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La science sociale n'a pas
fini, dans les pays du Maghreb, de se trouver une voie qui allie spécificités
contemporaines et doctrinalisme arrimé aux paradigmes occidentaux. Plus
précisément, les deux itinéraires se sont succédé en boucle depuis la deuxième
moitié du XXe siècle. Il convient, au premier abord, de présenter de façon
succincte un panorama chronologique lié au contexte socio-politique régional.
1/ Au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, la science sociale au Maghreb
était peu représentative du champ des connaissances à côté de disciplines
scientifiques et, de manière plus notoire, juridiques et médicales.
Quelques rares exceptions émergent avec des précurseurs francophones comme, côté algérien Mohammed Arkoun, Malek Bennabi, Abdelmalak Sayad, Mouloud Mammeri , Mahfoud Kaddache, Kamal Malti, etc. La faculté des Lettres d'Alger abritait alors toutes les disciplines en dehors des sciences physico-chimiques et bio-médicales qui avaient leurs propres facultés, à côté de celle de droit et de sciences économiques. En marge de ces structures décanales, on dénombre des Institutions de formation supérieure comme l'EPAU (Ecole d'architecture d'El-Harrach ), l'Ecole Supérieure d'Agriculture , l'Ecole Normale Supérieure de Bouzareah, enfin l'Ecole Nationale Polytechnique, créée à El-Harrach en 1963-64 dans le cadre de la coopération multilatérale avec l'UNESCO et le Fonds Spécial des Nations-Unies (1). Côté recherche, on notera le Centre National de Recherche sur les Zones Arides CNRZA) de Beni-Abbas, qui est une refondation publique (en 1974) d'une institution de recherche de même dénomination remontant à la période coloniale. Actuellement ce Centre est lui-même remplacé par le CRSTRA , situé à Biskra. En dehors du domaine scientifique et pédagogique, on citera une institution riche en histoire, à savoir le CRAPE domicilié au Musée du Bardo en haut de la rue Didouche-Mourad à Alger. Ce Centre, dont la vocation initiale était vouée aux recherches préhistoriques , anthropologiques et ethnographiques , sous la direction de Gabriel Camps, relayé depuis l'indépendance de d'Algérie par Mouloud Maameri, a changé de dénomination depuis la réforme Benyahya: la nouvelle dénomination de CNRPAH ( Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques ), consiste à remplacer l'ethnographie (jugée à connotation coloniale) par l'histoire. Cela n'a pas empêché le gouvernement de créer, au milieu des années 80, un autre centre dédié à l'histoire (le CNEH ), et placé, cette fois, sous le patronage de la Présidence?Il s'avère à cet effet que l'histoire - notamment l'histoire récente du pays - est une chose trop sérieuse pour être confiée à un ministère, fût-il celui de la Culture? Enfin, coiffant l'ensemble de ces structures dont une partie remontant à la période coloniale, on créa l'ONRS (Office National de la Recherche Scientifique) dans la fameuse villa Sesini, (ex-lieu de torture du temps colonial), auquel succédera - après un court intermède d'un mini-secrétariat d'Etat à la Recherche confié à la sociologue Mme Bendjaballah - la DGRSTD (Direction Générale de la Recherche Scientifique, Technique et Développement ) auprès du ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche. Ces deux dernières structures ont été implantées - hasard ou curieuse coïncidence - non loin de l'ex-villa Sésini ? Au Maroc, le premier embryon d'enseignement supérieur scientifique est créé en 1940, pour devenir en 1957 Faculté des sciences. À la même époque, émerge une Faculté des Sciences juridiques, économiques et sociales, domiciliée à Rabat. Nous verrons que le domaine des sciences sociales est intégré à la science normative qu'est le droit et à la science économique, détachée de la discipline juridique en France depuis 1958, date au cours de laquelle la démographie et la sociologie acquièrent dans l'ex-Metropole le