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Entretien
exclusif avec le multi-performer Nabil Djedouani,
acteur méconnu et pourtant essentiel de la nouvelle scène Ciné pop and co algérienne.
Réalisateur, collecteur de pépites, tête chercheuse des archives audiovisuelles concernant la culture algérienne, ce fils d'immigrés chaouis à Saint-Etienne est l'initiateur et administrateur de la précieuse page FB " Archives Numériques du Cinéma Algérien " et du SoundCloud rétro-moderne " Raï and folk ". On a beaucoup parlé dans notre édition d'hier de la sélection algérienne qui participe à cette 72ème édition du Festival de Cannes (Mounia Meddour, Amin Sidi-Boumédiène, Yasmina Khadra en guest), et on n'a pas eu un mot pour ceux qui n'ont pas été qualifiés. Rectifions le tir. Après " Dans ma tête un rond point ", primé et remarqué, le réalisateur Hassen Ferhani a tenté son coup en présentant aux sélections cannoises son second long-métrage -qui mêlerait réel et fiction, tourné quelque part dans le Sahara. Encore plus étonnant : l'habitué des sélections parallèles cannoises, le réalisateur estampillé Cinéma d'Auteur Rabah Ameur-Zaïmeche n'a pas été retenu lui non plus alors que son nouveau film, " Terminal Sud ", par son thème brûlant et la radicalité de sa mise en scène avait largement de quoi susciter l'intérêt des plus chochottes des cinéphiles pointus. Son film est une audacieuse uchronie - la décennie noire qu'a connue l'Algérie dans les années 90 telle qu'elle fut mais conjuguée au présent et située quelque part dans un pays jamais nommé. Algérie ? France ? Ici ou ailleurs ? Un paysage indéterminé et familier à la fois- non le pays Kituki ne se situe pas dans l'Etat du Kentucky mais tout proche de nous. La dramaturgie impeccable du film repose sur cette mystérieuse faille spatio-temporelle. Porté par Ramzy Bedia ( oui le Ramzy de Eric & Ramzy ), troublant d'exactitude dans le rôle d'un médecin humaniste et dépressif pris entre deux feux ( l'intégrisme armé et les polices sécrètes du régime militaire ), le film de Rabah Zaïmeche offre un beau second rôle à Nabil Djedouani... Et donc contre tous les pronostics " Terminal Sud " au final n'a pas été sélectionné. Et voilà Nabil Djedouani privé de Festival de Cannes. Parions que ce n'est que partie remise. Le jeune homme de 34 ans a toute la vie devant lui comme on dit. En guise de consolation une interview à tu et à toi par écrans interposés. De Cannes à Paris pour Le Quotidien d'Oran. Le Quotidien d'Oran: Alors pas trop déçu de ne pas être à Cannes cette année ? Nabil Djedouani : Je suis effondré. J'avais tout préparé : location de smoking demi-manche chez Jackets Club, super plan Airbnb pour loger skimi dans les réserves du Carlton et enfin je devais profiter du covoiturage organisé par Amin Sidi Boumediene et Mounia Meddour depuis Paris. Tant pis, ce sera pour une prochaine fois. Q.O.: Pour voyager avec le nouveau film de Rabah Ameur-Zaïmeche " Terminal Sud " il n'y a pas que Cannes. En été il y aura Locarno, à la rentrée Venise, et en tout état de cause le festival des rencontres cinématographiques de Béjaïa le prendra d'office non ? N.D.: Béjaïa, oui j'ai bien connu, tellement amoureux de ces rencontres que je me suis installé rue du Vieillard pendant un temps. Cela reste le rendez-vous incontournable du cinéma algérien, 17 éditions, chapeau bas. J'ai cru comprendre que là bas aussi il y avait un eu changement de mandat. Q.O.: Après avoir incarné Jésus, sayidouna Aïssa, rien que ça, dans le précédent opus de Rabah Ameur-Zaïmèche " Judas", dans son nouveau film, tu ressuscites en journaliste en pleine guerre civile. Peux-tu nous parler d'avantage de ton rôle dans "Terminal Sud" ? N.D.: Je joue le rôle du rédacteur en chef d'un journal d'un pays indéfini qui ressemble beaucoup à la France mais aussi à l'Algérie, une " hétérotopie " méditerranéenne. J'ai beaucoup pensé aux écrits de Saïd Mekbel et à l'ouvrage de Tiqqun "Introduction à la guerre civile" pour préparer ce rôle. Q.O.: Acteur, réalisateur, archiviste, performer... Quel est ton métier au juste Nabil Djedouani ? N.D.: J'aime l'idée de "passeur". Mon travail s'articule beaucoup autour de la mémoire et même peut-être de la réhabilitation : mettre en lumière des évènements méconnus, des œuvres oubliées, des seconds couteaux, des losers magnifiques. Un jour on m'a dit que j'étais un "archonte". L'archonte dans la cité grecque était celui qui gardait les archives, les consignait, les interprétait, les idéalisait. Q.O.: Archonte c'est bien, ça sonne comme un mot mystérieux kabyle si on prononce le h... mais faut-il le prononcer ? N.D.: Euh, je pense que le h est silencieux. Q.O.: Bon sinon "passeur", pardon, mais c'est la vieille trouvaille de feu Serge Daney pour définir son métier de critique de