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Humeurs
cannoises au jour le jour. Chronique délirante à ne jamais prendre au sérieux.
Même si la vérité sort souvent des yeux de la vieille momie. Troisième épisode
: Les années Cerceau.
20H20: Le jeune Saïd B. joue au cerceau comme tous les enfants de son âge. Mais comme nous sommes en 1968 et que cette histoire se passe en Algérie, il est peut-être utile de préciser que jouer au cerceau ne veut pas dire faire du Hula Hoop en se dandinant et en se déhanchant comme on l'entend aujourd'hui dans certains cercles... Le cerceau -prononcer serssô pour les gens qui ont au moins l'âge de la Momie- est un jeu autrement plus simple et bon enfant. Avec une roue de bicyclette débarrassée de tous ses rayons -ou, variante populaire, avec une roue bricolée à l'aide d'un tuyau d'arrosage- le jeu consistait à la faire tourner -la roue, quoi d'autre ?- à l'aide d'un fil de fer assez rigide. Quelquefois, ce fil de fer en forme d'un U était rajouté au bout d'un manche en bois ou en roseau. Souvenirs, souvenirs... 20H25: Nous sommes donc quelque part à Club des Pins et le jeune Saïd B. (10 ans) joue au cerceau quand brusquement son grand frère, Abdelaziz B. -qui était alors le plus jeune ministre des Affaires étrangères du monde entier et plus précisément de l'Algérie fraîchement indépendante- lui demande de cesser de jouer pour venir saluer l'ami Costa qui repart chez lui en France après avoir tourné un film en Algérie. Le jeune Saïd s'exécute par politesse, mais au fond, et on le comprend, il n'a qu'une seule envie, embrasser fissa le visiteur et revenir à son jeu. Laissons donc le jeune Saïd jouer au cerceau et intéressons-nous à Costa G. et Abdelaziz B. Entre les deux hommes, c'est une longue histoire d'amitié qui commence. Voire un roman d'amitié qui s'élance comme un oiseau. Un an auparavant, le réalisateur français d'origine grecque, né Konstandinos Gavras, avait obtenu de la part du régime algérien des 3 B (Boumediene, Boutef et Benyahia -ministre des Finances pour ceux qui n'étaient pas encore nés- une aide plus que précieuse pour produire et tourner en Algérie «Z», un film politique, une charge à peine voilée contre la dictature des colonels instaurée à cette époque en Grèce. Mais qu'est-ce que cela a à voir avec le Festival de Cannes, se demandent les lecteurs toujours impatients, de plus en plus impatients? On y arrive, on y arrive, laissez donc la Momie développer son récit tant que sa mémoire le permet encore. 20H37: Donc, le Festival de Cannes, qui avait été interrompu en 1968 pour cause de Hirak gaulois contre le Gaïd de Gaulle, décide en 1969 d'être politiquement très engagé et sélectionne «Z» en compétition officielle. Or à cette époque, le règlement de Cannes est on ne peut plus strict vis-à-vis des films co-produits par deux ou plusieurs pays. Le Festival exigeait que les pays co-producteurs se mettent d'accord entre eux pour savoir sous quelle bannière le film devait concourir. Costa Gavras décide seul que le film serait français et déboule sur la Croisette avec son équipe de stars (Irène Papas, Yves Montand, Jean-Louis Trintignant, Charles Denner, ainsi que Jorge Semprun qui a écrit le scénario du film, adapté du roman éponyme de Vassilis Vassilikos, et Mikis Theodorakis le compositeur de la BOF. Mais sans Hassan Al Hassani dit Boubegra et sans Sid-Ahmed Aggoumi dit Papichou qui jouaient dans le film). Pour le grand frère de Saïd, c'est grosse colère et menaces de rupture du roman d'amitié, celui qui devait s'élancer comme un oiseau. Sur ordre de Abdelaziz B., l'ONCIC (Office national du cinéma et de l'industrie cinématographique) transmet une lettre de protestation au ministère des Affaires étrangères français comme le rappelle le M, le magazine du journal Le Monde de cette semaine, dans un long et passionnant article sur le Festival de Cannes en 1969. Boutef, donc, s'énerve et appelle Costa pour lui tailler un costard. On connaît la suite, «Z» a obtenu le prix de la mise en scène à Cannes et Jean Louis Trintignant le prix de la meilleure interprétation masculine. Abdelaziz B. aurait, dit-on, piqué une colère noire. «Konstandinos tu m'as trahi comme un vulgaire constantinois». Se rendant compte de son immense bévue et se rappelant à quel point son ami algérien était susceptible et rancunier, Costa Gavras aurait répondu : «Le Festival de Cannes nous rend fous et égoïstes, ô Abdelaziz mon frère, et je te promets que je vais me rattraper». Et effectivement, Costa Gavras décide en commun accord avec le Quai d'Orsay et le ministère français de la Culture que pour les oscars, le film «Z» représentera l'Algérie. Et tout est bien qui finit bien, le film obtiendra -pour l'Algérie des 3B donc- l'Oscar du meilleur film en langue étrangère en 1970. 