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C'est ce qu'explique John Nagl, protégé et porte-plume du général américain David Petraeus et associé de très près à la rédaction de «son»
manuel de contre-insurrection (publié fin 2006) : «Le véritable problème avec
la guerre en réseau, c'est qu'elle nous aide seulement à détruire. Or, au XXIe
siècle, ce n'est là qu'une infime partie de ce que nous essayons de faire. Elle
résout un problème que je n'ai pas - combattre un ennemi conventionnel
quelconque - et n'aide qu'un tout petit peu à résoudre un problème qui se pose
bel et bien à moi : comment construire une société quand on est en face à des
individus surpuissants par la technologie»... »On ne saurait mieux souligner
qu'il ne s'agit en aucune façon de renoncer à l'Information Technologie
alimentant le network-centric warfare.
Il s'agit plutôt de rompre avec sa mythologie «hors sol» et de maîtriser les
boucles de rétroaction sociale en l'intégrant, en l'adaptant, en la reterritorialisant dans les modalités d'engagement d'une
guerre sans fin au sein de la population».
Le remplacement de la ?'guerre industrielle'' par la ?'guerre au sein de la population'' est une nécessité stratégique du Capital (à la lumière de ce qui circule dans les réseaux sociaux, le Hirak algérien a ouvert son flanc et a trop duré pour qu'il ne soit pas objet de manipulation à l'intérieur de la foule par les puissances impérialistes). L'ennemi est moins l'Etat étranger que l' »ennemi indétectable», l'»ennemi inconnu», l'»ennemi quelconque» qui se produit et se reproduit à l'intérieur de la population. La population est le terreau d'où cet ennemi non clairement identifiable peut à tout moment surgir. «Il a besoin de la population en tant que collectivité pour être entretenu. Comme un parasite, il dépend de son hôte pour le transport, le chauffage, l'éclairage, les revenus, le renseignement». L'unité et la finalité de la machine de guerre ne sont pas données par la politique de l'Etat-nation, mais par la politique du Capital dont l'axe stratégique est constitué par le crédit/dette. La machine de guerre du Capital est subordonnée à la société humaine, sa gouvernance, son contrat social, ses institutions et non plus telle ou telle région, telle fleuve ou telle frontière, il n'est plus de ligne ou de province à conquérir, à protéger. Le seul front que doivent tenir les forces engagées est celui des populations. Dans le nouveau paradigme, «les deux parties se battent au sein de la population qui est le seul théâtre des opérations pour une multitude d'actions de nature très différentes privilégiant la «communication» (afin de gagner le soutien d'une population différentiée) et le «niveau subalterne». «Les opérations seront donc toutes mineures et seule leur conjonction permettra l'effet global ; elles seront locales et le plus souvent déconnectées tactiquement puisque la structure de l'adversaire nouveau rend très improbable l'effet systémique établi naguère en parangon de la guerre» (Rupert Smith p.267 op. cité). «Dans le nouveau paradigme, la population n'est pas «un bloc monolithique». Elle est constituée d'entités fondées sur la famille, la tribu, la nation, la race, l'ethnie, la religion, les confessions, l'idéologie, l'Etat, la profession, la compétence, le commerce et divers intérêts» (R.Smith). La population s'incarne aussi dans les classes, les intérêts et les luttes. Depuis l'accumulation primitive (à la naissance du capitalisme) le déploiement des guerres de sexe, de race, de classe de subjectivité constitue la trame du pouvoir du capitalisme. Ces guerres de l'accumulation qui n'ont cessé d'accompagner son développement sont reconfigurées par leur passage à travers l'énorme socialisation de la production et de la domination constituée par les deux guerres totales mondiales et le fordisme. A partir de 1970, le capitalisme est entré dans l'ère des conflits, durs et permanents. L'adversaire ne pouvant être qu'«irrégulier», «la seule façon d'intervenir est de ?'contrôler le milieu'', d'intervenir pour ?'contrôler l'environnement''» dans lequel vit la population et à l'intérieur duquel l'irrégulier se niche. Les techniques de contrôle sécuritaires et d'intervention sur l'ennemi irrégulier et non détectable de la mondialisation capitaliste seront appliquées dans ces «zones grises», celles où le capitalisme a concentré les classes précarisées, d'où la «nébuleuse des menaces transversales». L'action de l'armée impérialiste doit consister moins en l'identification et la destruction des banques de cibles [C5ISR, command, control, communications, computers, cyber, intelligence, surveillance and reconnaissance. Dans ce concert les Russes ont acquis une très large avance sur les Américains (20 ans), peuvent répondre en temps réel sur tout type de plateforme à tous types de scénario électromagnétiques