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CAMBRIDGE
- Bientôt deux ans après le début de l'actuelle période d'inflation, le concept
d'« inflation transitoire » fait son retour, à mesure que se dissipent les
chocs d'offre liés aux COVID-19. Ce retour intervient à un moment auquel il est
indispensable de conserver une ouverture d'esprit quant à la trajectoire de
l'inflation, et notamment d'éviter les discours simplistes autour de
l'expression « transitoire », qui risqueraient
d'éclipser les véritables problématiques auxquelles l'économie américaine est
confrontée.
Le terme « transitoire » est une notion rassurante, qui suggère un phénomène réversible, de courte durée. Mais elle sous-entend surtout qu'il n'est pas nécessaire d'ajuster les comportements. Après tout, si un épisode inquiétant d'inflation n'est que temporaire, le meilleur moyen d'y faire face consiste à se contenter de patienter (ou à « rester attentif à la situation », pour employer un élément de langage propre à la politique et au marketing). C'est la raison pour laquelle ce discours se révèle particulièrement dangereux. En incitant à la suffisance et à l'inertie, il risque en effet d'aggraver un problème déjà sérieux, et de le rendre encore plus difficile à résoudre. C'est ce qu'illustre notamment la réponse initiale de la Réserve fédérale américaine. En 2021, la banque centrale la plus puissante et la plus influente au monde s'est empressée de qualifier de transitoire l'augmentation de l'inflation. La Fed a ensuite réaffirmé cette approche, alors même que les données la contredisaient, et refusé pendant trop longtemps de changer de cap. Cette erreur de caractérisation répétée de la part de la Fed a retardé la mise en œuvre de réponses politiques essentielles, alors que la persistance de l'inflation commençait à influencer la fixation des prix par les entreprises, ainsi que les revendications salariales des travailleurs. Résultat, la Fed a non seulement perdu en crédibilité, mais également infligé des difficultés inutiles à plusieurs millions de ménages américains, en particulier parmi les catégories de population les plus vulnérables. Si quelques rares économistes n'ont jamais abandonné la thèse de l'inflation transitoire, l'immense majorité a compris dès l'année dernière qu'il s'agissait d'une erreur analytique et politique regrettable. Et c'est ce qui rend encore plus déconcertante l'actuelle réapparition de ce discours. Un récent article publié dans Politico énonce que « certains aspects au moins portent à croire que [les économistes et dirigeants politiques] qui ont assuré [aux Américains] que l'inflation serait transitoire, dont le président de la Fed, Jerome Powell, ont eu raison d'une certaine manière, à ceci près que la période transitoire s'est révélée plus longue et plus douloureuse que prévu ». Regrettable, non seulement cet article tente d'imposer une dimension temporelle à un concept intrinsèquement comportemental, mais il oublie également que la réponse initialement hésitante de la Fed a contraint celle-ci à adopter l'une des séquences de hausses des taux d'intérêt les plus agressives de l'histoire, dont quatre augmentations consécutives de 75 points de base. Par ailleurs, même si l'inflation a ralenti aux États-Unis, il est dangereux de suggérer que le problème serait derrière nous. Pour le reste de cette année et le début 2024, trois possibilités se dessinent selon moi. La première réside dans une désinflation ordonnée, qualifiée d'« immaculée désinflation » par ses détracteurs. Dans ce scénario, l'inflation continue de diminuer à un rythme régulier, jusqu'au niveau de 2 % ciblé par la Fed, sans mettre à mal l'emploi et la croissance économique des États-Unis. Cette dynamique implique principalement un marché du travail qui évite les augmentations de salaires excessives, tout en continuant de soutenir une solide activité économique. Compte tenu des autres caractéristiques actuelles de l'économie, j'évalue à 25 % la probabilité d'un tel scénario. Deuxième scénario, l'inflation devient incompressible. Le taux d'inflation continue de diminuer, mais se retrouve bloqué aux alentours de 3-4 % dans la seconde moitié de cette année, les prix des produits cessant de diminuer, et l'inflation persistant en matière de services. Ceci contraindrait la Fed à faire un choix entre dévaster l'économie pour faire retomber l'inflation au niveau cible de 2 %, ajuster le taux cible en le rendant plus conforme aux conditions changeantes de l'offre, ou attendre de voir si les États-Unis peuvent vivre avec une inflation stable de 3-4 %. J'ignore quel choix privilégierait la Fed dans cette hypothèse, mais j'estime à 50 % la probabilité d'une telle inflation incompressible, et j'espère par conséquent que la Fed a étudié ce scénario. Enfin, la possibilité de ce que l'on peut appeler une « inflation en U » n'est pas exclue : les prix repartent à la hausse en fin d'année puis en 2024, une économie chinoise pleinement rétablie et un marché du travail américain solide entraînant simultanément inflation persistante des services et augmentation des prix des produits. J'évalue à 25 % la probabilité d'un tel scénario. Il ne s'agit pas seulement ici de formuler différents scénarios dont aucun ne serait dominant dans son individualité. Il s'agit de présenter des probabilités qui doivent être étudiées avec sérieux. L'ancien secrétaire du Trésor des États-Unis, Lawrence H. Summers, a bien résumé l'impression qui prévaut aujourd'hui chez de nombreux économistes : « Aussi loin que remontent mes souvenirs, l'économie n'a jamais été aussi difficile à décrypter qu'actuellement », a-t-il récemment confié. Ce sentiment d'incertitude est évident s'agissant des perspectives à court terme d'activité économique, de prix et de politique monétaire, et accompagne également les changements structurels à long terme tels que la transition énergétique, le recâblage des chaînes d'approvisionnement mondiales, ainsi que la nature évolutive de la mondialisation. Les tensions géopolitiques accrues jouent également un rôle. Quoi qu'il advienne, le pire choix que nous puissions faire consisterait à retomber dans la suffisance. Après avoir défendu trop longtemps « l'inflation transitoire », Powell préfère désormais mettre en garde. « Certains s'attendent à ce que [l'inflation] se termine rapidement et sans douleur. Selon moi, ce n'est absolument pas garanti », a-t-il récemment déclaré. « Dans un scénario de base, je pense que cela prendra du temps, et qu'il nous faudra procéder à d'autres hausses de taux? ». Les discours économiques simplistes, notamment les plus rassurants, ceux qui incitent à rechercher des raccourcis, sont souvent beaucoup plus trompeurs qu'éclairants. C'est le cas du discours autour de l'inflation transitoire, qui, discrédité en 2021-2022, fait actuellement sa réapparition. C'est également le cas de ceux qui prédisent avec un haut niveau de certitude une récession aux États-Unis (je ne suis pas de ce camp-là), uniquement pour qualifier ensuite cette récession de « courte et modérée » afin de retrouver leur zone de confort économique. Traduit de l'anglais par Martin Morel *Président du Queens' College de l'Université de Cambridge - Professeur à la Wharton School de l'Université de Pennsylvanie, est l'auteur de l'ouvrage intitulé The Only Game in Town: Central Banks, Instability, and Avoiding the Next Collapse (Random House, 2016). |
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