statut de discipline à part entière parmi les cursus universitaires. Enfin, plus généralement, l'ensemble des cursus de l'Université Mohammed V étaient sous tutelle de l'Université de Bordeaux pour ce qui est de la validation des diplômes. Cette tutelle ne manquera pas de s'exercer, plus tard, dans le domaine de la Recherche, avec la création du Centre ?Jacques Berque', conçu sur le modèle de l'IRD (Institut de Recherche pour le Développement) implanté localement dans le cadre des contrats scellés entre le ministère ou l'université d'accueil et le CNRS français. À Tunis, l'IRMC (Institut de Recherche sur le Maghreb contemporain) à vocation à ratisser large et dépend du Quai d'Orsay auquel est toutefois associé le CNRS pour toute consultation ou délibération sur des projets en instance avec les pays du Maghreb. Le lien contractuel entre l'IRMC et l'IRD, autrement dit entre les instances géopolitiques de la France et celles relevant de la Recherche-formation universitaire stricto sensu, est d'une ambiguïté patente qui, ceci dit, n'a pas manqué de faire réagir (2 ). En Tunisie, l'organisation de l'Enseignement supérieur et de la Recherche relève des mêmes dispositifs que ceux connus en Algérie, au milieu des années 50, à cette différence près que le CERES, Centre d'Etudes et de Recherche en Sciences Économiques et Sociales, créé en 1962, est très articulé aux Facultés dédiées aux mêmes disciplines (3), un peu à l'image du CNRS en rapport avec les universités françaises , tandis que le CNRPAH algérien par exemple, relève d'une tutelle ministérielle différente de celle des Universités ( ministère de la culture pour le premier, ministère de l'Enseignement Supérieur et la Recherche scientifique pour le second). Il s'avère que cette configuration n'a pas manqué de poser quelques problèmes de cohérence, sachant que le CNRPAH a vocation à faire de la Recherche au même titre que les post-graduations universitaires, voire les laboratoires dépendant de la même institution. Cela est vrai pour l'histoire, l'archéologie, l'anthropologie, etc. (4 ). DÉCOLONISATION ET RECHERCHE DE NOUVEAUX PARADIGMES Les indépendances marocaine et tunisienne furent acquises avec quelques années d'avance sur d'Algérie. Cela explique une certaine primogéniture chez les sociologues des pays voisins. À quelques nuances près, nos aînés tunisiens et marocains firent de leur émancipation politique l'acte inaugural du mot d'ordre identitaire, assorti d'un renouveau idéologique en faveur des valeurs refuges puisant dans la réhabilitation des ressources patrimoniales soit de l'arabité, soit de la berberité, soit (plus rarement ) de la maghrébinité ?De telles postures n'ont cependant nullement entamé l'usage de la langue de la puissance coloniale, à savoir le français, car il fallait bien , pour des universitaires formés dans cette langue, y explorer le réservoir méthodologique et conceptuel sociologique, seul en mesure d'être sinon recevable du moins lisible. Pour cette frange, la francophonie n'était pas incompatible avec la quête des valeurs nationales, même si le courant des arabisants était plus manifeste chez les historiens et les littéraires, sans être néanmoins exclusif. Aussi le francophone Abdallah Laroui (né en 1933) pouvait-il collaborer aisément avec l'arabophone Abdehaq El-Merini (né en 1934). Cependant, les sociologues majoritairement francophones sont Rahma Bourqiya (actuellement Présidente de l'université Hassan II de Mohammedia), Mohammed Tozy, Mohammed Oumlil, Abdallah Hammoudi, feue Fatima Mernissi, Mohammed Naciri, etc ( 5 ). Cette même cohabitation pouvait être constatée dans la communauté des sociologues tunisiens du début des années 60, même si certains cadets semblent douter de la pertinence du français. Dans un article intitulé : « Une sociologie tunisienne francophone fait-elle encore sens ? »?le jeune Imed Melliti semble jouer sur les paradoxes. En effet, soit il s'interroge