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Capital et guerres «civiles»
au sein et contre les populations
Deux colonels de l'armée de l'air chinoise, Qiao Liang et Wang Xiangsui, auteurs d'un livre à sensation stratégique publié en 1999 (La Guerre hors limites, Paris Payot & Rivages, 2006), font une première approche de la nouvelle nature et des nouvelles fonctions entremêlées de la guerre et l'exécutif comme composantes de la machine de guerre du Capital financier, en l'espèce, ils conçoivent l'activité financière comme une «guerre non sanglante». La finance sera donc intégrée à une stratégie de guerre non conventionnelle renonçant à la fois à la «guerre populaire» et à la seule «guerre technologique» pour faire face à la suprématie états-unienne. Faisant valoir toute l'importance des «opérations non militaires» dans lesquelles ils font inclure les «guerres commerciales, les guerres financières, etc.». Aujourd'hui, constatent-ils : «Les facteurs menaçant la sécurité «nationale» sont moins les forces militaires d'un Etat ennemi que les «facteurs économiques» comme l'appropriation des ressources (dépossession), la capture des marchés, le contrôle des capitaux». (Qiao et Wang op. cité p.168).[ Les services d'intelligence impérialistes se sont faits une spécialité en mettant en place tout un dispositif de capture et de contrôle de tous les mouvements des capitaux publics et privés de pays riches en ressources, sorte de reconduction stricto sensu du schéma colonial du contrôle du commerce des arabes ; voir comment la société El Amal de notre bourgeoisie nationale a été mise en faillite en 1936 à Alger, Oran, Constantine, Saïda, Mostaganem et Sidi Bel Abbes (voir C.A Julien histoire d'Algérie T.1 ). Aujourd'hui les sanctions commerciales, la violation des traités et des conventions fiscales (dépossessions, rackets, chantages et cabales fiscales) sont légalisées selon un cadre juridique défini à l'exemple de la loi scélérate française du 5 décembre 2007, assimilant tout nanti étranger à un mercenaire ou ennemi intérieur]. Changement de paradigme oblige, il est temps de reconnaître que les dommages des nouvelles «armes non militaires» peuvent être aussi redoutables que ceux produits par les «armes militaires». Qiao et Wang insistent particulièrement sur la finance, car elle est le moyen le plus efficace de produire de l'insécurité au niveau d'un pays et de la planète tout entière. «Si l'on compare en terme de chute de l'indice de sécurité nationale, la situation de la Thaïlande et de l'Indonésie, qui en quelques mois ont connu une dévaluation de plusieurs fois 10% et une quasi-faillite économique, à celle de l'Irak, qui a souffert à la fois d'attaques militaires et d'embargo économique, il est à craindre qu'il n'y ait guère de différence entre eux !» C'est aussi la raison pour laquelle les redéfinitions du conflit entre la Grèce (la trahison plus tard de Tsiparas qui a rejoint le camp impérialiste, la race a prévalu sur la solidarité de classe) et les institutions financières transnationales en terme de «guerre», «guerre coloniale», «occupation», «mandat colonial», etc., ne sont pas de simples métaphores. Qiao et Wang plaident tout au long de leur ouvrage que la manière de mener la guerre n'est plus l'affaire des seuls militaires : «A l'évidence la guerre sort du domaine des armes et des affaires militaires et devient l'affaire des politiciens, des scientifiques et même des banquiers. Les guerres ne sont pas seulement sanglantes et les moyens de les conduire ne sont pas uniquement militaires. L'économie et notamment l'économie financière peut remplacer les moyens militaires et donner lieu à une «guerre non sanglante».» (Qiao et Wang op. cité p.299). La nouvelle stratégie financière impérialiste, Qiao et Wang n'hésitent pas à l'assimiler à un terrorisme financier, ce qui les amène à construire un modèle de machine de guerre du Capital particulièrement utile pour saisir la nature du pouvoir exécutif transnational contemporain et la nouvelle réalité de la guerre. Ils expliquent en effet que le gouvernement de l'économie du monde est devenu un «ingénieux maillage sans la moindre discontinuité entre différents niveaux et différentes institutions. Le modèle de gouvernement conjugue ?'Etat (niveau) supranational + Etat multinational + non étatique''» (op.cité p.257). L'exemple de la crise asiatique de 1997 (le but conféré à cette onde de choc économique était de pousser l'économie chinoise à se privatiser, à se libéraliser, à se globaliser et à se dépatriotiser pour finir en possession du capital mondial, tout en assumant sa mission d'être d'usine du monde), avec ses attaques spéculatives qui se sont portées d'abord sur la Thaïlande pour s'étendre ensuite à l'ensemble des pays d'Asie du Sud-Est, en entraînant son lot de «réformes structurelles», permet de déployer la liste de ses acteurs : les Etats-Unis, à savoir le seul Etat qui puisse être «représenté» par son omniprésente institution financière (FED) ; le FMI et la Banque mondiale (institutions transnationales) ; les fonds d'investissements dominés aujourd'hui par BlackRock etc.