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Quatre
jeunes étudiantes, amies à la vie à la mort comme on peut encore l'être à cet
âge, dans la tourmente de la décennie noire. Voilà pour le sujet et les sujets
du film algéro-franco-belge de Mounia Meddour, «Papicha», dévoilé en avant-première vendredi 17 mai dans le
cadre d'Un Certain Regard. L'envoyé spécial du Quotidien d'Oran à Cannes est
tout à la fois sévère avec le film et ébloui par sa jeune interprète
principale.
Avoir 20 ans dans les années 90 à Alger, quelle arnaque ! Surtout quand on est une jolie fille insouciante, nourrie à la culture MTV captée tant bien que mal via les antennes paraboliques -orientées à cette époque vers la rive occidentale de la Méditerranée. Au premier plan donc la belle Papicha qui veut organiser à l'intérieur de son campus un défilé de mode avec comme thème le haïk dans tous ses états. Pour sortir de sa Cité universitaire le soir en clandé et aller danser avec ses copines jusqu'au bout de la nuit, Papicha a plein d'astuces : graisser la patte du gardien, bichonner son vieux «taxieur» clandestin, dégoter le bon boy-friend qui a la bonne voiture, chiner les bons frous-frous dans les bonnes boutiques?Et quand le jour se lève, elle se débrouille -et plutôt bien avec son caractère bien trempé- pour résister à la terreur, pour ignorer les menaces de plus en plus insistantes et les insultes de moins en moins retenues. Raconté comme ça on se dit mais oui bon sang, pourquoi personne n'y avait pensé avant ? L'idée de faire un film de genre, un film de campus donc, pour revenir sur cette époque épouvantable, n'était pas mauvaise en soi. Et même très bonne idée car s'inscrivant totalement dans la grande tendance du cinéma mondial qui remet le film de genre à l'honneur, comme on peut le constater à Cannes jour après jour, presque film après film. Et quand on dit film de campus, il faut comprendre de terreur dans un campus, on ne parle pas des Will Hunting, Américan Pie, et autre niaiseries soi-disant romantiques ou comiques, mais plutôt des Scream de Wes Craven, la bonne référence du genre. En somme un slasher movie algérien avec dans le rôle des serial-killers, des islamistes prenant d'assaut la cité universitaire des filles de Ben-Aknoun, massacrant tout le monde sur leur passage, bavant de haine à la recherche de la plus belle des rebelles (celle qui veut, rappelons-le, organiser un défilé de mode avec des haïks ), oui pourquoi pas ? Hélas, au lieu de faire un film de genre, Mounia Meddour a préféré faire genre sérieux, c'est-à-dire un film de dénonciation. Et tout ce qui va avec. Manichéisme primaire, académisme au violon, personnages noyés sous le chlore de la représentation, et beaucoup de dialogues sentencieux coulés sur un canapé de fatuités au basilic. Si on aime la junk-food et les festivals de poncifs vintage, on peut donner 1h45 de son temps à Papicha et à ses pom-pom girls de copines qui veulent vivre en cette année 1997 comme dans Hélène et les garçons, malgré le climat de terreur imposé par les intégristes et leurs tueurs. Pour dire du bien de «Papicha», le premier long-métrage de fiction de Mounia Meddour, il faut prendre sur soi et adopter un ton paternaliste tout aussi caricatural que le film. C'est donc avec beaucoup de condescendance assumée que nous saluons ici, comme ne manqueront pas de le faire tant de confrères du monde libre et civilisé, le courage de la jeune réalisatrice algérienne de 41 ans. A la question sans nuance : qui sont les méchants / qui sont les gentils ? Mounia Meddour coche sans ambiguïté là où il faut cocher. A la question : qui parle le français et qui déteste ceux qui parlent en français, vieille variante de qui sont les civilisés et qui sont les sauvages ? question simple, réponse simpliste et dans les clous de la part de l'intéressée. A toutes les autres questions du même tonneau (avez-vous déjà appartenu à une organisation terroriste, transportez vous des armes avec vous, pratiquez vous l'Islam un peu, beaucoup, passionnément, ou mieux pas du tout), la réalisatrice ne fait que des réponses adéquates et attendues, des fois maladroitement mais toujours avec un touchant volontarisme de dévote. Pour faire ce qu'elle a fait, il en faut du courage effectivement. Visa accordé. Précision quand même: on parle bien d'un visa hospitalité, appelé aussi visa patte blanche. Tant qu'à faire on aurait vraiment souhaité que la réalisatrice coche d'autres cases pour obtenir le fameux visa C? C comme cinéma. Il y a une autre manière de trouver à dire du bien, quand même et malgré tout, de «Papicha». Il suffit d'oublier son