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«C'est à nous de présenter
l'Émir Abdelkader aux Algériens et au monde, pas l'inverse »
Sitôt vu sitôt oublié, Coupez! le film français d'ouverture de la 75ème édition du Festival de Cannes n'en est pas moins un film réjouissant, drôle, léger sans être fatalement insipide, tout en hommage au cinéma mais sans se raconter d'histoires. En guise de bienvenue à tous les festivaliers, Coupez ! fait son job, aussi modestement qu'efficacement. Un film fauché qui raconte l'histoire d'un film encore plus fauché en train de se faire dans des conditions grandguinolesques ! Le réalisateur du film, Michel Hazanavicius, est l'auteur des deux premiers OSS 17 (gros succès populaires) et de The Artist qui lui a valu la gloire à Hollywood et la reconnaissance du monde entier. Mais ces dix dernières années, Michel Hazanavicius enchaîne les contre-performances au Box-office, comme s'il avait perdu la potion magique qui lui permettait d'allier divertissement de qualité et succès populaire. Ses récents films, The Search, Le redoutable et Le Prince oublié, ont coûté plus d'argent qu'ils n'en ont rapporté. Du coup, avec Coupez ! le réalisateur oscarisé revient avec un budget modeste pour réaliser le remake d'un film japonais de série B qui était passé presque inaperçu et qui raconte un tournage pittoresque de film de zombies dans un bâtiment désaffecté. Avec Romain Duris, Bérénice Bejo et... Lyes Salem dans le rôle du producteur exécutif qui joue les go-beetwen entre la productrice japonaise qui finance le film de zombies et une équipe de techniciens français bras cassés et pieds nickelés. Acteur et réalisateur, Lyès Salem est, pour rappel, l'auteur de Mascarades et de L'Oranais. En attendant de pouvoir tourner son troisième long-métrage en tant que réalisateur, Lyès Salem continue sa carrière d'acteur. Avant la montée des marches pour Coupez ! il nous a accordé cette interview exclusive. Tu feras la première montée des marches de ce 75 eme Festival de Cannes, en tant que comédien, puisque tu joues dans le film d'ouverture, une comédie de Michel Hazanavicius "Coupez! "où tu campes le rôle d'un producteur exécutif français qui travaille pour le compte d'une plate-forme japonaise. Comment as-tu travaillé ce rôle ? Avec "Coupez!", c'est la première fois que je travaille sur un remake. C'est à dire un film qui s'inspire d'un autre film, fait par un autre réalisateur, dans un autre pays et dans une autre langue. Ici, Michel Hazanavicius avait eu l'occasion de voir un film japonais de fin d'études et a décidé d'en racheter les droits pour en faire une version française. J'ai donc (les autres acteurs et moi) regardé le film original d'abord. Quand j'ai commencé à travailler sur le tournage, j'avais donc déjà vu mon personnage être joué par un autre acteur. C'est en même temps amusant et en même temps un peu curieux, parce que tu te demandes ce que tu vas pouvoir apporter de plus que le premier. Ensuite, Michel avait une vision très précise de ce qu'il attendait de mon personnage. Un producteur dont le niveau d'exigence artistique se situe bien en dessous du niveau de la mer. Quelqu'un qui n'a pas vraiment de vision artistique, qui sait vaguement fabriquer un film, mais ne s'embarrasse pas trop des détails. Figure toi que dans ma vie, j'en ai croisé un certain nombre des spécimens de ce type. Ensuite, je me suis quand même attaché a lui donner une certaine humanité - Le Quotidien d'Oran : Dans la comédie Coupez! Ceux qui produisent le film de zombies pour elle compte d'une plateforme sont ridiculisés. En ce qui te concerne fais tu toujours le distinguo entre un film produit et destiné à une plateforme et un film de cinéma, comme continue à le faire le Festival de Cannes pour soutenir le modèle français de production, ou pour toi c'est la même chose ? En tant que comédien et en tant que réalisateur. -Lyès Salem : Il s'agit surtout de liberté de création. Je n'ai rien contre les plateformes. Il m'arrive même de regarder des films sur les plateformes. Ce que j'ai