(multinationales privées) ; Standard & Poor's, Moody's etc. (institutions d'évaluation et de notation non étatiques). Le pouvoir exécutif réel représente l'identité réalisée entre économie, politique et militaire qui va fondamentalement se transformer «l'aspect et l'issue de la guerre, et même la nature militaire de la guerre, demeurée inchangée depuis l'antiquité, pour faire droit à l'arme «hyper stratégique» de la guerre financière» (Qiao et Wang op. cité p.258). L'officier britannique Rupert Smith explique l'enjeu et l'importance de la guerre civile au sein/dans les populations. «La machine de guerre n'est plus une instance de régulation, mais un pouvoir de programmation et d'exécution de la nouvelle guerre civile que certains militaires vont analyser comme une guerre au sein de la population (war amongst the people)» (Rupert Smith, l'Utilité de la force. L'art de la guerre aujourd'hui, Paris, Economica, 2007, p 281). C'est ce nouveau type de pouvoir exécutif que l'on a vu à l'œuvre, dans sa version «non militaire», lors de la crise de la dette grecque. Les institutions européennes, le FMI et la BCE ne doivent répondre de la violence et de l'arbitraire des décisions prises ni aux peuples, ni même aux Etats, mais aux seules institutions financières transnationales qui sont aujourd'hui le vecteur principal de la multiplication des guerres «civiles» contre les populations. A suivre Qiao et Wang, le résultat de la globalisation capitaliste, «c'est que tout en réduisant l'espace du champ de bataille au sens étroit, le monde entier a été transformé en un champ de bataille au sens large... Les armes sont plus modernes, les moyens plus sophistiqués. Il y a seulement moins de sang, mais tout autant de brutalité.» (Qiao et Wang op. cité p. 298). Les deux flux par lesquels est définie la force de déterritorialisation du capital à l'œuvre depuis l'accumulation primitive, à savoir la monnaie et la guerre, se superposent parfaitement dans la mondialisation capitaliste contemporaine. La finance est devenue une arme non militaire par laquelle on mène des «guerres non sanglantes» produisant des effets aussi dévastateurs que les «guerres sanglantes». La machine de guerre du Capital a donc introduit dans la conduite de la guerre de deux manières différentes : la guerre industrielle et la «guerre au sein des populations» (voir Part 2 et 3). Le processus d'intégration de la guerre dans les stratégies non plus de l'Etat, mais du Capital, modifie la nature et les fonctions de la guerre. C'est la thèse des deux stratèges chinois déjà cités dans leur analyse de la «crise financière de 1997», de l'indistinction de l'économie et de la guerre. Un nouveau tournant sera pris à l'occasion de la réflexion qui s'est engagée sur les raisons de l'échec de la superpuissance militaire américaine dans les conflits du début du XXIe siècle. La vision systémique du fonctionnement de la guerre développée par les 2 officiers chinois cède la place aux impératifs de la «guerre au sein des populations» (Le Hirak est une cible idoine de l'impérialisme pour continuer cette ?'guerre non sanglante au sein des populations'' à l'objectif de l'accumulation du capital international par la dépossession de nos ressources), qui se devra saisir la nouvelle nature de la guerre en faisant droit à la guerre de subjectivité. C'est toute la question du «rôle essentiel du facteur humain» (human terrain) pour une «guerre irrégulière» qui devient la forme irrégulière de la guerre - et de la guerre de division dans/au sein de la population. L'environnement stratégique est celui de la reconnaissance d'une «ère de conflits persistants» amenant à privilégier les «opérations de stabilisation» pour intensifier l'entreprise de colonisation systématique en continuant la guerre de l'accumulation primitive comme une opération de police transnationale. C'est aussi en ce sens que la machine de guerre du Capital délivre la vérité transhistorique de l'ensemble de son procès : celui du capital identifié à un impérialisme libéral qui ne peut s'autoriser du «droit international» qu'en militarisant toutes ses opérations de «police» comme autant de guerre de «pacification» au sein des populations. La fin de la guerre froide en 1989 porte avec elle l'épuisement de la «guerre industrielle» qui a largement dominée le XXe siècle et son remplacement par un nouveau paradigme posé comme son «antithèse». Ce nouveau paradigme sera défini par deux généraux stratèges, l'un anglais, Sir Rupert Smith aux états de services fabuleux (op. cité), et l'autre français Vincent Desportes, un militaire-épistémologue (le piège américain. Pourquoi les Etats-Unis peuvent perdre les guerres d'aujourd'hui, Paris, Economica, 2011, p.259), en tant que «guerre au sein des populations». Il faudra néanmoins attendre les échecs des guerres néocoloniales menées par les USA après la chute du Mur de Berlin (remarquant que cela remonte un peu plus avant, à la guerre du Vietnam) pour faire la preuve définitive de l'impuissance de la «guerre industrielle» face aux nouvelles modalités du conflit dans les conditions socio-économiques de la globalisation. A suivre *Docteur en physique et DEA en sciences du management |
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