Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Unanime, la presse française
a salué La Dernière Reine d'Adila Bendimerad
et Damien Ounouri. Mais toutes critiques louangeuses
ne se valent pas. Revue de presse par notre envoyé spécial à Cannes. Sous le
titre «La dernière reine, héroïnes fantasy à Alger»
le quotidien Libération, par la plume d'Elisabeth Franck-Dumas, estime que le
film n'est «ni manichéen ni consensuel, car tout y est un peu plus compliqué
qu'attendu, mais militant néanmoins». «Activant avec force
tous les leviers du gros divertissement, l'épopée d'Adila
Bendimerad entend rendre leur place aux femmes en
magnifiant une monarque légendaire» résume la critique, en taclant gentiment au
passage Hassan Guerrar, l'attaché de presse du film :
«Vendue par l'attaché de presse comme un «Pirates des Caraïbes au bled», voire
un «Game of Thrones sans le cul» (sic), cette
première fiction cosignée par la comédienne Adila Bendimerad qui figure également au générique et déchire
tout dans le rôle de la reine, et du cinéaste Damien Ounouri
penche plutôt vers le péplum hollywoodien, malgré son cadre algérois au XVIe
siècle. Même emphase au son d'une musique omniprésente, même penchant
pour l'anachronisme tous azimuts, même enchaînement parfois galvanisant de
péripéties».
«Un film à voir» appui le quotidien Le Monde qui y consacre une critique courte, favorable, et qui aurait pu être parfaite si elle n'était pas trempée dans la condescendance qu'utilisent souvent les critiques français quand il s'agit de films algériens ou d'une autre contrée du Sud. Ainsi la critique Véronique Cauhapé écrit d'emblée : «L'arrivée dans les salles de La Dernière Reine constitue en soi un petit événement, un symbole. Le premier long-métrage d'Adila Bendimerad (qui tient le rôle-titre) et de Damien Ounouri est, en effet, un rescapé. L'un des derniers films ayant bénéficié du soutien du Fonds de développement de l'art, de la technique et de l'industrie cinématographique (Fdatic). Depuis, en effet, ce dispositif, lancé cinq ans après l'indépendance du pays et qui a contribué à maintenir la tête du cinéma algérien hors de l'eau, a été dissous (?) Dans ce contexte de désolation, difficile de ne pas porter un regard tendre et bienveillant sur cette Dernière Reine venue d'Alger». La critique souligne par ailleurs que «le film expose face aux hommes quelques belles et courageuses figures féminines dont le mérite se mesure à l'aune du champ restreint qui leur est assigné. Un champ dont la signification s'exprime, sans ostentation ni effet démonstratif, par le soin apporté aux décors, aux costumes, aux cadrages, à la chorégraphie des corps. Alors qu'à l'extérieur les hommes se livrent à des batailles épiques, les femmes, elles, dans l'intimité d'un dédale de voiles et d'enceintes luxueuses, se fraient un chemin de liberté. Ce sont ces combats que croise et juxtapose, dans la fièvre et le désir, La Dernière Reine ? vestige d'une splendeur effacée à laquelle le film nous rappelle». L'hebdomadaire Télérama, considéré comme un magazine prescripteur, décerne trois clés pour le film, ce qui correspond à la mention «très bien». Pour sa critique, Cécile Mury, le film d'Adila Bendimerad et Damien Ounouri est «une épopée somptueuse, portée par la figure puissante et subtile d'une femme en rébellion». Elle signe sans doute la meilleure critique du film dans tous les sens du terme: «Ce portrait de femme, qui se découvre un destin politique en même temps qu'elle se rebelle contre la domination masculine, est le cœur palpitant de ce film inclassable, qui tient autant de la tragédie orientalo-shakespearienne que du (très bon) divertissement de cape et d'épée». Toute la presse française qui compte jette des fleurs au film, néanmoins certaines ont des épines qui piquent profond. Par exemple, Le Journal du Dimanche, autre titre important de la presse hexagonale, salue en La Dernière Reine «une figure féminine à rebours des héros nationaux de la décolonisation glorifiés ou dépouillés de leur complexité.». Du coup, pour le critique du JDD, «La Dernière Reine est un film historique qui transporte Shakespeare en Algérie», encore Shakespeare !, et il pousse sa bienveillance jusqu'à juger que «les dialogues et le jeu très démonstratif des acteurs lui donnent même involontairement un petit côté soap pas désagréable». La critique de L'Humanité, le journal du Parti Communiste français, titre «L'Algérie exalte son roman national» et au fond ne dit pas autre chose que son confrère de droite dans son élogieuse critique, saluant à son tour un film qui évoque l'Algérie d'avant la colonisation française. Heureusement pour La Dernière Reine, toutes les critiques françaises n'oscillent pas entre le ton paternaliste et la mauvaise conscience postcoloniale, d'autres titres de la presse généraliste ou spécialisée dans le cinéma ont encensé le film aussi bien pour des raisons esthétiques que politiques. A cet effet Les Cahiers du Cinéma rappellent, par exemple, que «La Dernière Reine, «reconquête» à sa manière, offre sa réponse, d'une calme insolence, à ceux qui voudraient nier l'existence d'une nation algérienne avant la colonisation». Thierry Méranger estime par ailleurs que le film «épouse un genre dont le souffle romanesque se délecte autant des boursouflures du grand spectacle que des tragédies d'intérieur». Bien vu. Pour le critique des Cahiers du Cinéma, La Dernière Reine croise ainsi dans ses meilleurs moments «Le Cléopâtre de Mankiewicz et le bollywoodien Padmaavat de Sanjay Leela Bhansali». Ce qui donne envie de découvrir aussi vite que possible ce Padmaavat et de revoir à l'occasion Elisabeth Taylor en reine égyptienne, pour la comparer, à 60 ans d'écart, avec Adila Bendimerad en reine algérienne. |
|