en temps réel, grâce l'intelligence artificielle, la rapidité de calculs déployés par les nouveaux composants miniatures, la capacité upgradée des satellites, et les puissants algorithmes des nouvelles théoriques mathématiques dédiées à la guerre électronique] que dans le contrôle du territoire et notamment de la ville, puisque cette dernière constitue le milieu ou l'environnement de la population et de la pauvreté globalisée. Si dans le nouveau paradigme la ville supplante la campagne comme lieu de la guerre, ce n'est pas au sens où «il s'agit... d'y gagner... la guerre de la ville, mais la guerre au sein des populations dans la ville». (V.Desportes, la guerre probable p.61 à 64). Paul Virillo dans Pure War (en pdf dans le net) p.114, apporte une inflexion importante à la définition de l'affrontement quand il affirme que son terrain n'est plus la ville, mais les «suburbs», les banlieues et les «cités» formant de sous-villes. «Parce la ville classique ne correspond plus au développement de l'initiative capitaliste et de la guerre au sein des populations, les «villes doivent mourir», assène Virillo (la «gentrification» des villes de plus en plus muséales en est une parfaite illustration). «Le futur, explique-t-il, sera l'âge de la fin des villes et de l'extension indéfini des «suburbs» : «la défaite de l'intégration urbaine au profit d'un méga-suburb. Pas la mégapole, le méga-suburb». C'est le stade du périurbain comme domaine d'intervention de la guerre urbaine contre les populations ségréguées où «domine» l'ennemi intérieur postcolonial» (Virillo op. cité). Avant de viser la «destruction», la guerre dans la ville, ou guerre civile, a pour objectif les actions, les conduites, la subjectivité de l'adversaire. Pour ce faire, «elle doit investir «autant les champs psychologiques que matériels» dans la mesure où l'univers de la population n'est pas «militaire et rationnel», mais «davantage »civil et émotionnel». «Il ne s'agit plus de percevoir des masses de chars et de localiser des cibles potentielles, mais de comprendre les milieux sociaux, des comportements psychologiques.» (Vincent Desportes, op. cité p.62, 65 et 95). «L'action de l'armée doit «rencontrer l'adversaire sur son propre terrain, en ?'collant'' au plus près à sa réalité fluctuante» selon une méthode qui est à l'envers de celle pratiquée par l'armée de la guerre industrielle. Il faut repartir du sol et de la population pour reconstruire l'Etat ou pour changer de régime ou de gouvernement. Hier, l'essentiel de l'action militaire était la destruction et le renseignement, d'abord un renseignement d'objectifs, alors que, désormais, l'essentiel est la compréhension et l'intelligence de la situation, la perception des micro-situations et des micro-objets» (V.Desportes op. cité p.135). «L'économie et l'opinion, «sont les deux grands éléments de réalité que le gouvernement aura à manipuler»«(Michel Foucault, Sécurité, territoire, population p.77 et 278). R.Smith insiste sur le médiatico-sécuritaire : «L'opinion publique participe désormais à chaque phase de la guerre, dont les principaux combats se déroulent désormais à la télévision dans les foyers.». »La fabrication d'images comme politique globale - non pas la conquête du monde, mais la victoire dans la ?'bataille'' pour gagner les esprits. Nous combattrons sur tous les écrans de télévision dans le monde entier autant que dans les rues et les campagnes de la zone de conflit. Cette globalisation de la perception est à mettre en compte à la révolution de l'information» (Rupert Smith op. cité p. 97). Le nouveau théâtre de la guerre est celui de la dédifférenciation des fonctions de guerre, de police et de renseignement et de leur inclusion dans un ensemble médiatico-sécuritaire. L'évolution de la guerre au sein de la population suit et poursuit l'évolution du capitalisme ; le bouleversement de la séquence classique du paradigme de la guerre industrielle [«paix, crise, guerre, solution»] découle directement du bouleversement de la séquence classique du cycle économico-financier : [«croissance, crise, récession, nouvelle croissance»]. De là, que la guerre dans et contre les populations est, à la différence de la guerre industrielle, in-dé-finie (la continuation in-dé-finie de la guerre civile au sein des populations). Dans cette guerre indéfinie aucune partie ne peut plus vaincre. Il faudra faire un usage «raisonné» de la force militaire pour ne pas s'aliéner la population. La longue guerre devient la vérité stratégique de la guerre civile mondiale contre le Capital. La réduction du militaire au policier risque cependant de passer à côté du rôle constitutif de la guerre dans les relations de pouvoir au sein de la population. Les guerres coloniales non conventionnelles étaient fondées sur une connaissance tactique des mouvements des combattants mais aussi sur un savoir