Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Le premier festival de Cannes
de la slameuse oranaise Zoulikha
Tahar a été fructueux, elle a trouvé tous les financements qui lui manquaient
pour tourner sa série éco-féministe «El'sardines»,
développée avec la chaîne de télévision franco-allemande Arte, et co-écrite
avec l'écrivaine Kaouther Adimi.
Rencontre avec une jeune femme qui affiche sourire, zen-attitude et détermination au milieu des vives tensions algériennes enregistrées en fin du festival. Toute Fine, effectivement. À 31 ans, Zoulikha Tahar continue à bien porter le pseudonyme qu'elle s'est trouvé en 2015 quand elle s'est lancée corps et âme, et à ses risques et périls, dans l'aventure du slam (poésie parlée). Depuis qu'elle s'est installée en France, la frêle et dynamique jeune femme a élargi son champ d'action, en plus d'écrire et de se produire sur scène en tant que poète ou conteuse, elle est vidéaste et réalisatrice. De tous les projets audio-visuels algériens à venir débattus à Cannes dans le pavillon algérien, celui de Zoulikha Tahar a l'avantage d'être original, tout à la fois en prise directe avec les enjeux sociétaux du moment, et conforme aux nouvelles pratiques de consommation culturelle; car il s'agit d'une série conçue et destinée pour une plateforme, et pas n'importe laquelle, celle d'Arte, où il est question de la place de la femme dans le contexte local et la fin des ressources de la planète. À Cannes, Zoulikha Tahar a vu un maximum de films, dansé à toutes les fêtes où elle a pu s'introduire, répondu présente aux diverses sollicitations du pavillon algérien, sans jamais oublier la raison fondamentale de sa présence à Cannes : ses rendez-vous «pro», pour faire avancer ses projets «perso». Alors que les derniers jours à Cannes ont été marqués par quelques lourdes tensions entre Algériens, suite aux nouvelles dispositions concernant le cinéma (la réalisatrice Sofia Djama ayant déposé plainte au commissariat de Cannes contre l'attaché de presse Hassan Guerrar, après une vive altercation en pleine rue), Zoulikha Tahar, elle, s'est tenue à l'écart des débats houleux, affichant sourires et cool attitude au milieu des tempêtes, comme une parfaite illustration qu'il existe bien un «esprit oranais», joyeux et potentiellement contagieux. LE QUOTIDIEN D'ORAN : Qu'êtes-vous venue faire à Cannes ? Zoulikha Tahar : D'une part, je suis là pour pitcher mon projet de court-métrage «La Buée», et de l'autre, pour boucler le plan de financement d'une série pour Arte créative, la plateforme participative de la chaîne d'Arte intitulée «El'sardines». Q.O. : Avant de revenir sur votre projet de court-métrage pour le cinéma, parlez-nous de cette série pour Arte. Z.T. : C'est une série éco-féministe qui a été tout de suite acceptée par Arte créative. Mieux, on avait l'intention de la tourner l'hiver prochain, Arte m'a demandé d'avancer le tournage et la livraison de la série car elle traite de sujets très contemporains. C'est une comédie dystopique ou une dystopie comique qui se déroule à Oran à El-Ayoun. Dans un futur proche où les pêcheurs n'arrivent plus à trouver la moindre sardine en mer. Une vie sans sardine à Oran, c'est le cauchemar absolu, mais le traitement de cette série emprunte les codes de la comédie des moeurs, avec au centre du dispositif une jeune célibataire de 30 ans en conflit avec sa mère. Q.O. : On ne voit pas comment la fin des sardines en Méditerranée peut s'accompagner d'une comédie de moeurs à l'oranaise... Z.T. : J'ai pas envie de tout spoiler, mais disons que l'héroïne de la série, Zouzou, une jeune trentenaire qui vit à Aïn El-Turck est, en tant qu'ingénieur en bio-marine, sélectionnée parmi d'autres experts méditerranéens pour une expédition de recherche qui va durer une année, pour étudier des côtes d'Oran jusqu'en Afrique du Sud les dysfonctionnements de la migration des sardines. C'est la seule femme de l'équipe scientifique. Sa mère est opposée à cette expédition, persuadée que personne ne voudra épouser une fille qui s'en va si loin, avec des hommes étrangers, à bord d'un bateau où tout peut se passer, c'est le ressort de cette série de 6 épisodes de 10 à 15 minutes chacun. Le côté frictionnel prend 80% du temps de la série, mais il y a aussi un peu d'animation et à chaque épisode un débat sous forme de vrais micro-trottoirs