises en œuvre sur le plan des programmes enseignés et la concordance des mutations subies tant par l'enseignement du management que par l'entreprise. Ce processus d'adéquation aux transformations de l'entreprise est également confirmé par Mohamed MATMATI qui estime que les enseignements du management "sont fortement influencés par les changements qui se passent dans le Monde, particulièrement dans l'économie et dans l'entreprise " et d'énumérer, lui aussi, quelques mutations inductives de ces changements comme "une forte et longue crise économique et financière dans les pays industrialisés avec des conséquences importantes sur les entreprises ainsi que sur les pays émergents et les pays en développement, l'accroissement de la concurrence et de la globalisation, le développement rapide des technologies, particulièrement des technologies de l'information et de la communication qui transforment les organisations, les modes de collaboration et l'accès au savoir, les évolutions sociologiques dans toutes les sociétés (élévation du niveau de formation, rapport à la hiérarchie, les réseaux sociaux, la parité homme/femme, la mobilité intellectuelle, professionnelle et géographique, le rapport à l'environnement?). L'environnement économique étant extrêmement mouvants et complexe, les évolutions ainsi induites insèrent les entreprises " dans des dynamiques de changement permanent qui porte sur la stratégie, le portefeuille de produits/services, les technologies, l'organisation, le management des hommes, la relation à l'environnement?". Cette complexité de l'environnement permet cependant de défricher des perspectives et de mieux adapter les cursus de formation en management en y insérant de nouvelles compétences à développer et à promouvoir. Tout comme les Professeurs MAZOUZ et PLAUCHU, Le Professeur MATMATI voit dans ce contexte et en guise de perspectives que "l'innovation et l'entrepreneuriat sont, aujourd'hui, deux voies de formation dans le management. L'innovation est cette capacité à produire de la valeur par la créativité individuelle et surtout collective " et de préciser à propos de ces deux voies que " L'enseignement de l'innovation porte autant sur les méthodes de créativité (la technologie, les services, l'organisation?.) que sur le management des processus d'innovation et de valorisation des nouvelles idées, produits?. L'innovation dans le management, l'innovation sociale (RSE, Diversité?) sont également des axes de cet enseignement ". Tandis que la voie de l'entrepreneuriat à privilégier dans les cursus d'enseignement du management, selon l'auteur, est "cette capacité à faire éclore et à développer la vocation à promouvoir des activités innovantes et à prendre des risques en allant sur le marché. Si elle est souvent considérée comme innée, le travail sur des projets innovants, la confrontation avec des entrepreneurs, la connaissance des outils et méthodes ainsi que de la législation sur la création d'entreprise confortent la vocation d'entrepreneur " La refondation des programmes d'enseignement du management est partout dans le monde devenue un chantier sans fin car enjeu déterminant aussi bien que pour le devenir de l'entreprise, l'employabilité des ressources humaines formées que pour les institutions de formation elles-mêmes. Ainsi et en plus de la nécessité de disposer et de maitriser les outils d'une ingénierie pédagogique aussi efficace que réactive et ceux d'un knowledge management qui permet d'arrimer ces enseignements aux technologies de l'information et de la communication et de l'actualisation des connaissances, il est impératif de tenir compte d'autres éléments dont la pertinence n'est pas des moindres. Ainsi et à ce propos, le Professeur Bachir MAZOUZ précise que "nous ne pouvons prétendre à la formation de managers, privés ou publics, sans faire appel à des méthodes pédagogiques axées sur l'action, la prise de décision et les comportements. Les simulations et études de cas sont aujourd'hui incontournables " et de préciser que " personnellement, j'ai adopté des méthodes andragogiques pour enseigner des cours de Gestion par résultats ou de Gestion de projets à l'ÉNAP. Ces méthodes favorisent l'implication en ''classe'' et le transfert rapide vers le milieu de travail. Et de compléter son analyse en précisant qu' " un deuxième élément porte sur la participation des apprenants à toutes les étapes d'élaboration menant à un programme de formation. Une meilleure compréhension des enjeux pratiques, par exemple, devrait guider l'apprenant à prendre conscience des objectifs de son projet d'apprentissage continu en milieu organisationnel et/ou en classe. Ces objectifs ne pourront être ignorés par les concepteurs, formateurs et évaluateurs des programmes offerts ". Un troisième élément porte enfin sur l'évaluation qui se doit être "conçue à des fins d'amélioration des programmes de formation. Autrement dit, formateurs, apprenants et responsables pédagogiques doivent travailler ensemble et dans le but (ultime) de souligner les acquis et identifier les zones et les perspectives d'amélioration. Nous ne pouvons prétendre à l'excellence". Pour le Professeur Mohamed MATMATI, les cursus d'enseignement du management aux prises avec les mutations de l'entreprise doivent tenir compte dans leur mise en œuvre de " la prise en compte des besoins de l'entreprise ". Car, selon lui, " cette dernière fait un effort important pour libérer ses cadres et agents pour une