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BERKELEY
- L'agitation qui règne aux États-Unis au sujet du plafond sur la dette
fédérale a redirigé l'attention vers la montée en flèche des emprunts publics.
Dans le contexte du resserrement monétaire de la Réserve fédérale,
l'accumulation de la dette renforce l'inquiétude quant à la croissance
explosive des obligations portant intérêts détenues par le gouvernement.
Il s'agit d'un récit terrifiant, qui évoque une crise imminente. Le seul problème, c'est que presque tous les éléments de ce récit sont faux. Premièrement, la dette publique n'est pas en train d'exploser. Le Congressional Budget Office prévoit que la dette détenue par le public passera d'un peu moins de 100 % du PIB en 2022 à un peu plus de 110 % en 2033. Bien qu'elle soit à surveiller, cette augmentation n'est en aucun cas catastrophique. En outre, même si le CBO prévoit que le ratio d'endettement, alimenté par les dépenses de sécurité sociale et de santé, augmentera plus rapidement par la suite, il y a des problèmes plus urgents à régler aujourd'hui que ce qui se passera après 2033. Il est notamment urgent de renouveler les infrastructures américaines, d'éviter une catastrophe climatique et d'assurer l'éducation et la formation des jeunes. Réduire aujourd'hui des programmes publics essentiels pour résoudre un problème de dette qui ne commencera pas à se matérialiser avant une décennie reviendrait à se tirer une balle dans le pied. Deuxièmement, les frais d'intérêt ne sont pas non plus en train d'exploser. Certes, l'inflation reste élevée, ce qui fait grimper les taux d'intérêt à court terme. Cependant, puisque le Trésor américain émet des obligations à long terme, les coûts du service de la dette dépendent des taux à long terme, qui ont moins augmenté. Actuellement, le taux d'intérêt des obligations d'État à dix ans est de 3,6 %, alors que les prévisions d'inflation du CBO pour cet horizon sont de 2,4 %, de sorte que le taux d'intérêt réel (corrigé de l'inflation) pertinent pour le calcul de la charge d'intérêt reste de seulement 1,2 %. De plus, comme nous le rappelle Olivier Blanchard, ancien économiste en chef du FMI, dans un nouveau livre important, ce qui compte, c'est la différence entre le taux d'intérêt réel et le taux de croissance de l'économie. Si le taux d'intérêt réel est inférieur au taux de croissance du PIB corrigé de l'inflation, le ratio d'endettement peut diminuer même si le gouvernement enregistre des déficits budgétaires. Or, le CBO prévoit une croissance de 1,7 % pour les dix prochaines années, soit un taux supérieur au taux d'intérêt réel. Il ne s'agit pas d'une autorisation de s'engager dans des dépenses illimitées. Mais cela implique que, étant donné un ratio dette/PIB de 100 %, le gouvernement fédéral peut enregistrer des déficits de 0,5 % du PIB (la différence entre 1,7 % et 1,2 %) au-delà de ses paiements d'intérêts sans que le ratio de la dette n'augmente. Il est concevable que le CBO surestime le potentiel de croissance de l'économie américaine. La croissance de la productivité a connu une tendance à la baisse, et cette tendance pourrait persister. Mais il est également possible que le CBO sous-estime la croissance potentielle, étant donné que les entreprises commencent seulement à exploiter les nouvelles technologies qui apparaissent tout autour de nous. Une façon prudente de procéder est d'adopter l'estimation du CBO, tout en reconnaissant l'incertitude considérable qui l'entoure. L'inflation diminuera, étant donné l'engagement de la Fed à la réduire. Il en sera de même pour les taux d'intérêt nominaux, étant donné que les investisseurs sont conscients de l'engagement de la Fed. Le taux qui baissera le plus vite - en d'autres termes, l'évolution du taux d'intérêt réel - dépendra de l'équilibre entre l'épargne et l'investissement. Pensez-y de la manière suivante : plus l'épargne est abondante pour financer des projets d'investissement productifs, plus les taux de rendement réels seront bas. Du côté de l'épargne, le passé est un bon guide pour l'avenir, car les facteurs déterminant l'épargne disponible pour l'économie américaine évoluent lentement dans le temps. Les principaux d'entre eux sont l'âge moyen et la longévité de la population. Dans la mesure où la longévité domine, et où les personnes anticipant un plus grand nombre d'années de retraite épargnent davantage, l'offre d'épargne et la demande de bons du Trésor américain sont toutes deux susceptibles d'augmenter. Un effet opposé provient de l'offre d'épargne de la Chine et d'autres marchés émergents, ce que l'ancien président de la Fed, Ben Bernanke, a appelé le « surplus d'épargne mondial ». Néanmoins, avec le ralentissement de la croissance en Chine, cette source d'épargne va diminuer. De plus, la volonté de la Chine et d'autres marchés émergents d'investir spécifiquement dans les obligations du Trésor américain diminuera, étant donné la montée des tensions entre les États-Unis et la Chine et la volonté manifeste du gouvernement américain d'imposer des sanctions financières aux gouvernements dont il n'apprécie pas les politiques. On peut supposer que ces différents changements dans l'offre d'épargne, qui agissent dans des directions opposées, seront plus ou moins compensés. L'action importante se situera donc du côté de l'investissement. Il y aura une pression politique et une incitation économique considérable pour des investissements supplémentaires dans les infrastructures, la lutte contre le changement climatique, la prestation de soins de santé et les nouvelles technologies numériques. La concurrence pour accéder à l'offre limitée d'épargne par ceux qui entreprennent ces investissements supplémentaires exercera une pression à la hausse sur les taux d'intérêt, rendant la viabilité de la dette plus fragile. Mais ces mêmes investissements, s'ils sont réalisés intelligemment, stimuleront la croissance économique, rendant la viabilité de la dette moins problématique. Ceux qui imaginent une crise imminente de la dette font beaucoup de bruit pour rien. Il vaudrait mieux que les responsables politiques américains économisent leur énergie - et leur capital politique - pour mener des batailles réelles plutôt qu'imaginaires. Traduit de l'anglais par Timothée Demont *Professeur d'économie à l'université de Californie, Berkeley - Auteur, tout récemment, de In Defense of Public Debt (Oxford University Press, 2021) |
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