sur la capacité de la Communauté universitaire tunisienne d'aujourd'hui à s'approprier la langue française, soit il semble réfuter cette langue pour lui préférer la langue de Shakespeare. Or il apparaît partout au Maghreb que le courant anglophile est - dans la communauté des socio-littéraires, en tous cas - plus prégnant chez les arabisants monolingues. Néanmoins notre sociologue tunisien est, depuis tout récemment, vice-président de l'Association Internationale des Sociologues de Langue Française .Il vient par ailleurs de soutenir une thèse (l'impact de la confrérie tidjaniya sur la Communauté tunisienne) sous la direction de Michel Maffesoli, un vieil ami dont la ferveur pour la langue de Molière se passe de tout commentaire? En tous cas, les vieilles générations de sociologues tunisiens étaient, dans le meilleur des cas, bilingues tout en rédigeant prioritairement leurs papiers en français : on peut citer dans le désordre Abelkader Zghal, Khalil Zamiti et son épouse Malika, Hachemi Bekouche, Fredj Stambouli, Traki -Zannad Bouchrara, Lilia Bensalem, Sophia Ferchiou, Réda Boukraa, Tahar- Labib Jedidi , enfin le socio-démographe Moundji B'chir ainsi que son épouse Badra. STATUT DES SCIENCES SOCIALES EN ALGÉRIEL'EXEMPLE DE L'UNIVERSITÉ D'ORAN La Faculté des Lettres d'Alger est très ancienne. Elle n'a quasiment pas dérogé aux cursus et aux modalités d'examination qui les régissaient depuis la fin de l'époque coloniale. Même si les trois sections que sont la philosophie, la sociologie et la psychologie relèvent de licences autonomes (verbalisées ès qualités), le Diplôme d'Etudes Supérieur s'intitulait « D.E.S. de philosophie » assorti d'une mention spécifiant la licence de domiciliation (exemple: DES de philosophie, mention: sociologie). Cette disposition relève de la réforme française du cursus des sciences sociales, qui s'est faite jour en 1958. Cette réforme donne une existence juridique au second cycle de chacune des disciplines visées plus haut mais les regroupe sous le sigle de la philosophie au niveau du 3e cycle. C'était la marque de fabrique des sciences sociales qui, jusqu'à cette période, étaient considérées comme des sous-sections de la philosophie. Rien d'étonnant à ce que l'enquête de terrain en sociologie, comme ses ramifications avec l'ethnologie, l'économie, la science politique, la statistique, etc. passent à la trappe. Pendant longtemps le doctrinalisme prime, comme dans l'ex-métropole, avec les sciences dites sociales, au premier rang desquelles la sociologie. Il est vrai que la psychologie a connu des frémissements d'ordre technique dans ceux des certificats dont était composée la licence, à savoir : psychologie expérimentale et psycho-pathologie, à côté de psychologie sociale et psychologie générale. En effet le premier certificat permettait de s'ouvrir à des calculs puisés dans des disciplines dites annexes : par exemple, les travaux pratiques étaient dédiés à l'usage du chronoscope permettant de mesurer le temps de réaction à un stimulus. Concernant l'autre certificat (plus tard ce certificat fut dédoublé en Psycho-pathologie générale et psycho-pathologie animale alias psycho-pathologie comparée), les travaux pratiques étaient des stages intégrés à l'emploi du temps qui se déroulaient à la clinique psychiatrique du « Ruisseau » (à l'est d'Alger). Le docteur Timsit y recevait les étudiants dans un amphi pour des séances de présentation des malades mentaux. Ces séances étaient destinées indivisément aux étudiants de 5e année de médecine qui passaient leur stage de «clinique» (6). Quant à la licence de sociologie, elle partageait avec celle de sociologie le certificat commun de psychologie sociale. Les deux cohortes se retrouvaient dans l'amphi où se donnaient les cours magistraux. Généralement les travaux dirigés donnaient lieu à la constitution de groupes restreints travaillant sur des thèmes différents dédiés à chaque groupe (7). La