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« Nous sommes
l'armée d'occupation. Si vous jetez des pierres, nous vous gazerons jusqu'au
dernier, les jeunes, les enfants, les vieux..., vous mourrez tous ».
Israël vit en permanence en état de guerre préventive ponctuée par des phases paroxystiques génocidaires. Il a compris depuis 1948 que ce sont les défaites armées arabes qui vont le conforter et justifier toutes les annexions illégales qu'il entreprendra. Si au début, Israël faisait prévaloir l'urgence sécuritaire, la situation va se radicaliser depuis 1967 avec les revendications pressantes venant de courants politiques et religieux extrémistes au sujet de la récupération définitive de la Cisjordanie (Judée Samarie), et particulièrement Jérusalem qui constitue « le cœur vivant du judaïsme, sur les plans historique, mythique et spirituel..., le point focal de la conscience juive ».1 En 1980, passant outre les piètres avertissements de l'ONU ainsi que les indignations d'une certaine communauté internationale, Israël proclamera Jérusalem comme sa capitale éternelle, une et indivisible. Siège de la présidence, de la Knesset, du gouvernement et de la Cour suprême. L'ancien statut de ville internationale est jeté de facto aux oubliettes. Certains pays y installeront le siège de leurs ambassades. La démarche ultime, la plus élaborée, globale et définitive, c'est précisément celle qu'Israël entamera le lendemain de la guerre des 6 jours, considérée par les Palestiniens comme une deuxième Nakba. La Cisjordanie sera le théâtre et le laboratoire d'une stratégie sioniste globale comportant plusieurs axes d'interventions sophistiqués et machiavéliques visant à vider définitivement les Palestiniens des lieux. Le sociologue français, Alain Dieckhoff, dira à propos de cette «Stratégie territoriale» 2 qu'elle s'articule autour de quatre grands axes qui se soutiennent et se complètent : l'action militaire de conjuration de la menace armée, l'action démographique d'occupation de l'espace humain, l'action utilitaire d'exploitation des ressources économiques et de maîtrise de l'eau, l'action symbolique d'enracinement dans les hauts lieux de la mémoire juive. Cette stratégie ne pouvait évidemment se mettre en place sans la mobilisation de plusieurs acteurs dont certains sont au cœur du conflit depuis 1948 et arrivent à jouer un rôle prédominant tel le Fonds national juif (FNJ). Ces organismes travaillent en étroite collaboration avec les services gouvernementaux (ministère de l'Agriculture, de la Défense, de l'Immigration, de la Construction et de l'Aménagement...) dans la gestion et le développement des infrastructures de base (terre, eau, travaux publics, etc.).3 Ces institutions sionistes accomplissent le plus souvent le travail le plus méprisable que le gouvernement israélien essaye tantôt de cacher, de justifier ou de revendiquer haut et fort en dépit de l'aspect illégal, voire criminel, de cette entreprise coloniale de dépossession, d'occupation et de la colonisation des terres appartenant aux Palestiniens.4 Israël tire sa force de cette cohésion et de cette synergie. On ne peut en dire autant de tous les pays arabes dont les systèmes de gouvernance furent désastreux depuis la décolonisation. On arrivera à mieux comprendre ce grand chantier sioniste d'effacement des Palestiniens de la Cisjordanie à travers les opérations plus ou moins concomitantes menées impunément mais de la manière la plus sournoise par Israël. Le sociologue, Alain Dieckhoff, décrira par des intitulés précis les principales actions menées dans le cadre de cette gigantesque opération de réappropriation du territoire.5 La « Greffe », étape qui consistera à implanter des colonies sur le territoire palestinien et de procéder à une dispersion maximale sur le terrain, le « Sectionnement » du territoire, opération dont l'objectif sera de morceler la Cisjordanie en plusieurs ensembles pour rompre la continuité territoriale du territoire palestinien et rendre désormais la création d'un Etat palestinien peu viable, voire impossible. La « Segmentation », une autre étape qui visera l'encerclement des grandes villes palestiniennes par des colonies pour