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«Megalopolis», le très attendu
film du parrain du New Hollywood, Francis Ford Coppola, fait sa première
mondiale à Cannes en compétition officielle. Chronique d'un grand événement
annoncé et petit inventaire des autres choses à faire et à voir en douze jours
de festival. Par notre envoyé spécial sur la Croisette.
Dans la planète cinéma il y a ceux qui vont à Cannes et ceux qui rêvent d'y aller, point. Pour diverses raisons, et pour différents corps de métier de l'industrie, y être et y être vu c'est quand même mieux que de suivre la manifestation via les médias et les réseaux sociaux. Certes, ce pèlerinage cannois peut parfois coûter très cher aux structures fragiles -et aux pauvres bougres- venus de pays pas très riches voire tout à fait pauvres, mais quand on a la foi, on ne compte pas... Pourquoi tant d'engouement pour ce festival précisément ? D'abord un constat : Cannes n'a jamais été aussi attractif et puissant qu'aujourd'hui. Il n'y a qu'à voir avec quel enthousiasme les médias indiens et chinois ont salué le retour cette année de leurs pays respectifs en compétition, par exemple. Et ne parlons pas du délire de la presse égyptienne qui a déjà consacré des pages entières et des émissions interminables aux deux films retenues en sélections parallèles, La Quinzaine des Cinéastes et La Semaine de la Critique, en réussissant l'exploit de ne rien nous apprendre sur les deux films en question. Des grosses productions hollywoodiennes aux films d'auteur, et de l'Amérique à la Somalie, tout le monde foule le même tapis rouge à Cannes, c'est la philosophie du festival (son côté rêveur ou marxiste). Pour autant, il ne faut pas trop rêver, ce sont encore les lois du marché qui déterminent les champs du possible, et la puissance ou pas d'un festival. Pourquoi le Festival de Cannes est-il au top de sa forme aujourd'hui (creusant l'écart avec ses concurrents historiques, les festivals de Venise et de Berlin) ? En guise d'éléments de réponse, il faut revenir à la Palme d'or de l'année dernière, attribuée à un film d'auteur, ou plutôt à un film d'auteure, puisqu'il s'agit en l'occurrence de la réalisatrice Justine Triet. Son film palmé, Anatomie d'une chute, a dans la foulée récolté une moisson de prix à travers le monde, en faisant beaucoup d'entrées, y compris dans les contrées lointaines qui ne voient habituellement jamais de films français. Jackpot pour Cannes, vaisseau amiral du soft-power français, qui prouve aux grosses industries cinématographiques du monde qu'il n'y a pas meilleure rampe de lancement pour un film que ce festival qui transforme l'art en or. Tout l'enjeu est donc dans la sélection des films et la composition des jurys. Finie la période flottante et auteuriste où les Palmes d'or allaient à des réalisateurs iraniens, roumains, thaïlandais qui avaient tout pour plaire aux critiques et rien pour attirer les spectateurs en salles. Il s'agit maintenant de repérer les bons films avec un potentiel commercial, l'air du temps. On comprend mieux pourquoi cette année la présidence du jury est assurée par la réalisatrice Greta Gerwig, Mme «Barbie», le super-succès mondial de l'année dernière, une daube qui avec ses 1,38 milliards de rentrées a permis à l'industrie cinématographique américaine de connaître sa meilleure saison depuis la pandémie du Covid. Que nous réserve cette 77ème édition du Festival de Cannes ? Comme toujours, pour quelques heureux élus en compétition officielle, 22 films en lice pour la Palme d'or (guère plus dans les autres sélections du festival), beaucoup de déçus dans le monde entier. À commencer par l'Algérie, une fois de plus absente. Est-ce symptomatique ? Sans doute. Mais comment analyser ce symptôme de l'effacement ? Un article clinique s'impose- pour très vite, genre pas plus tard que demain- avec en prime une interview d'une spécialiste de «Où va le cinéma algérien ?». UNE TROISIÈME PALME POUR COPPOLA ? En attendant, le Festival commence pour de bon, et ici tout le monde veut voir avant tout le monde «Megalopolis», le nouveau film de Francis Ford Coppola. Mais qu'est-ce qui nous attend dans un film très attendu ? Une fresque SF ? Un film d'anticipation ? «Une épopée romaine dans une Amérique moderne imaginaire en pleine décadence» selon le Festival de Cannes, ou «Une fable», comme le souligne sobrement son trailer ? Mise en ligne le 4 mai, la première bande-annonce de Megalopolis a été aussitôt vue par des millions de terriens connectés. Deux minutes avec Adam Driver dans une séquence intrigante: Perché au sommet d'un imposant bâtiment en métal et en verre, la star s'apprête à sauter dans le vide, blême et nerveux, mais à peine lancé il demande aussitôt au temps de s'arrêter (Time stop!) pour suspendre sa chute. Pas d'effet spéciaux vertigineux, pas de décors post-apocalyptique, c'est encore plus angoissant, le futur ressemble furieusement au cauchemar d'aujourd'hui. Ce mégaprojet, que Coppola dit traîner depuis 40 ans, tout le monde l'attend, tout le monde veut le voir. Certains parlent déjà d'une grosse déception annoncée quand