conformité du système universitaire d'avec celui de la France a duré pratiquement jusqu'à la « reforme-Benyahya » de 1971. Si l'enseignement des sciences sociales à l'université d'Oran-Es -Senia fut plus tardif (à partir de 1967-68), cet enseignement avait débuté dans un centre universitaire dépendant de la capitale (8) depuis l'année 1965. La nouvelle université remplaçait l'ancienne caserne de l'armée de l'air française, à laquelle était d'ailleurs rattaché un immeuble d'habitation de type HLM situé dans la cité d'Es-Senia et baptisé « Cité de l'Air ». Il va sans dire que les premières recrues d'enseignants de l'université y pouvaient loger. Les appartements étaient vastes et confortables : cela, je peux en témoigner pour y avoir résidé l'année de mon recrutement. La faculté des Lettres englobait comme auparavant les sciences sociales, à côté de l'histoire et géographie, les langues vivantes et la philosophie. Au cours de l'année 1967-68, elle occupait le premier étage d'un même immeuble, dont le rez-de-chaussée était occupé par la faculté de droit et de sciences économiques. L'année suivante, un immeuble plus à l'ouest fut occupé entièrement par la Faculté des Lettres, en raison, d'une part des travaux de restauration qui avançaient à grands pas et, d'autre part, de l'accroissement exponentiel des effectifs étudiants, dont une bonne partie gravissait le seuil de l'université non par le passage du baccalauréat mais par celui de l'examen d'entrée en fac., une libéralité liée au contexte de la guerre d'indépendance , au cours de laquelle nombre de jeunes citoyens abandonnèrent leur scolarité dans le secondaire. À partir de l'année 1968, la Faculté des Lettres, désormais à l?aise au plan de l'espace, va connaître une double subdivision à la fois géographique et linguistique : le rez-de-chaussée est ainsi réservé aux étudiants arabophones, le premier étage aux francophones, les deux cohortes linguistiques étant censées suivre le même programme pour chaque discipline mise en place. Il va de soi que si la chose pouvait s'entendre sur le plan formel, elle posait en revanche d'énormes problèmes logistiques et d'organisation pédagogique (9). Il est vrai que toutes licences relevant formellement de la dite Faculté des Lettres, n'allaient être concrétisées qu'au terme d'une année propédeutique (francophone et arabophone) regroupant l'ensemble des effectifs inscrits. Le vrai problème se posait pour l'année suivante, qu'il fallait préparer drastiquement. Nous disposions des ressources humaines grâce à une politique de coopération dynamique menée conjointement par notre chancellerie et par le ministère de tutelle. Si la section arabophone s'est limitée à la licence de littérature arabe, histoire et philosophie, celle francophone se devait de mettre en place pour la rentrée 1968-69 la quasi-totalité des licences traditionnellement connues à l'époque. Inutile de dire que les mois de juillet, août et septembre étaient les plus studieux de ma carrière professionnelle, sans oublier celle de ceux qui ont concouru à cette tâche : j'avais constitué un groupe de travail bénévole avec des collègues , y compris des coopérants français (Mlle Siauve, MM Gargam, Français Décret , Gilbert Gandguillaume, Mme Talahit, etc.) pour élaborer un programme de licence couvrant au moins deux certificats sur quatre pour préparer la rentrée suivante(10). Nous avons pu inscrire ainsi, à la rentrée de 1968-69, des étudiants en licence d'anglais, français, allemand, russe, italien, sociologie, psychologie, philosophie, géographie, histoire (11). L'EXPÉRIENCE ORANAISE DES SCIENCES SOCIALES PRIMAUTÉ DE L'ENQUÊTE DE TERRAIN La Faculté des Lettres d'Oran, à ses débuts, et plus précisément le département des sciences sociales ne disposaient d'aucune superstructure de recherche. Il fallait attendre la législation permettant la création des unités de recherche pour donner naissance à l'URASC fin 1983 (laquelle deviendra CRASC, alias Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle en 1992). Jusqu'à cette date, les structures mises en place furent , chronologiquement le CDR ( Centre de Documentation et de Recherche , relayé plus tard par le CDSH, rebaptisé CRIDISCH sous l'impulsion de feu Abdelkader Djeghloul ), qui nous a servi de support éditorial pour le dossier Syga ( enquête réalisée en 1968 avec la participation du professeur François Décret, spécialiste en antiquité nord-africaine et qui a mobilisé la cohorte d'étudiants de propédeutique ), ainsi que la somme des rapports d'enquêtes réalisées dans le cadre du T.D. en psychologie sociale en 1969 ( groupes restreints chargés d'enquêtes diverses dont la prostitution en Oranie, la divorcialité en rapport avec les nouvelles migrations de travail, le travail féminin à la Sonitex etc.). Au cours des années 69 -73, des voyages d'études donnant lieu à des rapports de stage ont été effectués : - A Sidi Slimane: village frontalier avec le Maroc où les mêmes familles résident sur des terres transfrontalières, ce qui met en évidence la complexité de problèmes litigieux où le statut d'indivision foncière interfère sur les problèmes de juridiction territoriale. - A Tamanrasset, avec la participation de collègues tunisiens , l'objet de cette mission étant de mesurer le lien entre nomadisme et accumulation foncière, deux fonctions contradictoires , mais régulées par l'existence d'un servage à visages multiples. - A Adrar, Timimoun et Ain-Salah : plusieurs missions pour mesurer l'impact de l'irrigation minière en rapport avec les rapports sociaux de production mettant en relation Chorfas, m'rabtin's, harratin's et ´Abid (Iklan). - A Maghnia (été 70) enquête regroupant 35 étudiants dont une dizaine venant d'Alger pour évaluer la faisabilité de la politique de mise en valeur représentée par le système d'irrigation par aspersion dans le cadre d'un programme de coopération avec le BDPA (Bureau d'études international). - Enfin à Magoura où le Wali de Tlemcen nous confia une enquête de faisabilité de « villagisation » des agro-pasteurs d'une zone frontalière. Cette enquête constituait un projet-pilote de la phase 3 (pastoralisme) de la Révolution Agraire. D'autres enquêtes plus ponctuelles eurent lieu au cours de cette même période, ce qui a permis à de nombreux étudiants de soutenir leurs diplômes, voire leurs thèses, en approfondissant les thèmes qu'ils avaient esquissés lors des enquêtes pédagogiques. Parmi ces étudiants, un certain nombre d'entre eux émargent dans les Universités nationales ou étrangères comme professeurs ou directeurs de recherche. La création de l'URASC, à la fin de l'année 1983, est venue pérenniser une pratique de recherche jusque-là soumise au volontarisme et, il faut bien l'avouer, à un certain activisme des responsables pédagogiques. En effet, si ces enquêtes relevaient souvent d'une demande extérieure aléatoire, soit privée soit publique, elles empêchaient cependant la Communauté universitaire de se donner les moyens de s'inscrire dans le temps long, de programmer des problématiques de recherche libres de toute commande expresse. Nous sommes en effet, au début des années 70 , avec la Révolution Agraire (ordonnance du 8 novembre 1971), les Décrets portant gestion socialiste des entreprises (juin & novembre 71 ) et la réforme du système éducatif , notamment de l'Enseignement supérieur (réforme dite « Benyahya » d'octobre 71), soit les TROIS RÉVOLUTIONS, affirmées vaillamment par le pouvoir et les organisations de masse. L'étudiant y trouvait l'occasion de compléter par l'épreuve du terrain, la matière pédagogique d'alors et qu'il convenait de réformer dans le sens de l'algerianisation des programmes. L'élan militant, voire révolutionnaire de l'impétrant, appelé au « volontariat » pour la circonstance, interférait drastiquement avec le contenu des cours théoriques alors en usage en sciences