formation ". D'autres éléments déterminants doivent être pris en compte dans le processus d'enseignement du management comme " les compétences à acquérir qui sont en principe identifiées (le formateur doit en tenir compte et les transformer en objectifs d'apprentissage), la prise en compte des attentes des cadres en formation (celles-ci peuvent avoir quelques différences avec les besoins exprimés par l'entreprise), le formateur doit trouver le compromis, le formateur doit aller au-delà des besoins des entreprises et des attentes des agents en formation pour donner une perspective qui prennent en compte l'évolution actuelle des métiers, des technologies et des pratiques managériales ". Ainsi identifiées, ces éléments de mise en œuvre de l'ingénierie pédagogique permettent de repenser les enseignements du management qui doivent démontrer leur forte implication et imbrication dans le monde de l'entreprise. Ce dernier en mutation permanente exige une adaptation des profils de formation et l'acquisition de compétences nouvelles (QHSE, Corporate Governance, TIC, ..). De plus et selon le Professeur PLAUCHU "dans des environnements économiques et institutionnels mouvants, une des compétences les plus nécessaires (et malheureusement assez rare) est la capacité à mener un véritable diagnostic d'entreprise (diagnostic stratégique et diagnostic opérationnel), à pouvoir dégager sa marge de manœuvre et à faire des recommandations pertinentes. C'est une compétence complexe nécessitant une solide formation. Il faut être capable, selon Vincent PLAUCHU, "de mener des analyses tant économiques que financière, stratégiques, organisationnelles, ?, avoir un solide bagage en méthodologie du diagnostic, et l'avoir éprouvé par de nombreuses études de cas" D'autres compétences doivent être développées et mises à la disposition des futurs managers et il y a nécessité à insérer, selon le Professeur PLAUCHU, dans les cursus de formation " les cours de comportement organisationnel, de management des ressources humaines, de leadership et de développement personnel ainsi que l'ouverture à l'international qui nécessite la maîtrise de plusieurs langues, la connaissance de l'évolution du Monde par des cours de Géopolitique mais aussi des séjours à l'étranger pour l'apprentissage de l'interculturel". Ces différentes analyses d'experts ainsi croisées permettent de dire que pour que l'enseignement du management soit abouti, c'est-à-dire pour qu'il atteigne véritablement les objectifs d'apprentissage qu'il se fixe, la mise en place d'une pédagogie active doit aussi prendre en compte, selon Vincent PLAUCHU " les besoins des entreprises, les attentes des étudiants, l'utilisation des nouvelles technologies par les enseignants et les étudiants, la capacité d'autonomie des étudiants et leur sens des responsabilités, le développement des activités associatives, conférences, voyages, projets innovants et le perfectionnement permanent des enseignants ". Ce point de vue est largement partagé par le Professeur MATMATI pour qui "les managers sont impliqués, au quotidien, dans le management des hommes et des femmes quel que soit leur structure/service et qu'ils doivent motiver à chaque instant leurs équipes afin de réaliser les objectifs fixés. Leur formation doit intégrer des modules de GRH, de leadership et comportement organisationnel". En conclusion de cette revue d'analyses d'experts relative aux mutations de l'enseignement du Management et de leur impact sur la construction des cursus dans un environnement de l'entreprise extrêmement variable, retenons que toutes les compétences énumérées précédemment, et qui sont intégrées dans les enseignements du management et les cycles de perfectionnement, sont à acquérir et à maitriser par les managers et sont, selon Mohamed MATMATI, "une nécessité dont la difficulté réside dans la pédagogie à mettre en place pour que cet objectif soit atteint ". (a) Bachir MAZOUZ est Professeur Titulaire à l'ENAP - Réseau de l'Université du Québec, Professeur invité de l' ENA de France, Rédacteur en chef de la Revue Management International (Mi) - HEC Montréal, Prix Chaire Gutenberg 2009 à l'ENA de France et Titulaire de la Chaire " Regards croisés sur la transformation de la gestion publique. La gestion des PPP ", Prix Scientifique de la Francophonie Agence Universitaire de la Francophonie, édition 2008-2009 "Sciences sociales et humaines", Prix d'excellence de la Fondation Club Avenir Canada, 2008 (b) Mohamed MATMATI est Professeur à Grenoble Ecole de Management (France), Spécialiste de Géopolitique, Responsable pédagogique de GRH, Parcours conseil/organisation, module Géopolitique, Professeur Senior au département Homme, Organisations et Société. Expert en Gestion des compétences, Pilotage de performance, Ressources Humaines, GRH, TIC et Interculturel. © Vincent PLAUCHU est Maitre de Conférences en Economie à l'Université Pierre Mendes France de Grenoble (France). Auteur de "Mesure et amélioration des performances des entreprises industrielles", "Management environnemental : Analyses, Stratégies, et Mise en œuvre " et de " Recueil d'études de cas De Management Environnemental ". (1)- ING. IAP, Docteur de l'Ecole Centrale Paris, Formateur-Consultant (Certifié en Corporate Governance, IFC/WB), auteur d'articles de géopolitique et de prospective. Références (*), (**) et (***) Interviews in INPED-Magazine N°14, N°10 et N°11. |
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