contre-insurrectionnel de la vie quotidienne des populations civiles (géographique, sociologique, anthropologique). C'est la conjonction des luttes anticoloniales avec la guerre révolutionnaire qui est au cœur de la forme la plus «moderne» et la plus «politique» de guérilla à laquelle la contre-insurrection a dû apprendre à s'adapter ? C'est tout le sens de l'hommage rendu par le général américain Petraeus à l'œuvre et à la carrière du juif tunisien naturalisé français David Galula (1919-1967), l'auteur, dit-il, du «plus important des écrits militaires du XXe siècle» Contre-Insurrection. Théorie et pratique (1964), qui avait aussi tiré en 1963 un premier livre : Pacification en Algérie, 1956-1958. On sait que la «bataille d'Alger» a été un modèle pour l'armée française, qui l'exporte, avec l'aide de l'armée américaine, en Amérique latine (notamment au Chili et en Argentine) et aussi en Irak. David Galula du grand lecteur des théoriciens de la guerre révolutionnaire [Emir Abdelkader, Cheikh Bouamama (Galula cite nommément ce dernier en puisant dans les archives militaires françaises, qui dirigea la résistance algérienne de 1873-1908 en causant de lourdes pertes à l'ennemi (selon les propres aveux des rapports de l'armée coloniale) et en prenant largement le dessus stratégique et tactique sur les troupes coloniales par le coup d'œil, le mouvement et le choc mais sera défait par la technologie ; la mise en service par les troupes françaises en 1874 du fusil chassepot d'une cadence de tir de 14 coups et d'une portée de 750 m à 1500 m décima et sonna le glas de la puissante cavalerie arabe de Cheikh Bouamama), Mao, Hô Chi Minh, Giap, etc.], qui seront mis à profit dans l'entreprise de pacification de l'Algérie, à laquelle Galula participe en tant que capitaine d'une compagnie d'infanterie. Le motif de sa première citation militaire durant la guerre d'Algérie : «avoir appliqué avec fermeté des méthodes originales», il met la population au cœur du conflit (Galula parlait et lisait couramment le chinois (mandarin) et l'arabe) en un sens qu'il ne se réduit pas au «Dispositif de protection urbaine» (DPU) et à la «stratégie victorieuse» du colonel Trinquier. Il faut moins «rallier» la population (ou une partie de celle-ci, en terrorisant l'autre partie) que la convaincre du caractère no future de l'insurrection pour vaincre cette partie... il s'agit de regagner le contrôle politique sur la population en conduisant le conflit par un argumentaire psychologique à destination de la population bien préparé et étudié à l'avance. L'usage de la force devra donc être mesuré à l'aune politico-militaire de cette guerre de subjectivité qui associe le maillage disciplinaire le plus fin du territoire («contrôle de la population») à un projet biopolitique investissant «les domaines économique, social, culturel et médical» pour montrer à la population que sa sécurité et sa prospérité seront mieux assurées par l'économie de marché que par le «collectivisme» («acquisition du soutien de la population»). Le but est de construire (ou reconstruire) un appareil politique de la contre-insurrection au sein de la population en dirigeant «la propagande à destination de la population» sur trois points déjà préétablis par Galula : «l'importance des élections, la totale liberté des électeurs, la nécessité de voter». [A cet égard l'erreur stratégique de David Petraeus et Paul Bremer a été de diviser la population irakienne sur des bases religieuses, confessionnelles et raciales, ce qui a produit l'effet contraire à l'objectif escompté, à savoir la consolidation du sentiment national irakien et le ravivement du légendaire patriotisme et nationalisme arabe irakien face à la conquête britannique des années 1920]. La guerre au sein des populations, comme politique du capital, implique dans son entreprise de peur, de pacification, de contre-subversion tous les réseaux de pouvoir de l'économie à travers lesquels se déploie le nouvel ordre du capitalisme sécuritaire mondialisé. L'extension des marchés politiques et économiques de la peur n'est pas infinie : la domination n'est jamais limitée que par la résistance qu'on lui oppose et la mise en pratique de ce nouvel ordre sécuritaire n'occupe que l'espace que les opprimés veulent bien lui laisser. Comme l'écrivait Bertolt Brecht, il y a beaucoup à faire : Pour changer le monde : De la colère et de la ténacité. De la science et de l'indignation. L'initiative rapide, la réflexion profonde, La froide patience, la persévérance infinie, La compréhension du particulier et la compréhension du général : C'est seulement en étant instruits de la réalité Que nous pouvons changer la réalité. (Bertolt Brecht, La Décision, Théâtre complet, t.2, Paris, l'Arche 1974, p.237) *Docteur en physique et DEA en sciences du management |
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