sociales. Il convenait, au nom d'une démagogie confinant à la paresse intellectuelle, de remplacer les méthodologies occidentales (techniques sociométriques, analyse de contenu, échelles d'attitude, formalisation du social etc.) par une conception plus «virile», et plus en adéquation avec les «réalités du pays». Un tel état d'esprit a été coopté par une partie du personnel enseignant, chez lesquels le cours de méthodologie se confondait souvent avec l'ambiance de meeting, où Karl Marx et ses ayants cause étaient convoqués pour planter le tableau d'une sociologie résolument révolutionnaire (12). J'ai mené ce combat, en ne lâchant rien sur les méthodologies dites bourgeoises, et en les mettant en pratique lors de mes pérégrinations sur le terrain auprès de mes étudiants dont, me semble-t-il, un bon nombre m'en ont su gré à l'âge de maturité. La création de l'URASC est venue donner sens à ce credo, comme cela a été exprimé dans la plate-forme de sa création: opter pour le temps long, comme sur l'articulation entre diachronie et synchronie. Dans ce choix, il convenait de clarifier les choses, en précisant que le temps de l'enquête avait pour fonction de confirmer ou d'infirmer le temps anthropologique, et qu'il n'y a pas de contradiction épistémologique entre les deux temporalités. Des amis nous ont rejoints dans cette aventure, à un moment où l'ex-CRAPE est fermé, au motif que l'anthropologie, l'ethnologie et l'archéologie sont d'inspiration colonialiste. Sa reconversion tardive sous la dénomination de CNRPAH ne changea rien à la sémantique du sigle. Sauf que berbérisants et arabisants se sont opposés autour de la vocation du Centre (13). Nous avons accueilli d'autres collègues et amis « algérois », lesquels ont pris part à la direction de projets figurant désormais dans le programme de recherche de chaque labo constitué. C'est le cas de feues Claudine Chaulet et de Fanny Colonna, de Mourad Yelles, entre autres collègues. L'avènement d'un Centre National, intervenu en 1992, change la donne, quant aux nouveaux moyens matériels et logistiques. Ayant quitté la direction de cette unité en 1989, le droit de réserve m'interdit de commenter la qualité de fonctionnement du CRASC, déontologie oblige. ** Professeur Émérite des Universités (*) Conférence introductive au Salon des Sciences Sociales organisé par le GRAS (Université d'Oran2) du 18 au 20 novembre 2022. NOTES : (1) - Durant mes fonctions au Plan comme administrateur civil (1963-65 ), j'étais chargé de participer aux négociations avec le Fonds Spécial des Nations-Unies et l'UNESCO du programme de réalisation de l'Ecole Polytechnique d'El-Harrach. À l'époque, le partenaire contractuel était le recteur Abdelaziz Ouabdesselam. Ce projet, limité initialement à la physique, s'est enrichi d'une deuxième vocation, mettant à la disposition de l'IAP le département de génie chimique. M. Ouabdesselam venait de succéder alors au premier recteur de l'Université d'Alger, feu André Mandouze, un ami de l'Algérie en lutte pour son indépendance et ancien professeur de Lettres latines à l'Université de Strasbourg. (2)- Un courrier émanant de l'Association de la Revue de l'Ouest Saharien attirait récemment mon attention sur la duplicité de l'IRMC avec le Quai d'Orsay, notamment concernant l'encouragement prodigué par ce Centre à des projets d'investissement dans le Sahara Occidental. Il s'avère que ce centre est dédié à la politique extérieure de la France qui, dans le cas d'espèce, est délibérément alignée sur la position marocaine sur le statut du Polisario. Quant à L'IRD, il est contractuellement lié à L'IRMC sur les orientations politiques qui sous-tendent les programmes de recherche au Maghreb-Sahel. Le Centre Jacques Berque de Rabat comme l'IRD de Tunis en constituent la marque de fabrique : plus généralement ces centres servent plus de structure d'accueil aux chercheurs français travaillant sur le Maghreb que les chercheurs