sur les sujets abordés. Q.O. : Puisque la plateforme d'Arte a aimé votre projet et accepte de le produire, pourquoi cherchez-vous, vous même, des financements ? Z.T. : On a fait le montage financier en un temps record, on a eu toutes les aides françaises dédiées à ce genre de format, mais entre-temps, la part allouée au CNC a été réduite car la série se fait en arabe darija, j'y tenais fermement, quitte à perdre un peu d'argent et je suis là pour trouver de quoi combler ce trou. Q.O. : Ah la la, toutes ces lois cinéma et leurs lots de tracas ! Avez-vous eu d'autres problèmes de développement ? Y a-t-il eu des altercations sur tel ou tel autre sujet ? Z.T. : Avec mes interlocutrices d'Arte, on s'est très bien entendu. Quand elles m'ont demandé, à partir de mon synopsis et de la bible de la série, que j'écrive la série avec une autre personne confirmée, j'ai accepté et j'ai proposé le nom de l'écrivaine Kaouther Adimi, car j'avais aimé la façon dont elle a abordé la relation mère-fille dans son roman «Nos Richesses». J'ai insisté à mon tour sur le fait que la série doit se faire en arabe darija, et je voulais absolument avoir pour le rôle de Zouzou, la comédienne oranaise Mériem Amiar (récemment vue au cinéma dans «Omar la Fraise» d'Elias Belkeddar, et «La famille» de Merzak Allouache, NDA). Les responsables d'Arte ont été plutôt réticents, ils avaient peur que la beauté physique de Mériem Amiar éclipse le fond du sujet, ou des sujets abordés dans cette série éco-féministe, mais je trouvais cela injuste, étant féministe moi-même, je tiens à dire que Mériem Amiar n'est pas seulement une très jolie actrice, c'est d'abord une très bonne comédienne. Q.O. : On devine la veine autobiographique... Comment êtes-vous arrivée en France ? Z.T. : Oui, il y a un peu de ma vie mais avec un petit côté fantastique que vous ne devinerez jamais (rires). J'ai toujours aimé raconter des histoires, écrire a toujours été une passion. À l'âge de 16 ans, j'ai obtenu un premier prix dans un concours de poésie, j'ai fait beaucoup de slam, parce que j'aime la scène. J'ai terminé mes études d'ingénieur en mécanique des matériaux pour faire plaisir à mes parents, et j'ai profité d'une opportunité de l'Institut français pour faire le stage d'été de la FEMIS (École nationale supérieure des métiers de l'image et du son, Paris). Depuis, j'ai opté pour le métier de l'audio-visuel... Q.O. : On vous voit souvent dans les fêtes, et contrairement à vos collègues, vous avez eu accès aux films. Quand les responsables saoudiens ont daigné se déplacer jusqu'au stand Algérie, c'était pour vous. De tous les envoyés spéciaux de la délégation algérienne, vous êtes la seule à avoir bénéficié d'autant de privilèges. Z.T. : Ah mais non, je ne fais pas partie de la délégation envoyée par le ministère de la Culture d'Algérie, j'ai profité du fait que mon mari, critique de cinéma, ait été accrédité à Cannes pour l'accompagner, autant pour faire avancer mes dossiers que pour profiter de ce Festival de Cannes. En ce qui concerne le Red-Sea found et les autres partenaires approchés, je ne suis pas naïve, je sais que le propos de ma série épouse l'air du temps; le bon moment, le bon endroit, le bon profil de la personne, mais je ne suis pas une opportuniste, je crois fermement aux combats que je mène, j'espère que la sincérité de ma démarche sera parfaitement lisible. Et quand le pavillon algérien m'appelle c'est normal que j'y aille, c'est la moindre des choses et pas seulement parce que je compte tourner mes films en Algérie. Q.O. : Quels sont les films qui vous ont plu cette année à Cannes ? Z.T. : C'est mon premier Cannes, j'ai adoré la rencontre des deux mondes, le monde de la cinéphilie la plus exigeante et celui du bling-bling le plus extravagant. En compétition officielle, «Bird» d'Andréa Arnold, dans ce film britannique est un de mes préférés, j'ai adoré comment le fantastique s'invite dans le réel sans jamais prendre le dessus, et j'aime quand un film parle des précaires sans misérabilisme. J'aime tout autant les films de genre, comme «The Substance» de Coralie Fargeat, avec Demi Moore, et à Un Certain Regard, j'ai été très touchée par «Vingt dieux», le film français de Luise Courvoisier et Théo Abadie sur un adolescent fermier qui doit s'occuper de sa petite sœur. Propos recueillis par Tewfik Hakem |
|