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Le soulèvement populaire a mis
à nu les contradictions d'un système politique parvenu à ses limites et dont le
dépassement est devenu une exigence qui exclut tout compromis ou report. Il
apporte la preuve éclatante que la classe dirigeante aux commandes du pays
depuis des décennies est inapte politiquement et intellectuellement à proposer
un projet de société en phase avec les besoins exprimés par ces millions de
manifestants, fondé sur la liberté, la démocratie, la modernité et le progrès.
L'examen de la situation financière du pays révèle un état de faillite
sanctionné par l'entrée en action de la planche billets et le retour à un
système financier moyenâgeux. Lorsque les pensions de retraite et les dettes
sont financées grâce à cette technique, le péril est grave, c'est une bérézina.
Faisant fi des messages d'alerte envoyés par de multiples observateurs
nationaux et étrangers, le pouvoir a toujours affiché un optimisme béat en se
prévalant des avancées au cours des deux décennies écoulées pour justifier un
5ème mandat présidentiel. Il ne faut pas être expert pour comprendre que
l'Algérie connaît des blocages structurels dont les causes profondes sont
éminemment politiques. Pour de nombreux responsables politiques et analystes,
le pays est confronté à une situation de non-gouvernance ou plutôt une
gouvernance orientée vers les intérêts de groupes oligarchiques. Le terme
oligarchie renvoie à une organisation politique ou un groupe restreint de
personnes qui prennent et imposent des décisions à toute la société. Le système
oligarchique en Algérie est né en 1962 à l'occasion de la confiscation du
pouvoir par le groupe d'Oujda. Au cours des 20 dernières années, un changement
majeur est intervenu avec le glissement de la nature oligarchique du système
politique vers une nature ploutocratique. Le philosophe Ernest Renan définit
cette notion de la manière suivante : « j'appelle ploutocratie un état de
société où la richesse est le nerf principal des choses, où l'on ne peut rien
faire sans être riche, où l'objet principal de l'ambition est de devenir riche,
où la capacité et la moralité s'évaluent généralement par la fortune1 ».
Selon ce propos, la ploutocratie est une organisation politique dans laquelle l'exercice du pouvoir est assuré par les riches et pour les riches, « c'est une forme dégénérée de l'oligarchie ». La forte croissance de la rente tirée des hydrocarbures a donné lieu à une course effrénée pour son accaparement par une caste dirigeante aux appétits gargantuesques et insatiables. C'est l'avènement de l'ère ploutocratique. Alors que l'Algérie avait l'opportunité de rejoindre les économies émergentes grâce à un énorme potentiel, la prise du pouvoir par de puissantes féodalités financières a donné lieu à un saccage organisé dont le seul but était le détournement de richesses. Pour parvenir à leurs fins, elles assurent leur mainmise sur les centres de décision en cooptant des responsables à la tête de l'ensemble des institutions selon un mode qui obéit aux critères de l'argent et de la servitude. Même les fonctions électives au sein des APC, APW, APN, sénat ne sont pas épargnées par cette perversité. La « tripartite » composée des représentants du gouvernement, de l'UGTA et du patronat se transforme en un lobby dont la principale tâche est l'obtention de privilèges : annulation des intérêts des dettes dus aux banques, avantages fiscaux, soutien à une politique de libéralisation commerciale au détriment de l'économie nationale. Les représentants de la caste ploutocratique mettent en place un dispositif politique, économique et technique destiné à capter la rente diffusée massivement par le truchement de la dépense publique et le recours abusif aux importations. La mise en œuvre de ce programme débute par la signature des accords d'association avec l'Union européenne signés en 2002 et entrés en vigueur le 1er septembre 2005. Ces accords consacrent une libéralisation commerciale à sens unique et l'on est amené à se poser une première question : comment est-il possible d'ouvrir le marché algérien sans aucune stratégie de croissance et sans la moindre protection alors que 97% de nos exportations se réduisent à un seul produit en l'occurrence les hydrocarbures ? L'ouverture économique sur l'extérieur dans le contexte d'une économie de rente et mono-exportatrice a été ruineuse car elle n'a pas produit des retombées économiques positives. Elle a engendré des effets dévastateurs en bloquant la production nationale, en mettant en péril les réserves de change et en ouvrant la voie à un transfert illicite d'énormes capitaux à l?étranger, notamment par le canal de la facturation commerciale frauduleuse. La politique de libéralisation commerciale avait pour seul objectif d'intégrer le marché algérien dans l'économie mondiale exclusivement par le biais des importations et ouvrir l'accès à des financements en devises qui ne génèrent aucun avantage pour l'économie nationale. Cette tendance s'accélère avec l'introduction du crédit à la consommation pour l'achat de produits importés et c?est ainsi que le seuil de l'absurde est atteint dans la mesure où c'est l'acheteur algérien qui finance le fournisseur étranger. La caste ploutocratique est allée encore plus loin dans sa politique de rapine puisqu'elle fait adopter par la banque d'Algérie le règlement n° 14-04 du 29 septembre 2014 lequel autorise le transfert de capitaux au titre de l'investissement à l'étranger par les opérateurs économiques de droit algérien. Cette disposition juridique est hautement stratégique car elle consacre au profit d'une minorité la convertibilité du dinar qui résulte de la libéralisation des flux financiers avec le reste monde. Quel est le but poursuivi avec l'adoption de cette mesure dans un pays qui est totalement déconnecté des marchés financiers internationaux et qui n'en tire aucun avantage si ce n'est le risque d'épuisement