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François Hollande
a décidé de devenir un président normal, et il a gagné son pari. Mais en
Algérie, on préfère les dérives, qui sont devenues la norme, en politique comme
dans la vie quotidienne.
Voilà un premier ministre qui fait des aveux. Et il n'y va pas par le dos de la cuiller, car quand Ahmed Ouyahia se met à table, il fait d'énormes révélations. Qu'a-t-il raconté, en ces lendemains de législatives décevantes pour son parti, et alors que s'installe le doute quant à son maintien au poste de chef de gouvernement ? Ahmed Ouyahia nous apprend d'abord que l'Algérie est dirigée par les forces de l'argent. Depuis que son «cousin» du FLN, Abdelaziz Belkhadem, avait reconnu le poids de la «chkara» (sac d'argent) dans l'élaboration des listes de candidats aux législatives, depuis l'affaire Khalifa, disons que ce n'était plus vraiment une surprise. Ensuite, M. Ouyahia a révélé que cet argent en passe de contrôler le pays serait d'origine mafieuse. Enfin, le premier ministre avoue que le gouvernement a échoué, mais il veut donner une lecture personnelle de cet échec, qu'il l'impute à tout le monde, car il s'agirait, selon lui d'un échec «collectif». Ce n'est donc pas M. Ouyahia, seul, qui a failli, ni son parti, le RND, mais tout le monde : le président de la république, les ministres, leurs alliés, peut-être même les opposants, les marginaux, les fellahs de Aïn-defla et les harraga de Beni-Saf. Une petite précision s'impose. Ahmed Ouyahia n'était pas entraineur de l'équipe nationale de football durant les quinze dernières années. Il n'était pas chef du service des cartes grises à la wilaya d'El-Bayad, auquel cas ses déclarations auraient pu être interprétées comme de simples commérages, ou des propos de café de commerce. Non, M. Ouyahia était chef de gouvernement, à trois reprises, ou ministre. Et pas n'importe quel ministre : ministre d'Etat, ministre de la justice, ou ministre de l'Economie. Dans son brillant parcours, il n'a su ni éviter l'échec économique, ni empêcher la mafia de s'introduire dans les rouages de l'Etat, ni contrer les milieux mafieux qui s'infiltraient dans les institutions, pour prendre en charge la gestion des affaires du pays. Dans un pays normal, un homme qui fait de tels aveux présente sa démission, et rentre chez lui. Définitivement. Il fait son mea culpa, présente ses excuses, dépose les clés de son bureau et s'en va, le plus discrètement possible. C'est un minimum. Mais voilà : l'Algérie n'est pas un pays normal. C'est un pays qui fonctionne à l'envers, qui a établi et admis un fonctionnement anormal à tous les niveaux. De l'entreprise au gouvernement, de la manière de marcher dans la rue au rapport entre les gens, rien ne fonctionne normalement. Et plus le fonctionnement de la société va à la dérive, moins ceux qui sont responsables de la gestion des affaires du pays font d'efforts pour rectifier le tir. Comme s'ils s'étaient définitivement résignés, admettant que le pays est malade, et qu'il n'y a rien à faire. La vie quotidienne offre des milliers d'exemples de ces comportements. Il suffit de regarder autour de soi, pour se rendre compte de l'incroyable pagaille qui règne dans les rues, mais à laquelle tout le monde semble s'être habitué : le piéton marche au milieu de la rue, il traverse partout sauf dans les clous, alors que l'automobiliste met son véhicule en stationnement sur le trottoir. L'Algérie innove aussi dans le domaine des anomalies. Dans le domaine de la télévision, elle a réussi un formidable exploit : c'est le seul pays au monde où des chaines de télévision, créées par des patrons de presse locaux, installent leur siège social à l'étranger pour contourner la loi qui ne les autorise pas encore à émettre à partir du territoire algérien. Mais elles réalisent toutes leurs émissions à partir d'Alger, et des membres du gouvernement n'hésitent pas à participer à leurs émissions ! Cette folle dérive a mené à des situations cocasses, absurdes, ou avilissantes. On a ainsi vu des élèves réclamer que les examens portent sur les seuls cours qu'ils auraient choisis, après avoir eux-mêmes élaboré le programme scolaire. On a vu des gens brillants, ayant fait des études dans de grandes écoles étrangères, se comporter comme de simples bergers qui n'ont jamais quitté leur douar. On a vu des membres de partis d'opposition continuer à siéger au gouvernement, alors que leur parti affirmait avoir quitté l'alliance gouvernementale. Pour revenir à M. Ouyahia, son parti a subi une cinglante défaite aux législatives du 10 mai, où il a obtenu trois fois moins de sièges que le FLN. Dans un pays normal, le premier ministre aurait démissionné. Mais M. Ouyahia ne l'a pas encore fait. En fait, il ne sait pas s'il va démissionner, s'il va être démis, ou s'il va être reconduit. Il continue donc de faire semblant d'être premier ministre, en attendant que la décision lui soit communiquée. Pour l'Algérie, le programme politique prioritaire serait donc de mettre fin à ces anomalies. De revenir à des normes fixées par la loi, publiques et transparentes, votées par un parlement élu normalement. Hélas, cela n'est plus possible, car ce programme est déjà pris : François Hollande a été élu en promettant de devenir un président «normal». Des Algériens, fiers de leur passé et de leur histoire, ne peuvent tout de même pas copier ce qui a été fait en France, même si cela constitue une solution pour sortir de la crise. Certes, on achète des voitures françaises, on se fait soigner en France, on regarde les chaines de télévision françaises, on admire Zidane et Boudebouz, produits du système français, mais de là à adopter une solution politique qui a réussi en France, il y a un pas qu'on ne franchira jamais. Et M. Ouyahia continuera à admettre son échec, à reconnaitre que sa gouvernance a mené le pays dans les bras de la mafia, mais il ne démissionnera pas. Car la démission ne fait pas partie des attitudes normales en Algérie. |
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