pu remarquer, c'est que les plateformes comme Netflix imposent tout de même beaucoup de choses aux réalisateurs. Un peu comme à la télévision. Je ne sais pas si c'est normal ou pas, mais c'est comme ça. Finalement, c'est celui qui paye qui décide. Une chaine de télé ou une plateforme va être le seul financeur d'un projet et donc se permet d'imposer ses règles. D'autant que les plateformes, c'est la culture (ou devrais-je dire le diktat) de l'algorithme. A travers cet outil, ils sont capables de mesurer comment leur public consomme les films et ils en dégagent certaines règles qui sont imposées à ceux qui vont faire les films. A l'exception de certains grands noms du cinéma, c'est la même donne pour tout le monde. C'est la plateforme ou la chaîne qui décide. Bien sûr des fois, ça donne des choses bien, mais c'est quand même plutôt exceptionnel. Au cinéma, il y a plusieurs guichets financiers. Il n'y en a pas qu'un seul, donc aucun d'entre eux ne peut vraiment imposer beaucoup plus qu'un casting. De fait, le réalisateur ou la réalisatrice sont beaucoup plus libres de leur création. Et c'est aussi pour ça que le cinéma est très important. Il est seul à pouvoir offrir et proposer des expériences imaginées par un ou une auteur. Une façon de voir le monde, de le considérer. Parfois, ne pas être dans la quête absolu d'une efficacité donne des choses très belles et le spectateur qui ne s'y attend pas du tout en ressort changé. On pourrait faire la comparaison avec la bouffe, tu sais. Dans un fast food, on peut manger un hamburger qui aura toujours le même goût, qu'on le mange en Europe, en Amérique ou en Afrique. C'est toujours le même hamburger avec le même pain et les mêmes sauces. Je comprends que ça puisse être rassurant. On sait à quoi on s'attend, on ne peut pas être surpris et donc on ne peut pas être déçu. Mais dans un autre restaurant, même modeste, on va vous proposer ce que le cuisinier aura préparé avec les légumes et la viande qu'il aura trouvé au marché le jour même. Il aura cuisiné toute la matinée, il aura même peut-être essayé des mélanges qu'il n'aura jamais testé auparavant. Bien sûr le risque, c'est que parfois il rate, un peu. Mais quand (et c'est la plupart du temps) il réussit, alors ce qu'on mange est unique et nous procure un plaisir totalement inattendu, qu'on oubliera jamais. Voila, le cinéma et la plateforme, c'est à peu près pareil. L'un est un consommable qu'on oubliera très vite, parce que "rien de nouveau", l'autre est une expérience unique, marquante et qui, parfois, peut changer votre vie. - Le Quotidien d'Oran : A l'origine le film devait s'appelait Z, Z comme zombie, c'est d'ailleurs le titre du film dans le film. Le réalisateur a finalement accepté de le changer pour ne pas prêter à confusion avec le Z de Zemmour, et le Z des forces russes envahissant l'Ukraine. Le Festival a salué la décision du réalisateur, l'aurais-tu fait à sa place (changer de titre pour ces raisons) -Lyès Salem : Oui, je crois qu'il a eu raison. C'est vrai que "Z (comme Z)" était peut-être plus drôle, plus fidèle au film tel qu'il est. Mais la conjoncture l'obligeait tout de même. Je me souviens qu'au début de la guerre en Ukraine, quand j'ai vu la lettre "Z" peinte sur un char russe, j'ai tout de suite pensé au film et me suis fait la réflexion qu'ils devaient bouger. Le film est une pure comédie, sans politique. De plus je crois que Michel (Hazanavicius NDLR), les producteurs et les distributeurs voulaient clairement apporter leur soutien à l'Ukraine. Je crois que j'aurais fais pareil, oui. La guerre n'est pas une solution. Nous le savons tous. En revanche, je ne crois pas que cela ait un rapport avec ce clown, français de la plus mauvaise manière qui soit, qui s'imagine que faire de la politique consiste à déverser sa haine sur la place publique, cet énergumène dont je ne veux même pas prononcer le nom, parce que je n'ai pour lui que mépris, mais surtout parce qu'il salit le joli nom d'une plage de l'est algérois où j'ai passé les plus beaux week-end de mon enfance. - Le Quotidien d'Oran : La dernière fois que tu es venu à Cannes c'était pour défendre le film " Abou Leila" d'Amine Sidi-Booumédiène, cette année l'Algérie est absente et la situation du cinéma semble bloquée au niveau institutionnel, qu'est-ce que cela t'inspire ? As-tu des projets en attente du côté algérien, une fois de plus que cela soit en tant qu'auteur-réalisateur ou comédien ? -Lyès Salem : L'absence de l'Algérie dans la sélection du festival de Cannes ne m'inspire rien de bien important. Les pays qui peuvent prétendre à une présence annuelle aux festival de Cannes sont rares. 