cinéma. Quelle formation as-tu eue ? N.D.: J'ai un Master en études cinématographiques, j'ai consacré mes recherches au cinéma algérien de l'après indépendance. Il est vrai qu'à l'Université on nous parlait souvent de Serge Daney mais je préfère les écrits d'Amira Soltane. J'espère qu'une anthologie sera un jour éditée. Q.O.: Comment est née l'idée de la page Archives Numériques du Cinéma Algérien, comment fais-tu pour aller à la recherche des archives et les numériser ? N.D.: Durant mes études j'ai constaté qu'il était difficile d'accéder aux films algériens et que la plupart des écrits concernant ce cinéma s'arrêtaient aux années 1980. C'est de ce "mal d'archives" qu'est né l'idée des Archives Numériques du Cinéma Algérien, un espace où donner à voir et à lire des objets rares, oubliés ou très peu montrés. Je cherche vraiment de partout : obscures éditions VHS, plateformes étrangères, vide-greniers, sites d'enchères en ligne. Peu à peu s'est imposée l'idée de proposer une sorte de contre-histoire du cinéma algérien qui passerait par Ali Djenaoui, Mohamed Zinet, Brahim Tsaki ou encore le cinéma amateur. Q.O.: Je connais un peu le sinistre Ali Djeddi, mais Ali Djenaoui... ce nom me dit certes vaguement quelque chose mais je ne vois pas bien qui c'est au juste. Qui est Djenaoui Djedouani ? N.D.: Ali Djenaoui est l'auteur en 1955 d'une "Préfiguration du Cinéma Algérien", ce qui fait sans doute de lui le premier théoricien du cinéma algérien. Cet originaire de Souk Ahras est passé par l'IDHEC au début des années 1950. De retour à Alger, il travaille pendant un temps à la Radio Télévision Française et y réalise quelques programmes courts. Mais nous sommes en pleine guerre d'Algérie et il décide de prendre le maquis avec d'autres techniciens en détournant une partie du matériel de la télévision française. Il disparait malheureusement entre 1959 et 1960, victime au côté d'autres jeunes cinéastes de la "bleuite". C'est du moins ce que laisse entendre René Vautier dans ses mémoires ("Camera citoyenne") mais nous ne connaitrons probablement jamais le fin mot de cette histoire, la quasi totalité des témoins ayants aujourd'hui disparu. "Tombés aux champ d'honneur" retiendra pudiquement l'histoire. Il aurait réalisé des films au maquis, "Le Souvenir d'une ville en grève" et "Le Vrai visage de la SAS", des films probablement à jamais perdus, ou oubliés dans un laboratoire en ex-Yougoslavie. C'est Younes Dadci qui parle de ces films dans son incroyable ouvrage édité à compte d'auteur en 1979 " Première histoire de Cinéma Algérien". Younes Dadci autre figure méconnue de l'historiographie cinématographique algérienne et à mes yeux essentiel dans sa radicalité, sa poésie et son mystère. Q.O.: Comment alimentes-tu la page Archives Numériques du Cinéma Algérien ? N.D.: La page est animée au gré de mes découvertes. Elle est actuellement suivie par plus de 10 000 personnes. Les vidéos concernant de grandes figures de la culture algérienne tel que Kateb Yacine, Issiakhem, Mouloud Mammeri sont très appréciées et relayées. Sont aussi très suivis les formats courts, originaux et rares donnant à voir une image moins consensuelle de cette cinématographie. Aussi les documents sur la guerre d'Algérie, les réfugiés aux frontières et la vie dans les maquis semblent trouver un certain écho auprès de notre audience. Il n'y a pas réellement de ligne éditoriale pré-établie mais je pense que transparait tout de même un certain goût pour la culture populaire et les formes expérimentales. Je crois que ce travail d'archivage "sauvage" peut-être finalement vu comme un portrait en creux de Mohamed Zinet : il ressurgit ici et là, à travers une affiche, une apparition dans un film, un extrait de la bande originale de Tahya Ya Didou, une citation. C'est une façon de lui rendre hommage et justice, lui qui comme beaucoup d'autre finalement, n'a pu réaliser qu'un seul film avant d'être blacklisté. Q.O.: Ce travail remarquable ayant été remarqué et bien remarqué, certains te voient déjà à la tête de la cinémathèque algérienne de la IIème république. N.D.: Oui j'ai entendu dire cela, j'en suis très flatté et amusé à la fois. Qui sait? Cela arrivera peut-être un jour mais en attendant je continue d'activer sur les réseaux sociaux, en contrebandier. La république 2.0 en attendant la IIème république. Q.O.: Tu n'as pas signé la pétition contre la nomination de Salim Aggar à la direction de la cinémathèque algérienne, était-ce une manière de te mettre en réserve de la (deuxième) république ? N.D.: Effectivement, je n'ai pas voulu signer cette pétition. J'entends parfaitement que Salim Aggar puisse être une figure polémique mais pour moi le problème se situe ailleurs. La cinémathèque, sa gestion, ne sont qu'un aspect de la crise de la culture en Algérie. Les