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Les travaux de Marx ont trop
d'enseignements à nous livrer sur les périls de notre époque pour être
consignés à la poubelle de l'histoire. Il est nécessaire d'étudier les
contradictions internes du capitalisme et les travaux de ce génial et
scientifique dialecticien qui a désossé tous les organes de la machine du
capitalisme et qui a tant fait pour les mettre en lumière. Comme l'écrivait
Henri Lefebvre dans la postface du Capital «l'évènement déjoue les prévisions ;
dans la mesure où il est historique, il bouleverse les calculs. Il peut aller
jusqu'à renverser les stratégies qui tenaient compte de sa possibilité».
Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l'orage (citation de J. Jaurès). Si la financiarisation de la fin du XIXe siècle et du début du XXe a conduit à la guerre totale et à la révolution russe, à la crise de 1929 et aux guerres civiles européennes, la financiarisation contemporaine pilote la guerre civile mondiale et globale. Guerre et économie, ce sont les 2 faces de la même pièce, au fondement même du capitalisme. Carl Schmitt nous a instruit et a dévoilé l'hypocrisie «pacifiste» du libéralisme en rétablissant la continuité entre l'économie et la guerre : l'économie poursuit des buts de guerre avec d'autres moyens («le blocage du crédit, l'embargo sur les matières premières, la dégradation de la monnaie étrangère», dommages et désastres que subira l'Allemagne où 700.000 Allemands après la der des ders mourront de famine, suite aux sanctions imposées par la France et l'Angleterre, après le Congrès de Versailles en septembre 1919). «Néolibéralisme est une philosophie de la guerre totale, c'est la guerre des intérêts, pour l'argent, les ressources naturelles, pour la domination des peuples.» (C.Schmitt, Nomos de la terre PUF, 1950 p.47). La monnaie et la guerre constituent la police militaire du marché mondial. Sans l'exercice de la guerre à l'extérieur, et sans l'exercice de la guerre civile par l'Etat à l'intérieur des frontières, jamais le capital n'aurait pu se constituer. Et inversement : sans la capture et la valorisation de la richesse opérée par le capital, jamais l'Etat n'aurait où exercer ses fonctions administratives, juridiques, de gouvernementalité, ni organiser des armées toujours puissantes. L'expropriation des moyens de production et l'appropriation des moyens d'exercice de la force sont les conditions de formation du capital et de constitution de l'Etat qui se développent parallèlement. Le concept de «guerre civile mondiale» est plus approprié et reflète mieux la réalité que les catégories aliénantes enfantées par le néolibéralisme, «guerre perpétuelle», «guerre juste», et de «guerre contre le terrorisme». L'histoire du capitalisme est, depuis l'origine, traversée et constituée par une multiplicité de guerres : guerres de classe(s), de race(s), de sexe(s), de subjectivité(s), etc. Les «guerres» comme fondement de l'ordre intérieur et de l'ordre extérieur, comme principe d'organisation de la société. Les guerres, non seulement de classe, mais aussi militaires, civiles, de sexe, de race sont intégrées d'une façon si constituante à la définition du capital qu'il faudrait réécrire de bout en bout le capital pour rendre compte de leur dynamique en son fonctionnement le plus réel. Dans tous les tournants majeurs du capitalisme, on ne trouvera pas «la destruction créatrice» de Schumpeter porté par l'innovation entrepreneuriale (concept qui n'a jamais pu se vérifier qu'à de très petites échelles et pour de très courtes périodes), mais toujours l'entreprise des guerres civiles. Les dépressions des années 1860 à 1888, période de croissance économique nulle, 0,1%, dans les pays capitalistes (chiffre que rapporte P.Bairoch Victoires et déboires T.2 P.397 Folio histoire, Histoire économique et sociale du monde, Edit.2002) ; ces premières crises d'accumulation du capital ont ouvert la voie à l'ère de la colonisation forcenée et à l'impérialisme, de la prise de conscience d'un nécessaire partage du monde que consacrera la conférence de Berlin 1881-1884. «Cette grande crise a joué un rôle décisif en contraignant la bourgeoisie européenne à prendre conscience pour la première fois que le péché originel de pillage pur et simple qui, des siècles auparavant, avait permis «l'accumulation originel du capital» et amorcé toute l'accumulation à venir, allait finalement devoir se répéter si l'on ne voulait pas voir soudain mourir le moteur