histoire, sa réalisation, et saluer la naissance dans ce champ de ruines d'une nouvelle star, la sublime Lyna Koudri dans le rôle-titre ! Repérée en frêle adolescente dans le film de Sofia Djama «Les Bienheureux», elle n'était alors qu'une jolie promesse (récompensée au Festival de Venise quand même !), aujourd'hui dans «Papicha», Lyna Koudri crève l'écran, on ne voit qu'elle pour ainsi dire. Et surtout on voit qu'elle est là pour de bon, pour longtemps, comme une évidence. An algerian star is born. Une étoile s'élève dans un beau ciel vide et si elle s'appelle Nedjma dans «Papicha», ce n'est sans doute pas pour rien. Chacune de ses apparitions fait l'effet d'un petit miracle émouvant. Son visage, son corps, ses gestes, sa voix, son regard, tout chez elle appelle les sens et réclame toutes les lumières du monde. Sa grande photogénie de jolie fille de la Méditerranée est anoblie par la gravité têtue de la fin de l'adolescence? Déjà plus innocente mais pas encore adulte, archi-papicha en voie d'être super-zella. Cet entre-deux solaire et éphémère qui lui donne des ailes. Telle une déesse, Lyna Khoudri incarne tout à la fois, l'éclat et l'état de la jeunesse. On n'avait pas vu ça au cinéma depuis quand déjà ? Depuis Hafsia Herzi apparaissant dans «La Graine et le Mulet» d'Abdelatif Kechiche ? Ou Adèle Exarchopoulos irradiant «La Vie d'Adèle» du même Kechiche ? Ou depuis la révélation Golshifteh Farahani ? Le jour où elle rencontrera en Algérie ou ailleurs son Kechiche, ou son Asghar Farhadi parions que Lyna Khoudri les surpassera toutes. Pour autant, Lyna Khoudri ne sauve pas le film de Mounia Meddour, mais souvent elle se sauve du film et nous fait évader avec elle. Quand il devient évident qu'on reste voir «Papicha» jusqu'au bout uniquement pour la voir elle, il se passe quelque chose d'étrange, proche de l'hallucination : alors que le film se déroule et se perd comme prévu, ne voit plus sur l'écran qu'une multitude de bouts d'essai où Lyna Khoudri prouve qu'elle est à l'aise dans différents registres. En quelque sorte un bout à bout de différents bouts d'essai où la star est trouvée, Lyna Koudri évidement, et où l'on peine à lui trouver des partenaires. Car ici personne d'autre qu'elle n'est crédible, personne n'est à sa auteur, et certain.e.s sont d'un ridicule achevé ?même s'il faut épargner au passage Mériem Merjkane qui tire son épingle du jeu en mourant très vite (en tant que cible-journaliste) et Nadia Kaci qui, bien qu'égale à elle même, force le respect dans ce film où elle assume enfin son âge. Il n'y a qu'une lune c'est elle, Lyna Khoudri. On la voit dans tous ses états, bavant de colère en gros plans ou éclatant de joie de tout son corps. Lyna au souk, Lyna au hammam, Mlle Khoudri en maillot de bain sexy ou en haïk mermâ classe. Elle peut tout faire, elle fait tout bien : danser comme si la vie était éternelle et la minute d'après ramper sous les lits pour échapper à la mort. Même quand on lui met dans la bouche des dialogues d'une abyssale niaiserie et des vieilles blagues pourries (par exemple, celle des Algériens qui vont aller sur le Soleil pour faire mieux que les Américains, mais la nuit pour ne pas se brûler, wouaf wouaf !), elle s'en tire à bon compte, preuve qu'elle peut tout transcender. Sa beauté et son éclatante jeunesse n'expliquent pas tout, elle a ce petit quelque chose de rare et d'indéfinissable- qu'on ressent pourtant toute de suite, et qu'on appelle par défaut charisme ou magnétisme. La preuve, même entourée de belle filles on ne voit qu'elle. Dans les rôles des copines justement : Shirine Boutella (l'autre fille de Safy, la sœur de Sofia, absolument très belle, il lui manque seulement le talent de son père ou la chance de sa sœur, ou l'inverse mais ça revient au même), et, tout aussi jolies, chacune à sa manière, Amira Hilda Douaoudaa et Zara Manel Doumandji, sans doute pour la première et dernière fois à l'écran. Ce portrait de groupe de jeunes et jolies filles maltraitées, rappelle, y compris à travers quelques plans étrangement ressemblants, un autre film présenté en 2015 dans ce même festival (et dans les mêmes catégories et quotas) : «Mustang», un film de dénonciation, bien sûr, du patriarcat turc par une jeune réalisatrice franco-turque Deniz Gamze Ergüven. «Mustang» et ses cinq sœurs victimes, belles et blondes comme des sirènes, furent applaudis à la Quinzaine des Réalisateurs, nominés aux Oscars, et au final primés aux Césars. Le film a eu une jolie carrière comme on dit. C'est tout le mal qu'on souhaite au «Papicha» de Mounia Meddour. |
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