4 ou 5 pas plus. Et on peut le comprendre aux nombre de films qu'ils produisent par an. En Algérie, on produit combien de films par an? Certaines années, on n'atteint même pas 5. Donc, il n'est pas surprenant qu'on ne soit pas présent chaque année. Je travaille depuis plusieurs années sur une comédie qui se passe à Marseille dans le milieu des ans papiers algériens. J'espère réussir à monter ce film - Le Quotidien d'Oran : Tu es présent -à travers une installation, un film- dans l'exposition du Mucem consacrée à l'Emir Abdelkader. À Marseille, tu as évoqué ce projet de film sur l'Emir voulu par les autorités, qui a englouti plein d'argent sans jamais exister. Entre jouer le rôle de l'Emir et réaliser un film sur l'Emir, qu'est-ce qui te ferait le plus plaisir ? -Lyès Salem : D'abord je tiens à remercier le Mucem de m'avoir associer à cette exposition autour de l'Émir Abdelkader. J'ai été très touché, vraiment, que l'on pense à moi pour honorer cet homme pour lequel j'ai le plus profond respect et la plus immense des admirations. Et je te promets que je ne dis pas ça, ni tous les jours, ni de tout le monde. En effet, j'avais entendu parler depuis presque dix ans maintenant d'un projet de films autour de l'Émir. Pour l'instant, il ne se passe pas grand chose. Il est évident que le parcours d'Abdelkader Ibn Muhiedine mériterait un film, une fresque. Mais nous parlons ici, de cinéma, donc de vision artistique. Il ne s'agit pas seulement de dérouler la vie d'Abdelkader comme le ferait un livre d'Histoire, mais de l'aborder à partir d'un point de vue personnel et d'un point de vue scénaristique. On sait tous que l'État veut faire produire un film. Je me demande si c'est bien son rôle. Et pour le dire franchement je ne le crois pas. Par contre, oui, je reconnais que les tentatives qui ont eu lieu jusqu'à aujourd'hui me navrent et me blessent. Qui a été contacté pour rélaliser ce fameux film? j'ai entendu parler de Oliver Stone et de Charles Burnett. Mais enfin, nous sommes là, NOUS !!! Je suis là. Amin Sidi Boumdienne est là! Damien Onouri est là! Téguia, Djama, Ferhani, Moussaoui!! Et d'autres encore ! Il y a le choix et toutes les sensibilités sont représentées. Pourquoi, ne s'adresse t-on pas à nous? D'aucun répondra que les américains savent faire du cinéma mieux que nous? C'est possible, et alors? Ils pourront avoir tout le savoir faire, tous les moyens qu'ils veulent, ils n'auront jamais notre audace. Ils n'auront jamais ce lien personnel, vivant, viscéral que nous pouvons avoir avec notre Histoire. l'Émir Abdelkader est mille et une fois plus qu'un personnage de fiction. Il nous parle à nous encore aujourd'hui, dans notre rapport à la foi de l'Islam, à notre identité et à notre rapport au monde. On fera peut-être un film avec quelques maladresses, mais on le fera avec du cœur. Un cœur algérien. Je le dis et je l'assume: je ne veux pas qu'Oliver Stone, Charles Burnett ou n'importe quel autre américain ne réalisent un film autour de l'Émir. Peut-être plus tard quand nous aurons nous-même explorer le personnage et la thématique. C'est à nous de présenter l'Émir Abdelkader aux algériens et au monde, pas l'inverse. Je propose quelque chose: si les pouvoirs public veulent financer un tel film, qu'ils s'adressent à sa génération de réalisatrices et de réalisateurs actuels. Il en sortira un grand film, j'en suis sûr. Et je postulerais, tu peux me faire confiance. |
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