de l'accumulation. Face à ce danger, qui ne menacerait pas uniquement la bourgeoisie, mais aussi tout le monde capitaliste, d'une chute catastrophique de la production, les producteurs capitalistes comprirent que les formes et les lois de leur système de production avaient été depuis l'origine calculées à l'échelle de la terre entière». (Rosa Luxemburg op. citée p.84). J'ajouterai qu'aujourd'hui les lois de production Anthropocène de ce système ont dépassé les limites physiques de la terre tout entière et menacent la survie de l'humanité entière. L'accumulation des grandes richesses ne se fait pas uniquement en exploitant autrui dans les manufactures, les usines et la société entière (travail physique et cognitif), mais également par l'expropriation, l'escroquerie (les agios bancaires et les prêts financiers), le pillage (le transfert scandaleux de notre rente pétrolière à l'étranger, une dépossession de nos richesses du sous-sol par les sociétés étrangères et privées sous la forme de fuite ?'légale'' des capitaux et dividendes) et la prédation des nations les plus pauvres. Cette capitalisation indissociablement coloniale et impérialiste n'est pas moins économique que politique et militaire. Adam Smith n'engage pas pour rien l'Etat et son armée au service de la «richesse des nations» ! L'industrialisation de la guerre est une composante essentielle de l'accumulation «coloniale», puisqu'elle va créer le différentiel de puissance entre nations riches et pauvres qui se traduit en différentiel de richesse. C'est tout le contraire de la théorie d'Adam Smith pour qui les dépenses de l'armée et la guerre, financées par la manufacture et le commerce sont «improductives». La guerre de subjectivité et la guerre civile permanente A cela s'ajoutent les guerres de subjectivité que Marx a tout juste effleurées de façon intuitive [Le concept du General Intellect (Marx) qui annonçait déjà le post-fordisme et la société cognitive après 1970 (révolution microélectronique, biotechnologique et nanotechnologique). La valeur se crée non seulement dans la production et dans tout le cycle de circulation mais aussi dans l'ensemble de la société. Grundrisse manuscrits 1857-1858, édit. sociales, 2018, p.351]. Ces subjectivités ont caractérisé la transition du féodalisme au capitalisme, constituent la spécificité la plus «objective» des guerres menées contre les femmes, les fous, les idiots, les pauvres, les sans propriétés, les sans travail, les vagabonds, les criminels, les prostituées, les paysans sans terre, la propriété privée fondée sur le travail personnel, les journaliers, les ouvriers, etc. qui doivent être gouvernés sans qu'ils y consentent. «Ce sont des guerres politiques de «formation» et de pilotage de la subjectivité nécessaire à la production, à la consommation et à la reproduction du capital, car elles visent une «conversion» de la subjectivité, à une conformation des comportements et des conduites à la logique de l'accumulation du capital et de sa reproduction» (Michel Foucault, Sécurité, Territoire, Population, Paris Gallimard 2007, p.234). Tous les travaux de Foucault se focalisent sur le dressage «subjectif» des prolétaires au XIXe siècle, pour les fixer à l'appareil de production en normalisant leurs comportements et leurs modes de vie de manière à transformer le temps de la vie en «temps de travail» ne peut se réaliser que par le déclenchement d'une «guerre civile généralisée». Ce dont on prend conscience tout au long du XIXe siècle, âge de la rationalisation de la mise au travail en masse, c'est que le développement capitaliste est impensable sans le dressage des corps et des esprits pour les nouvelles fonctions productives et subjectives requises par l'accumulation du capital en vue de forger une race de travailleurs. Michel Foucault fait état dans La volonté de savoir, Paris Gallimard, 1976, p.164-166 : «Au XIXe siècle, le travail de reproduction des femmes (affectif et économique) constitue un relais et un multiplicateur de pouvoir entre l'ensemble des institutions disciplinaires (école, armée, usine, hôpital), et de ceux-ci avec les nouveaux appareils de régulation (caisse d'épargne ou de prévoyance, mécanismes d'assistance, services d'hygiène et de médicalisation...) sans lesquels le capitalisme ne pourrait pas durablement fonctionner. Les individus sont attachés et rattachés comme de l'extérieur à une multiplicité de dispositifs de «séquestration du temps» dont le continuum n'est autre que le temps utile