Maghrebins eux-mêmes. (3)- Abdelwahab Bouhdiba , qui fut à la tête du CÉRÈS depuis sa création, a joué sans conteste le rôle de rassembleur auprès de la communauté des sociologues de son pays . Son dernier livre, intitulé « Quêtes sociologiques », (Editions Cérès ) constitue une profession de foi de ce que doit être la recherche sociologique dans les pays du Maghreb. (4)- Dans un rapport que j'ai rédigé à la demande du Conseil Scientifique de la Recherche auprès du Ministère de l'Enseignement Supérieur, portant sur le bilan de la recherche scientifique en Algérie durant le quinquennat 2008 -2013, je faisais remarquer l'aberration de ce double emploi en matière d'archéologie : le CNRPAH , filière du ministère de la Culture, partage avec les universités la même vocation à délivrer des doctorats en archéologie, sans aucune spécificité thématique ou juridique de l'une ou l'autre filière . (5)- Il faut rappeler le rôle précurseur de feu Paul Pascon , qui prit la nationalité marocaine en 1964. Il initia de nombreuses recherches recherches dont se sont inspirés ses cadets. (6)- Docteur Timsit aimait reprendre les thèses de Frantz Fanon, adepte du concept de «pathologie coloniale». En effet, lors des séances de présentation des malades, certains, notamment les femmes, croyaient voir arriver vers elles le président Benbella. Les années qui ont succédé à l'indépendance ont pu donner lieu à des frustrations chez ceux qui, pour avoir participé à la lutte pour l'Indépendance, pensaient que leur nom allait être évoqué dans les discours publics. Le sentiment d'être réduit à l'anonymat contrariait leur ego, voire leur mégalomanie. Un drame survenu en avril 1963 concernait l'assassinat du ministre des Affaires étrangères, feu Mohammed Khemisti, par un denommé Zennadi, originaire de Mostaganem. Il semblerait que cet individu souffrait de ne pas être reconnu comme moudjahid. Il tenta de se faire connaître (ou reconnaître) par la pratique foot-ball. Suite à l'échec de l'opération, il s'essaya dans le journalisme. Peine perdue. Il finit par attenter à la vie du ministre Khemisti à la sortie de l'Assemblée nationale. Apparemment, cet acte n'avait donné lieu à aucune explication politique ou personnelle. Était-ce le but recherché pour se faire connaître? (7)- Au début des années 60, les effectifs étaient trop restreints pour nécessiter la constitution de groupes de travail. En fait, ces T.D. étaient quasiment fictifs. En revanche, à l'université d'Oran (fin des années 60 début 70), les T.D. de psychologie sociale, qui étaient communs aux sociologues et aux psychologues, constituaient le bloc fondamental du « métier». Le premier document publié par le Département de sociologie (année 1969), édité par le quotidien «Oran Républicain » constituait pas moins de sept études monographiques issues du terrain, parmi lesquelles les thèmes suivants: -Prostitution, conséquence de la perte du lien familial - Divorcialite et migrations urbaines en Oranie - Travail féminin dans le textile à Sonitex et statut conjugal - Arabisation des enseignes commerciales et aberrations linguistiques. - etc. (8) - Dénommé « Le Pigeonnier », près du boulevard Albert 1er ( Oran ). (9)- La Faculté faisait l'objet d'un bi-camerisme, au terme duquel Sam Menouar (diplôme de ettres Arabes en Syrie acquis durant la guerre d'indépendance) était nommç doyen de la section arabophone, tandis que j'étais doyen de la section francophone (sauf que le titre de doyen était administrativement dévolu à Sam?). (10)- Il faut rappeler que dans l'ancien système universitaire (en France comme en Algérie), un étudiant reçu en propédeutique et inscrit en licence pouvait opter pour deux certificats sur quatre au maximum, ce qui portait la durée d'études pour l'obtention de la licence à trois ans au total ( propè.