marquer symboliquement la présence juive et pour contrôler, freiner ou mettre fin à leur expansion spatiale. La « Soudure » qui vise enfin à établir une continuité territoriale israélienne dans ce capharnaüm spatial. « Sur un territoire aussi confiné que la Cisjordanie, environ 700 kilomètres de route ont ainsi été construits, dont la plupart après 1993, au détriment de terres agricoles, tout en excluant les Palestiniens de nombreux segments routiers réservés aux colons ».6 Ce processus de fragmentation territoriale comportera la construction d'un énorme réseau, toujours plus grand, de routes de contournement dans les territoires occupés, reliant les colonies juives entre elles tout en créant une continuité avec Israël. En contournant les localités palestiniennes, ce lacis de routes coupera les villages palestiniens les uns des autres, des autres villes, et même de leurs champs et de leurs vergers. Dans ce nouveau réaménagement territorial, il sera difficile pour la population minoritaire de former une continuité territoriale et une unité politique quand elle est fragmentée par des implantations juives.7 Le Palestinien est réduit à demander des laissez-passer pour circuler sur ses propres terres afin de survivre socialement et économiquement. Ces maudits dédales (jalonnés par des postes miliaires, des dizaines de Check points, de barrières, de blocs de béton, de monticules de terre...) au sein desquels il se débattra quotidiennement contribuent à moyen terme à son anéantissement. Condamné à mettre 5 heures de route pour franchir seulement 50 kilomètres.8 Sans aucunes perspectives d'avenir, dépouillé de tous ses droits économiques et sociaux, aucun peuple doté du courage le plus fou ne pourra résister assez longtemps si on le prive à la fois de sa terre et des ressources en eau. La gestion de l'eau pour Israël est depuis 1948 une question d'ordre existentiel et exclusivement sécuritaire. L'Etat sioniste déploiera tous ses efforts et notamment après chaque conflit armé afin de se positionner sur les lieux les plus stratégiques lui donnant ainsi le pouvoir énorme de s'approprier quasiment toutes les ressources en eau (fleuve, nappes phréatiques de Cisjordanie, nappes aquifères du littoral) et de procéder à leur distribution. Il empêchera les Palestiniens d'effectuer sur leurs propres terres des forages de puits sans une autorisation qui, le plus souvent, leur sera refusée. Israël gardera un contrôle total du cycle de l'eau (production et distribution). En un mot, Israël peut tuer de faim ou de soif, et en violation avec toutes les règles du droit international, les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie. Quant aux colonies israéliennes, elles peuvent à profusion disposer et utiliser les ressources en terre, en eau et autres dont la population, les agriculteurs, les entreprises et les travailleurs palestiniens ne disposent pas.9 Le sociologue israélien, Baruch Kimmerling, professeur à l'université hébraïque de Jérusalem, publiera un livre remarquable10 à travers lequel il décrira le «processus qui a pour but ultime la disparition du peuple palestinien en tant qu'entité sociale, politique et économique légitime. » Les principaux instruments de ce que l'auteur qualifie de « Politicide » auront pour fonction la destruction physique des institutions et des infrastructures publiques, la colonisation des terres, l'isolation sociale et politique, les transferts de population, les meurtres, les massacres localisés, l'élimination de la tête de l'élite, processus méthodique que l'auteur n'hésitera pas lui aussi à qualifier, à juste titre, de purification ethnique. Israël est en train de judaïser le Néguev et la Galilée en confisquant les terres des Palestiniens qu'elle pousse à l'exil au moyen de la terreur. Elle en fera de même avec la fertile vallée du Jourdain. Elle a pris possession de plus 60% de la Cisjordanie et s'apprête à avaler ce qui reste et qui est déjà sous son emprise. Il ne reste que le minuscule domino qui constitue la bande de Gaza dont elle a déjà rasé la moitié. On peut avec grande affliction et stupéfaction se résoudre à admettre que ce sont les piètres tentatives militaires palestiniennes