de vie. Ils sont à leur naissance placés dans une crèche ; dans leur enfance, envoyés à l'école ; ils vont à l'atelier ; pendant leur vie, ils relèvent d'un bureau de bienfaisance ; ils peuvent déposer à une caisse d'épargne ; ils finissent à l'hospice. Bref, durant toute leur vie, les gens entretiennent des liens avec une multiplicité d'institutions». Michel Foucault nous dresse un lumineux tableau dans La Société punitive, p.211 Edit. Le Seuil 1972-1973 «...qu'un individu s'avère incapable de suivre la discipline scolaire ou celle de l'usine, de l'armée ou de la prison, et l'on fera intervenir la «fonction psy», c'est-à-dire non plus directement un pouvoir (disciplinaire), mais un savoir (médical) des pathologies de l'intime visant au redressement des comportements». Dans la guerre civile généralisée déchaînée par le libéralisme pour transformer le prolétariat en force de travail, les savoirs constituent une arme stratégique. Les sciences de l'homme, les sciences sociales naissantes couvrent remarquablement cette fonction d'appareil de vérification de pouvoir que Foucault a savamment mis en évidence. Entre la formation de la force de travail et sa répression sanglante lors des émeutes et des révolutions qui ont éclaté tout au long du XIXe siècle, Foucault ajoute (Société punitive, op.cité p.181) «Les institutions disciplinaires, sécuritaires et de souveraineté continuent la guerre civile par tous ces moyens, qui bipolarisent l'individuation des populations tout en favorisant le branchement stratégique (et non idéologique) de la famille populaire sur la famille bourgeoise». Les guerres coloniales Ernest Renan en 1871 dans son mémoire «La réforme intellectuelle et morale de la France» exposa la problématique de gouvernementalité posée par la colonisation interne (Europe) qui ne peut parvenir à contenir la montée de la lutte des classes et les émeutes de la «populace», en conclura par analogie à l'adresse des colonies qu'«une nation qui ne se colonise pas est irrévocablement vouée au socialisme». Ernest Renan en bon bourgeois colonial a compris, comme le précise si bien Polanyi presque 70 ans plus tard, que l'économie capitaliste fondée sur le gain et le profit, de création récente, est étrangère à l'économie du commun des pays de la périphérie (les colonies), se trouvant en dehors de l'histoire et n'ayant pas subi le mode de production capitaliste, seront condamnés naturellement à devenir socialistes. La guerre de conquête française en Algérie (1830-1871) va croiser la «question sociale» et les luttes des mouvements révolutionnaires dans la métropole. Ces guerres de conquête révèlent le caractère continué de l'accumulation primitive par la continuité du racisme colonial de l'époque industrielle. Entre 1830 jusqu'à la trêve de 1847, le colonisé en Algérie était organisé autour d'une armée insurrectionnelle obéissant au commandement centralisé de l'Emir Abdelkader, stratège et tacticien hors pair et sans équivalent dans notre histoire, bâtisseur de l'Etat algérien, fondateur des fondamentaux de notre doctrine militaire basée sur la triptyque (le coup d'œil, le mouvement et le choc) ancêtre du C5ISR (command, control, communications, computers, cyber, intelligence, surveillance and reconnaissance), mettant en œuvre une guerre de guérilla à outrance, où le général Thomas-Robert Bugeaud tira toutes les conséquences de l'adresse et de la dextérité inimitables de l'Emir Abdelkader, l'Emir des Arabes. L'Emir Abdelkader conscient de l'énorme gap technologique en matériel et en hommes en faveur de la première puissance militaire terrestre mondiale de l'époque, écrira à Bugeaud : «Quand ton armée marchera en avant, nous nous retirerons, mais elle sera forcée de se retirer et nous reviendrons. Nous nous battrons quand nous le jugerons convenable. Nous opposer aux forces que tu traînes derrière toi serait folie. Mais nous les fatiguerons, nous les détruirons en détail». Lettre d'Abdelkader à Bugeaud, citée par Yves Lacoste, La Question post-coloniale Paris Fayard, 2010, p.297 Bugeaud répondra en génocidaire criminel avec une rare violence à l'Emir Abdelkader : «Le but n'est pas de courir après les Arabes, ce qui est fort inutile ; il est d'empêcher les Arabes de semer, de récolter, de pâturer, (...) de jouir de leurs champs (...). Allez tous les ans leur brûler leurs récoltes (...), ou bien exterminez-les jusqu'au dernier». Maréchal Bugeaud, Fascicule 1 : L'Algérie. Des moyens de conserver et d'utiliser cette conquête ; Suivi par le Fascicule 2 : La Guerre des rues et des maisons (2 fascicules à consulter à la Bibliothèque de Saint-Cyr-L'Ecole). La révolution de février 1848 à Paris se transforma en guerre civile où pour la première fois se manifesta la classe ouvrière... Qui pouvait affronter les «barbares de l'intérieur», les «bédouins de l'intérieur» (Bugeaud) sinon ceux qui avaient combattu les «barbares» des colonies dans des situations semblables ? Qui pouvait écraser «cette canaille rebelle», ces «bêtes brutes et féroces» de la populace révoltée sinon «l'Africain Louis Eugène Cavaignac (1802-1857)», nommé gouverneur d'Algérie en février 1848, devenu le ministre de la guerre le 17 mai 1848, opérant «dans Paris comme il eût fait face aux tribus guerrières arabes» (Tocqueville). Cavaignac soutiendra la stricte imbrication de la guerre insurrectionnelle et de la guerre civile dans une guerre coloniale telle qu'expérimentée en Algérie contre les Arabes fournit les techniques militaires employées par la République en France sous son autorité pour écraser l'insurrection de juin 1848 à Paris. Cavaignac soutiendra sans réserve par haine de classe la destruction programmée de l'ennemi intérieur par les tactiques militaires de la coloniale (plus de 30.000 ouvriers laisseront leurs vies et 3000 civils fusillés sans distinction hommes, femmes et enfants). Il faut observer que l'Algérie a été toujours un champ d'expérimentation, le passage obligé et solide tremplin des carrières des hauts fonctionnaires civils ou militaires pour obtenir de hautes charges en France. Récemment deux ambassadeurs français en Algérie se retrouveront catapultés successivement tous les deux à la tête de la DGSE en France. C'est une tradition autoentretenue consacrant et situant toujours l'Algérie dans le champ de l'accumulation par dépossession en tant que laboratoire des expérimentations récurrentes et incessantes, réalisées dans le carré de la mission sentinelle et sécuritaire néocoloniale française. Alexis de Tocqueville ajoute aussi sa touche cynique de l'érudit et du savant colonial en soutenant la politique et les crimes de la conquête militaire du Maréchal Bugeaud : «La guerre coloniale doit pratiquer tout ce que le «droit des gens» de la guerre conventionnelle interdisait, et qui relève d'une stratégie globale de terreur et de famine : ravager l'économie du territoire occupé, détruire tout ce qui ressemble à une agrégation permanente des populations, ou en d'autres termes à une ville, pratiquer des razzias, incendier des villages, rafler des troupeaux, s'emparer des hommes sans armes, des femmes et des enfants, ne faire aucune distinction entre civil, militaire et prisonnier (qui doivent être exécutés)... établir tous les moyens coercitifs nécessaires à la domination sur les Arabes sans laquelle il n'y a ni sécurité pour la population européenne ni progrès de colonisation... que les conditions économiques soient telles qu'on puisse facilement s'y procurer l'aisance et y atteindre souvent la richesse, et du libre commerce avec la France. Soit le principe d'un gouvernement colonial libéral faisant reposer la «liberté» des seuls colons (la population européenne se substitue à l'élément indigène en le refoulant ou en le détruisant sur des dispositifs que l'on peut dire avant la lettre, de guerre sécuritaire). Il ne faut pas dire que l'organisation sociale en Algérie doit être exceptionnelle, sauf quelques ressemblances, mais au contraire : les choses doivent être menées en Algérie comme en France, sauf quelques exceptions. Parmi celles-ci, l'interdiction du commerce pour les Arabes car c'est le moyen le plus efficace dont on puisse se servir pour réduire l'influence des tribus arabes». (Alexis de Tocqueville, «Travail sur l'Algérie», ?uvres complètes, t.1, Paris Gallimard, «Bibliothèque de la Pléiade», 1991, p. 705, 706, 710, 716). La politique d'émigration coloniale visait à faire du prolétaire européen un colon propriétaire (le sabre et la charrue), la haine raciale des généraux ?'africains'' reconnaît immédiatement le fil rouge du fil noir, reliant les «indigènes de l'intérieur» (la classe ouvrière de la métropole) aux indigènes des colonies. Il ne faut pas se tromper, ce modèle de domination, colonisateurs/minorités (colonisées) «profite» également aux ouvriers européens. Malgré l'exploitation qu'ils subissent en métropole, ils partagent avec les capitalistes les dividendes de la colonisation qui les «embourgeoise». Selon l'expression de Engels (Marxisme et Algérie, textes de Marx et Engels, Paris UGE, 1976, p.394) «les ouvriers participent au monopole colonial et en vivent allègrement». Les politiques raciales font émerger la force des divisions à l'intérieur du prolétariat mondial. Le pouvoir passe également par les dominés qui le reproduisent en s'y conformant. Les ouvriers objet d'un racisme de classe pendant tout le XVIIIe et le XIXe siècles, le retournent contre les colonisés. Par un curieux chassé-croisé, les premiers congrès socialistes se tenant à Alger à la fin du XIXe et au début du XXe siècle (1920) défendent «la main-d'œuvre française» contre la main-d'œuvre italienne, considérée comme étrangère ; et tandis que les colonisateurs français se pensent «algériens», les colonisés ne sont que les «indigènes» ou les «Arabes». En septembre 1920 est convoqué à Bakoule «1e congrès des Peuples de l'Orient» que Grigori Zinoviev (Le Congrès de Bakou 1920, Contretemps, 12/09/2012), alors président de l'Internationale communiste appelait «la seconde moitié du congrès de l'Internationale». 1891 délégués des différents pays de «l'Orient opprimé» y prennent part (100 Géorgiens, 157 Arméniens, 235 Turks, 192 Persans, 14 Tchétchènes, 14 Hindous et 8 chinois) dont 1273 communistes. La question coloniale et la question musulmane sont au centre des discussions. S'adressant à des délégués majoritairement musulmans, Zinoviev croit devoir parler leur langage et, emporté par l'enthousiasme, affirme que l'objectif politique était de «susciter une véritable guerre sainte (djihad) contre les capitalistes anglais et français» et attaque violemment l'aristocratie ouvrière européenne : « L'aristocratie ouvrière dans les colonies ou en Europe est, en réalité, complice des colonialistes en optant pour la catégorie de la guerre des races. L'aristocratie ouvrière des pays capitalistes s'est précisément constituée en aidant ?'sa'' bourgeoisie ?' à conquérir et à opprimer le monde entier par des moyens impérialistes, afin de s'assurer ainsi de meilleurs salaires. Les peuples colonisés doivent donc constituer des alliés pour permettre à la révolution de reprendre l'initiative». Il n'est pas inutile d'observer que 45 ans auparavant Engels (op. cité p.25) s'est réjoui de la capture de l'Emir Abdelkader, inspiré par la théorie de l'eurocentrisme marxiste moderniste à ses débuts «En gros notre opinion est qu'il est très heureux que le chef arabe ait été pris. La lutte des bédouins était sans espoir, mais bien que la façon dont la guerre a été menée par des soldats brutaux comme Bugeaud soit très condamnable, la conquête de l'Algérie est un fait important et propice au progrès de la civilisation». Ernest Jünger dans La Guerre comme expérience intérieure écrit «N'ayant jamais bénéficié du droit de la guerre entre Etats européens fondé sur l'exigence stratégique de préservation de la puissance des Nations, les colonies ne pouvaient qu'être soumises à un régime de «guerre totale». La guerre coloniale n'est pas une guerre contre une entité surplombante nommée ?'gouvernement'', c'est une guerre contre tous et chacun... c'est précisément par cette caractéristique que la guerre coloniale constitue la matrice historique de l'évolution de la guerre». Ernest Jünger (op. cité) ajoute «La colonie était l'espace déshumanisé où les Etats soumis au «droit des gens» sur le théâtre d'opérations européen pouvaient, devaient s'adonner à la brutalisation la plus sauvage et la plus raisonnée, sans aucune limite «anthropologique», sans aucun «sens de l'honneur guerrier» et de l'héroïsme individuel. Le passage d'un terrain à l'autre est celui de ces expéditions qu'un Ludendorff qualifie «d'actes des plus immoraux», «provoquées par l'amour du gain», ne méritant à aucun titre la désignation noble et grave de guerre»... à une guerre totale qui en inclut toutes les pratiques de ses machines de guerre en les illimitant dans l'ordre des raisons de leur mondialisation». Aimée Césaire (voir incipit, op. cité) n'a cessé de le faire valoir : la violence coloniale, bannie de l'art occidental de la guerre, devait finir par se retourner contre les populations européennes. Après avoir mis à sac la planète entière, l'Europe déchaîne contre elle-même les méthodes d'abord expérimentées dans les colonies. La petite guerre contre les populations colonisées a été la première forme de guerre totale. A suivre... *Docteur en physique et DEA en sciences du management |
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