+ 4 certif. ) (11)- La licence d'histoire était ouverte, à partir de l'année 70, à la section arabisée, en raison, dans l'esprit du réformateur, du caractère «sensible » de cette matière. D'ailleurs, la licence de philosophie a connu simultanément le même destin, pour les mêmes raisons : non seulement le discrédit était jeté sur la langue française, déjà à cette époque, mais, mutandis mutandis, sur son usager potentiel, ce qui ne peut laisser indifférent face à ces curieuses discriminations, pour le moins infantiles? En revanche, au début des années 70, on ouvrit une licence de démographie (en français cette fois) venant constituer un 5e certificat (optionnel au même titre deux autres certificats surnuméraires: Économie politique et sociale & Ethnographie de l'Afrique du Nord) pour la licence de sociologie. Cette disposition était conforme à la réforme française de 1958 qui donna statut autonome de la licence de sociologie ( détachée de la philosophie , sauf pour le DES, qui reste intitulé DES de philosophie, mention sociologie ou psychologie ). La création du certificat de démographie, constitutif de la licence de sociologie, s'est faite sous l'impulsion d'Alain Girard, alors directeur de l'INED (1958 ). (12)- Durant mon année universitaire strasbourgeoise (1961-62), je suivais avec beaucoup d'entrain les cours d'Henri Lefebvre ( Structure et dialectique & sociologie de la vie quotidienne ). C'était un marxiste hégélien, c'est-a-dire n'ayant retenu de Marx que le principe d'opposition. Il se plaisait à nous rappeler en guise de formule : «il y a deux éléments irréductibles dans la nature : le nombre et drame, le cardinal et l'ordinal, le sémantique et l'esthétique ». Il fut expulsé du parti communiste quelque temps après la dévastation de Budapest par les chars soviétiques (1956). Son collègue et ami, Abraham Moles, français d'origine tchequoslovaque, physicien acousticien de renommée mondiale, et converti à l'enseignement de la psychologie sociale , nous faisait un cours intitulé «cybernétique et société» alternant avec un autre : «Nature du sentiment esthétique». C'était une féerie que d'être à l'écoute de ces maîtres. Je dois dire que ces cours ont contribué à apaiser mes angoisses nées d'un traumatisme subi au cours de mon adolescence (épisode de mon incarcération durant la guerre d'indépendance). L'approche de ces génies de la pédagogie reposait sur le même présupposé philosophique, selon lequel le principe dialectique s'appliquait autant au social qu'à la nature, au sens où pouvait l'entendre Leibnitz, l'inventeur du calcul différentiel et intégral. La voie naturaliste de la raison dialectique m'a reconstruit intellectuellement et psychiquement, au point où toute ma carrière académique a été une mise à jour de cette démarche, dans laquelle la raison dialectique s'éloignait du « matérialisme militant » pour parodier Gueorgui Plekhanov. J'eus à vivre ou à revivre, au cours de la carrière oranaise, ce bras de fer cornelien d'avec certains de mes collègues qui transformaient les cours en meetings bruyants au sein des amphis. Pour eux, je passais pour le sociologue bourgeois, puisque telle était la dénomination de ceux qui n'avaient rien d'autre à offrir à leurs élèves que de la matière bassement empirique, de la méthodologie quantitative qui nous ravale à une science fidèle servante du patronat , du capitalisme, impérialisme et autres impérities?J'ai pu cependant, sans prosélytisme aucun, amener quelques-uns de mes étudiants à s'imprégner du fait que le terrain est la meilleure manière d'articuler théorie de la pratique et pratique de la théorie. (13)- Ahmed Ben Naoum , alors directeur du CNRPAH , échappa à un attentat au milieu des années 90. Obligé d'émigrer en France, il fut remplacé par Noureddine Saoudi, géologue de formation et musicien à ses heures perdues. Il dut à son tour quitter le Centre car, trop attaché à la musique andalouse, il n'attachait pas l'importance qu'il convenait aux recherches berberisantes ? |
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