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« On ne conduit
le peuple qu'en lui montrant un avenir : un chef est un marchand d'espérance».
(Napoléon Bonaparte)
L'usage impropre de la légitimité révolutionnaire a coûté au peuple algérien très cher. J'ai bien peur qu'une autre légitimité ne nous coûte autant ou plus encore. Je me hasarde dans un terrain miné, j'en ai pleine conscience mais je n'ai aucun choix en cela, je me dois de le faire. Après dix vendredis, le peuple ne faiblit point. Son inspiration, sa détermination et sa soif de liberté restent intactes. Il s'invite, il marche, il fête. Il s'approprie, il ordonne et il exige. Mais qui est ce peuple ? Que veut-il ? Et comment répondre à ses aspirations ? Je reste interloqué, le peuple, radical, demande le départ de tout le régime mais adoube des anciens dignitaires du régime. Des anoblis qui, à des moments différents ou en même temps, ont été des piliers de ce régime. L'un a remis les clés du pays à Bouteflika et béni son élection, l'autre a été premier ministre de Bouteflika, certes un court moment mais premier ministre. D'autres se sont révélés, des dires ceux qui les ont côtoyés, moins démocrates qu'ils ne prétendent. On réclame, pêle-mêle, des noms insignifiants qui n'ont jamais rien prouvé. Leur seul argument est, justement, d'avoir existé sous ce régime, avec ses règles, ses codes de lecture et ses modes de fonctionnement. Je ne comprends plus rien : La justice, prétend s'être libérée alors qu'elle était enchaînée. De quelles chaînes parle-t-on ? Des magistrats reconnaissent avoir rendu (in)justice, au nom du peuple, contre le peuple, avec outrecuidance, en se cherchant des excuses. Agissent toujours sous les mêmes codes et avec les mêmes modes opératoires. Je ne comprends plus rien : Des militants gestionnaires, responsables de niveaux hiérarchiques qui donnent le tournis, se dénigrent et s'échangent les accusations les plus obscènes sur la place publique. Des co-auteurs de crimes contre le peuple se rejettent la responsabilité comme des enfants. Je ne comprends plus rien : Un haut gradé, un premier responsable, d'une institution vénérée, à qui on a confié la sécurité nationale, à qui on a confié l'Algérie la plus secrète, dans sa dimension la plus stratégique, non pas quelques mois, ni quelques années mais un demi-siècle, est catalogué comme traître, pire comme comploteur. Des responsables de sécurité régionaux, de premiers plans, se comportent, apparemment, en irresponsables. Un haut gradé de l'armée, promis pour un destin présidentiel, se révèlerait soutien de délinquants. Je ne comprends plus rien : Des hommes d'affaires, présentés comme capitaines d'industrie, sauveurs de l'Algérie, sont qualifiés d'imposteurs et de prédateurs. Je ne comprends plus rien : Un responsable politique vieux comme la terre, ennuyé par une carrière plate se retrouve devant une responsabilité historique. Je ne comprends plus rien : Des délinquants sont propulsés gestionnaires de la chose publique, de fleurons de l'économie nationale, responsables politiques et responsables dans les services de sécurité. On est presque dans l'Amérique du 19ème siècle où les délinquants pouvaient être justiciers. Je ne comprends plus rien : Des pseudos experts, auxquels on offre des tribunes gracieuses, interviennent pour parler de choses qu'ils comprennent à peine, proposant au public des analyses de cafétérias et tentent, heureusement sans succès, de manipuler une opinion publique désarçonnée. Je ne pourrais comprendre ni accepter un peuple qui cherche à s'enchaîner juste après s'être libéré. Qui est ce peuple ? C'est justement une énigme. Des Algériens qui ne partagent pratiquement rien. Des Algériens que rien ne rassemble. Des Algériens qui peinent à se souvenir d'avoir décidé de vivre ensemble. Des jeunes et des moins jeunes. Des lettrés et des moins lettrés. Des cadres et des petits employés. Des commerçants, des fonctionnaires et des sans-emploi. Surtout des femmes. Des petites gens qui ont pris conscience de leur force. Une population qui s'est convertie en peuple. Des protestations qui se sont mues en révolution. Que veut-il ? Il veut que cesse la ?hogra'. Il veut faire tomber le mythe. Il veut une autre république. Une première république. Il choisit la vie à la survie, le groupe à l'individu, le bien au mal, le travail à l'oisiveté, la justice à l'impunité, le partage à l'exclusivité. Il refuse la prédation. Il refuse l'opacité. Il refuse la division. Il refuse l'ingérence, il refuse la résignation. Il a un projet. Il ne veut pas prendre le pouvoir ; le peuple ne prend pas le pouvoir, le peuple est le pouvoir, le peuple fait le pouvoir. Comment répondre à ses aspirations ? Il n'est pas question de déterminer qui succèdera à qui, mais par quel mécanisme et suivant quel mode opératoire. A ce jour, le seul et unique mode est le scrutin, le vote. Alors parler de personnalités respectables, de période de transition, conduite par tel ou untel, de directoire ou encore de cooptation, relève de la bêtise. Le peuple ne veut plus des modes de fonctionnement, des modes de réflexion et des modes d'actions d'une période qu'il veut à tout prix oubliée. Le peuple ne cherche pas (plus) un homme providentiel. Jamais un homme, quelles que soient ses qualités, quelles que soient ses intentions, n'a réussi de miracle. Le peuple cherche un avenir, le peuple, lui et lui seul, peut réussir des miracles. Le peuple est, en lui-même, un miracle. Il l'a fait. Personne n'y croyait, même pas le peuple lui-même. Il l'a fait, alors il faut désormais y croire. Et ceux qui veulent nous faire croire qu'il n'en restera qu'un et, qu'à ce stade, il ne reste que deux protagonistes: le peuple et l'armée, ont définitivement tort, il ne s'agit pas d'opposition, de confrontation ; il est question de coopération. Il n'y a pas d'un côté le peuple et de l'autre son armée. Ils sont côte à côte. C'est un peuple et son armée. C'est un duo pas un duel. Pourquoi sombrer dans un juridisme absurde vu les enjeux, pourquoi s'entêter à observer, ou faire semblant d'observer, une constitution que personne n'a voulue. Un plan, une feuille de route ou une convention de sortie de crise est prioritaire à une constitution fut-elle légitime, encore plus à cette constitution. Les accords politiques, compromis, arrangements ou conventions de sortie de crise ne sauraient prétendre à la pérennité et restent éphémères. Ils tendent à disparaître ou, au moins, subir des modifications significatives. Et puisque notre duo, par essence, ne peut avoir des prétentions contradictoires, le problème est résolu. Le retour à l'ordre constitutionnel, sous l'égide d'une nouvelle constitution, se fera de la manière la plus normale. |
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