d'autres, plus nombreux, parient que le réalisateur de 85 ans sera le premier à décrocher une troisième Palme d'or. Rappelons au passage et plus particulièrement aux jeunes lecteurs de 7 à 77 ans qu'effectivement Coppola a déjà deux Palmes d'Or à son actif. La première pour Conversations secrète en 1974, la seconde pour Apocalypse Now en 1979. D'un rappel à l'autre, on n'oubliera pas de préciser à l'attention des mêmes jeunes, que si en 1974 Coppola a décroché sa première Palme d'or, l'année d'après c'était l'Algérie et Mohamed-Lakhdar Hamina qui remportaient la première et unique palme arabo-algérienne, et ensuite, après Chronique des années de braise donc, c'était au tour du Taxi Driver de Martin Scorsese de rafler la suprême récompense en 1976. LA GUERRE CONTRE GHAZA ET AUTRES DÉSORDRES DU MONDE Pour ne pas laisser le très attendu «Megalopolis» de Coppola faire trop d'ombre au reste de la sélection, le festival a eu la bonne idée de le projeter dès le 3ème jour. Mais qui pourrait oser défier le grand parrain ? Le cinéaste iranien Mohammad Rasoulof, qui vient d'être condamné à une peine de huit ans de prison, dont cinq applicables, ainsi qu'à des coups de fouet, une amende et la confiscation de ses biens par un tribunal iranien, pour «collusion contre la sécurité nationale» ? Sera-t-il présent pour présenter The seed of the sacred fig, sélectionné à la dernière minute ? Pour la Russie, c'est bon, l'opposant Kirill Serebrebbikov a pu fuir la Russie de Poutine, et cette fois il sera bien présent pour présenter son film sur Limonov, d'après le récit d'Emmanuel Carrère. Qui d'autre ? Le Canadien David Cronenberg pour Les Linceuls ? Paul Schrader qui revient avec Oh Canada ? Le réalisateur brésilien Karim Aînouz, algérien seulement de nom et de prénom comme il l'a joliment raconté dans son beau docu-fiction Le Marin des Montagnes, revient lui en compétition avec Motel Destino un film tourné chez lui au Brésil ? Le réalisateur iranien Ali Abbassi qui accède à la compétition avec un film sur Donald Trump ? Le Grec Yorgos Lànthimos qui fait tourner Emma Stone, Willem Dafoe et Jesse Plemons dans son dernier opus Kinds of Kindness ? Selon les fuites, organisées ou pas, par les équipes de sélection, il faudra compter avec le Chinois Jia Zhang-Ke (Caught By the Tides), le Portugais Miguel Gomes (Grand Tour), et l'Indienne Payal Kapadia (All we imagine as light). «Un festival pacifique, pacifié, joyeux, généreux, qui ne parlera que de cinéma» avait annoncé Thierry Frémaux, avec une pointe d'ironie. Tous les désordres du monde contemporains, à commencer par le plus révoltant d'entre-deux, la guerre coloniale contre les Palestiniens, s'inviteront dans la bulle cannoise. À suivre donc Vers un pays inconnu du palestinien Mahdi Fleifel (La Quinzaine des cinéastes), plutôt que La Belle de Gaza, de Yollande Zuberman (Hors-compétition), car malgré toute son humanité, ce film autour des transsexuels palestiniens, parait hors-sol avec tout ce qu'endure Ghaza en ce moment. East of noon (Sharq 12) de l'Egyptienne Hala Elkoussy est, selon son résumé, une fable sur le musicien Abdo, qui se rebelle contre ses aînés, cherchant la liberté à travers son art dans un monde confiné hors du temps (La Quinzaine des Cinéastes). Sa compatriote Nada Riyadh, épaulée de Ayman El Amir présentera Les Filles du Nil, documentaire tourné dans un village isolé du sud de l'Égypte, avec un groupe de femmes coptes privées qui se rebellent pour former une troupe de théâtre de rue exclusivement féminine (La Semaine de la Critique). Personne en Algérie n'a eu l'idée de tourner un bio-pic sur Cheikha Remitti ? Bon, tant pis c'est le Marocain Nabil Ayouche qui s'y colle ! Dans Everybody loves Touda (Cannes Premières, hors-compétition), l'habitué de la Croisette raconte l'histoire de Touda qui rêve de devenir une Cheikha de renommée. La chanteuse se produit tous les soirs dans les bars de sa petite ville de province sous le regard des hommes, mais maltraitée et humiliée, elle décide de tout quitter pour les lumières de Casablanca... Comme il fallait s'y attendre, la très offensive l'Arabie Saoudite aura sa montée des marches, avec Norah, le premier film de Tawfik Alzaidi, sélectionné dans Un Certain Regard qui accueille par ailleurs un film somalien, autant dire une rareté venue d'un territoire quasi-inconnu, quoique encore arabe, The Village next to paradise, beau titre, de Mo Harawe est également un 1er long métrage. Et enfin, comme l'année dernière avec La Maison brûle autant se réchauffer de Mouloud Ait-Liotna, La Quinzaine des Cinéastes a sélectionné un court-métrage réalisé par un artiste contemporain franco-algérien, Rayane Mcirdi, Après le soleil. Souvenirs heureux du début des années 90 et des vacances d'été au pays, quand avec la famille il traversait la France pour prendre le bateau...C'était avant que tout bascule. C'était avant ! Du Méga-Coppola au mini-Mcirdi, notre planning cannois est quasi-bouclé. Il ne reste plus qu'à espérer que des événements inattendus et puissants viennent sérieusement le bousculer. |
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