et arabes (1948/1967), voire l'échec cuisant qui en découlera, qui a permis à Israël de réaliser son rêve du grand Eretz Israël et de s'approprier de facto l'ensemble du territoire palestinien. «La thèse arabe selon laquelle l'expansion sioniste était inévitable est un exemple de ces prophéties qu'on accomplit soi-même : les Arabes firent tout ce qu'ils purent pour qu'elle devînt vraie en choisissant le parti de la résistance armée et en perdant...»11 La dernière incursion (2023) du Hamas sur le sol israélien a eu des conséquences apocalyptiques : la destruction de Gaza, la famine, les épidémies, les morts, l'exode... On peut aussi affirmer que le Plan Dalet n'était qu'une ébauche qui devait s'écrire au fur et à mesure. C'est principalement la déroute arabe de 1967 qui a permis à Israël de s'approprier une fois de plus un territoire qui n'était pas le sien (l'Égypte perdit la péninsule du Sinaï/60.000 km² et la bande de Gaza/360 km², la Jordanie, toute la rive occidentale du Jourdain, y compris Jérusalem-Est /5.600 km², la Syrie, le plateau du Golan/160 km²), de s'agrandir et de s'installer dans la durée avec pour conséquence inévitable de cette frénésie colonisatrice, l'effacement de la ligne verte (la ligne d'Armistice). Ces événements ont conforté Israël dans sa puissance et permis l'entrée en scène d'un courant néo-sioniste mystique qui sera obligé d'intensifier l'essaimage des colonies afin récupérer le cœur de l'héritage biblique « La Judée Samarie », avec ses hauts lieux de la mémoire juive (Hébron et Jérusalem). En mars 2024, et en pleine guerre israélo-palestinienne, le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, figure de l'extrême droite israélienne et du mouvement de colonisation, n'hésitera pas à procéder à la saisie de 800 hectares de terres en Cisjordanie occupée, en vue de l'implantation de nouvelles colonies. C'est le plus vaste plan depuis la signature des accords d'Oslo en 1993. « Au moment où certains en Israël et dans le monde cherchent à saper notre droit à la Judée Samarie [la Cisjordanie], nous promouvons l'installation d'implantations par un travail acharné et de manière stratégique dans tout le pays »12, dira-t-il. Dans l'état actuel des choses, il serait illusoire de penser pour les Palestiniens de retourner aux frontières de 1967, quant à celles de 1948, hormis des réminiscences et une résilience mémorielle farouche (littéraire, artistique, cinématographique), c'est tout ce qui en restera. « Les Palestiniens seront-ils réduits à s'entasser dans des réserves de « Peaux-Rouges » et à danser le dabkeh pour quelques touristes en mal d'exotisme ? Jamais, depuis la guerre israélo-arabe de juin 1967, leur situation politique, diplomatique et sociale n'a semblé aussi désespérée ». 13 *Universitaire Notes 1-Alain Dieckhoff, « Les trajectoires territoriales du sionisme » Vingtième siècle, n°21, janv-mars 1989, p. 40. 2-Alain Dieckhoff, « Les espaces d'Israël, essai sur la stratégie territoriale israélienne ». Fondation pour les études de défense nationale, Coll. « Les 7 épées, Paris, 1987. 3- Catherine, Lucas, « Palestine : la dernière colonie? », Aden Diffusion. Paris, 2003. 4- Lebrun Céline et Julien Salingue, « Israël, un État d'apartheid ? Enjeux juridiques et politiques », L'Harmattan, Paris, 2013. 5- Alain Dieckhoff, « Les trajectoires territoriales du sionisme » Op. cit. pp. 29-43. 6- Pierre Blanc, « Palestine : géopolitique d'une violence territoriale » Confluences Méditerranée- Éditions L'Harmattan, 2013/3 (N° 86), pages 13 à 28. 7- Alain Dieckhoff. « Les espaces d'Israël, Op. cit, p. 76. 8- Le Monde diplomatique « 50 kilomètres, 5 heures de route », Février Mars 2018. 9- Dhuquoi Régine. « Israël : l'enfermement » Coll. «Confluences Méditerranée » L'Harmattan, Paris, 2005. 10- Baruch Kimmerling « Politicide : les guerres d'Ariel Sharon contre les Palestiniens » Ed. A. Viénot, 2003 11- Laqueur (Walter) : Histoire du sionisme. Calmann-Lévy, Paris, 1973. p. 642. 12- Courrier international, 25 mars 2024. 13-Alain Gresh «La Palestine assiégée - De la colonisation à l'apartheid» Le Monde diplomatique septembre 2022. |
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