des réserves de change sans contrepartie pour l'économie nationale ? En réalité, même si ce règlement prend la précaution d'imposer des conditions strictes aux candidats à l'investissement à l'étranger, il légalise désormais les mouvements de capitaux à l'extérieur qui se faisaient auparavant par la seule voie de pratiques frauduleuses. Cette mesure contraire aux intérêts du pays est de surcroît fortement discriminante car elle privilégie une poignée de nantis alors que la grande majorité des Algériens se voient allouer une allocation touristique d'un montant ridicule. De nombreux citoyens contraints de suivre des soins ou de financer leurs études à l'étranger achètent les devises sur le marché parallèle à des taux prohibitifs. C'est une grave atteinte à la souveraineté économique nationale et les Algériens sont en droit d'avoir des explications sur la finalité réelle de ce règlement, à qui il a profité et les montants transférés ? Le processus d'accaparement des richesses nationales ne s'est pas limité au siphonage des réserves de change. Il a pris une plus grande ampleur avec le prélèvement sans limites des ressources accumulées dans le fonds de régulation des recettes pétrolières. Ce fonds a été institué en 2002 pour gérer l'impact des fluctuations du prix des hydrocarbures sur les recettes fiscales de l'Etat et préserver une richesse qui appartient aux générations présentes et futures. Profitant du vaste programme économique fondé sur la dépense publique durant deux décennies, les féodalités financières vont se saisir de cette occasion pour satisfaire des appétits qui atteignent le stade de la démesure. C'est ainsi que le gouvernement en accord avec de telles ambitions, introduit un mécanisme juridique adopté à la faveur la loi de finances complémentaire 2006 et qui permet d'utiliser les ressources du fonds de régulation pour financer le déficit budgétaire. Ces sommes prélevées ne sont pas budgétisées et peuvent ainsi évoluer indépendamment de toute contrainte budgétaire. En réalité la monétisation de l'impasse budgétaire à l'aide des ressources du fonds a contribué à financer largement l'économie de la prédation par le biais des commandes publiques et cela jusqu'à leur épuisement. Même le système bancaire est mis à contribution à travers l'octroi de crédits qui ne sont pas remboursés et qui sont pris en charge in fine par le budget de l'Etat. En 2017 les dettes d'assainissement s'élèvent à 3.296 milliards de DA soit 17,4% du PIB et c'est donc avec l'argent du peuple que l'Etat des ploutocrates participe au financement de l'économie de la prédation au détriment d'une économie tournée vers la croissance. Face à la survenue de cette crise financière à la veille des élections présidentielles, un vent de panique s'installe au sein de la caste ploutocratique qui est dans l'incapacité de proposer de nouvelles alternatives de financement des besoins de l'Etat et de l'économie nationale. Une fois de plus, elle n'hésite pas sacrifier l'intérêt du pays et décide de faire actionner la planche à billets et de l'exploiter comme substitut à la rente pour assurer le passage en force du cinquième mandat. Balayant d'un revers de la main les nombreux signaux d'alerte émis sur les conséquences désastreuses de cette démarche, la banque centrale est sommée de financer le Trésor et c'est ainsi qu'entre la mi-novembre 2017 et le 31 janvier 2019 les concours accordés atteignent 6.556,2 milliards 2 de DA dont 47,5% sont déjà injectés dans l'économie. En d'autres termes, la quantité de monnaie en circulation a augmenté de 3.114,4 milliards de DA. Qu'en sera-t-il lorsque la totalité des concours sera consommée et que la planche à billets sera sollicitée à nouveau au cours des prochaines années ? Cette solution est mortelle pour l'économie nationale car la monnaie créée par la banque d'Algérie est destinée principalement à rembourser les dettes de l'Etat. Le financement dit non conventionnel ne finance pas des investissements et donc ne crée pas de richesses et si l'on s'en tient aux prévisions économiques qui font état d'une baisse de la croissance du PIB sur les 3 prochaines années, alors c'est la porte ouverte à une forte inflation. Il est impératif d'agir pour arrêter cette machine infernale car les Algériens sont lassés de subir des politiques d'ajustement structurel qui n'en finissent plus depuis plus de 30 années et dont le seul résultat est le chômage et la précarité sociale. Durant deux décennies, des dirigeants se prenant pour les parangons de la vertu patriotique ont mis en œuvre des mesures au seul profit de prédateurs qui se sont enrichis en appauvrissant le pays et découragé ceux qui ont l'ambition de promouvoir l'investissement productif et augmenter la production hors hydrocarbures. Ils ont sacrifié la méritocratie et ouvert les portes à une médiocrité généralisée qui est responsable du dépérissement et de l'exil forcé des élites. Le patriotisme économique se mesure à l'aune de la croissance du PIB, l'augmentation des recettes fiscales ordinaires, la diversification des rentrées en devises et l'amélioration du bien-être des citoyens. Ce triste bilan justifie amplement la réaction d'une population excédée et disqualifie ses auteurs pour conduire le processus de changement tel que souhaité par le peuple. La dissipation de la rente et la volonté de changement exprimée par la société annoncent l'entrée de la caste ploutocratique dans un mouvement crépusculaire et ouvrent une ère nouvelle qui sera marquée par le démantèlement d'un ordre politique établi depuis plus de 55 ans et l'édification d'une nouvelle infrastructure politico-institutionnelle et économique qui ne permet plus le retour à des systèmes politiques de type féodal. *Universitaire Notes : 1- Ernest Renan, l'avenir de la science, Pensées de 1848, Wikisource 2- Banque d'Algérie : point de situation sur le financement non conventionnel |
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