dernières années, sous prétexte de crise financière, furent des années de réelles régressions en terme de liberté d'expression, de diffusion de la culture. Nous attendons d'ailleurs des gestes forts de la part de la nouvelle ministre de la Culture qui je l'espère sera en rupture avec ce paternalisme d'un autre âge. Il est essentiel aujourd'hui d'en finir avec la vision utilitariste, centralisée et folklorisante de la culture qui prévaut depuis l'Indépendance. Q.O.: Selon le Huff' Maghreb c'est toi l'inventeur de la jolie formule " La Révolution du Sourire" pour nommer le mouvement citoyen né le 22 février. Est-ce vrai ? N.D.: Effectivement, quelques jours avant la marche du 8 mars j'ai noté cette expression en arabe sur l'un de mes statuts Facebook. Ma grande surprise fut de voir qu'une jeune fille en avait fait une pancarte et avait défilé avec le vendredi suivant. C'est surtout grâce à elle que l'expression s'est répandue. Elle s'appelle Yasmina, je l'ai rencontrée quelques jours plus tard à Alger par le plus grand des hasards. La vie et ses surprises. Je suis bien sûr très heureux de ce qui se passe en Algérie, ce moment est unique et même si l'avenir reste incertain il y aura eu un avant et un après. Cette libération de la parole est remarquable, salutaire. Cependant, je crains que nous entrions dans une forme d'habitude et finalement de banalisation du mouvement. Q.O.: Es-tu un CRAC ? Autrement dit fais-tu partie du Collectif pour le Renouveau Algérien du Cinéma ? N.D.: J'ai entendu parler de ce collectif mais ne m'en suis pas particulièrement approché. Je salue en tout cas toutes les initiatives visant à relancer le cinéma en Algérie. Q.O.: Parle-nous des spectacles où tu mêles sur scène projection d'archives, musique et texte... N.D.: Depuis quelques temps, c'est assez récent en fait, j'essaie de travailler à partir de ces archives d'un point de vue plus personnel. Ce fut le cas avec " Come with me to the Casbah ", une performance présentée au Mucem où se croisaient photos de famille, souvenirs d'enfance, mémoires d'architectes et extraits de films algériens avec pour point de convergence la ville d'Alger. Puis il y a eu " Hafla " où là il était question des mémoires de l'immigration, de danse et de musique électronique. C'est une façon de donner une seconde vie à des images oubliées, méconnues, de réinjecter dans le présent des traces du passé où se mêlent la petite et la grande Histoire. Je suis d'ailleurs invité par le Festival Sziget de Budapest, le plus gros festival de musique en Europe, pour une nouvelle représentation de " Hafla "... Q.O.: Tu as co-réalisé il y a quelques années à Alger le court-métrage " Hôtel Africa " avec Hassen Ferhani, as-tu d'autres projets de réalisation ? N.D.: Je suis cette année l'heureux lauréat de la résidence "Frontières" du Musée National de l'Histoire de l'Immigration en partenariat avec le Groupement de Recherche et d'Essais Cinématographiques (Le Grec). Je réaliserai lors de cette résidence un court-métrage documentaire autour des concerts Rock Against Police. Le mouvement Rock Against Police ou RAP, né en 1980, regroupe des jeunes des banlieues de la région parisienne (notamment de Vitry-sur-Seine, Bondy, Argenteuil...). Le mouvement prend position contre la police dans un contexte marqué par plusieurs crimes racistes et une politique de répression sécuritaire. Contrairement aux concerts anglais de la fin des années 1970 "Rock Against Racism" qui se déroulaient dans des parcs et lieux réputés, le RAP consistait en des concerts en plein air au sein des cités avec des groupes, souvent éphémères, de rock, composés de jeunes d'origine diverse, française ou immigrée. Il est assez frappant de remarquer à quel point ce mouvement né dans la périphérie parisienne a des ramifications avec l'histoire algérienne, une généalogie qui passerait notamment par le théâtre militant de Kateb Yacine et le 17 Octobre 1961. Q.O.: De tous les films qui ont été sacrés Palme d'or à Cannes, lequel aimes-tu le plus ? N.D.: Difficile à dire, j'hésite entre Apocalypse Now et Chroniques des années de braises. Mais coupons la poire en deux et disons "Hassan Taxi Driver", l'histoire d'un vétéran de la guerre d'Algérie devenu chauffeur de taxi. Q.O.: Pour Cannes ce n'est que partie remise certes mais ça doit être rageant de ne pas y être cette année, car outre la non-sélection du film de Rabah Ameur-Zaïmeche, tu as failli être dans le film de Amin Sidi-Boumédiene - puisque tu as participé au casting. A double titre, tu étais à deux doigts de venir à Cannes cette année... Crois-tu au mauvais œil ? N.D.: "Mauvais ?il", c'est le nom du groupe qui signera la bande originale du film sur "Rock Against Police", je crois beaucoup en eux. |
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