20H55: Pourquoi reparler de «Z» aujourd'hui ? Parce que c'est le cinquantenaire de sa consécration à Cannes. Ah, 69, année scientifique, politique, érotique et culturelle ! C'est l'année des premiers pas de l'homme sur la lune et des premiers seins nus africains défilant dans les artères de la capitale algérienne, l'année du Panaf bien sûr et de Woodstock, autant dire les premiers festivals des musiques du monde dans le monde. C'est aussi l'année de la naissance de Rahan, le fils de Craô et celle de Yassir Benmiloud, le fils de Madame Sahraoui. 1969. William Klein déboule à Alger et une fois de plus, le jeune Saïd est obligé d'arrêter de jouer au cerceau pour venir embrasser cet immense photographe et cinéaste juif new-yorkais acquis aux idées progressistes du tiers-monde et impliqué dans la lutte pour les droits civiques des noirs d'Amérique. 21H00: Cinquante ans, la Momie pleure devant la copie restaurée d'un autre film présenté en 1969 à Cannes, «Easy Rider», premier film de Dennis Hopper avec Peter Fonda et un certain Jack Nicholson -qui n'arrivaient même pas à être admis aux fêtes de Cannes car ils ne portaient pas de smoking et qu'ils étaient archi-inconnus à l'époque. D'une manière générale mon général, ceux qui n'ont jamais joué au Serssô ne pourront pas comprendre pourquoi «Easy Rider» est le plus beau film de tous les temps et de tous les univers. Depuis, Denis Hopper is dead, Peter Fonda et Jack Nicholson sont devenus vieux... Mais battant tous les records de longévité, Costa Gavras est aujourd'hui président de la cinémathèque française et passe son temps à faire la tournée des festivals pour se faire remettre des médailles. 21H15: Avec le retour aux affaires des Bouteflika Brothers en 1999, Costa Gavras, au nom d'une vieille histoire d'amitié qui a résisté à tant de désillusions idéologiques, revient en Algérie où les portes de la Présidence lui sont grandes ouvertes. Cette fois, le jeune Saïd ne joue plus au cerceau et seule une enquête transparente et indépendante pourra nous dire à quel jeu il jouait au juste à cette période de sa vie. Toujours est-il que Costa et sa femme Michèle -grande productrice de petits films- obtiennent tout ce qu'ils veulent de la présidence algérienne et Mme Toumi, en sa qualité de ministre des cultes folkloriques, des zaouïas et des festivals de propagande, exécute les ordres d'El-Mouradia avec un zèle qu'elle feint d'avoir oublié aujourd'hui. Si le cinéma ne retiendra aucun des films produits ou co-produits par les Gavras dans les années 2000, Costa est bel et bien l'homme qui connaît le mieux la Boutef touch. Un jour, lors d'une réception à la cinémathèque française, la Momie a demandé à Costa Gavras: «Mais, enfin, de quoi parliez-vous avec le président Bouteflika ?» Réponse de monsieur Costa: «On parlait de plein de choses pour relancer le cinéma algérien, on restait des heures et des heures à parler de ce qu'il était urgent de faire. Je n'arrêtais pas de dire à Abdelaziz que le cinéma est une affaire très politique et qu'il fallait donc inventer une politique culturelle qui puisse être pérenne. Le président écoutait longuement ce que je lui disais, ses conseillers proposaient des projets, mais comme à chaque fois, après d'interminables discussions, cela se terminait par un déjeuner ou un dîner. A un moment, le président disait : «Allez, c'est l'heure de passer à table» et c'était fini. 21H20 : C'est déjà l'heure de passer à table, Saïd, lâche donc ta Nintendo et viens embrasser le maton qui te ramène la chorba. |
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