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A
l'heure où tout le monde peut donner son avis sur tout et rien et le propager
sur la toile où les n'importe qui de partout dans le monde peuvent impunément
réagir, liker, pas liker,
déformer, casser, commenter, contredire, dévitaliser, à quoi sert de continuer
de jouer la comédie du passé, celle d'un temps où des lecteurs intelligents se
taisaient en lisant ou en écoutant les analyses brillantes produites par des
gens autorisés à donner leurs avis, comme ce fut le cas aux temps bénis des Mouny Berrah, Abdou B, et autres
Thé Hash?
Ah, attention, pour avoir le privilège d'être critique, il ne fallait pas, seulement, coucher avec le régime en place -ou faire les yeux doux aux patrons avérés ou cachés qui contrôlaient la presse-. C'était très sérieux comme métier. Très mal payé mais assez gratifiant. Télé-speakrine c'était facile, n'importe quel célèbre joueur de foot pouvait placer sa sœur, n'importe quel ministre influent arrivait à caser son ex-maîtresse. Mais critique de cinéma, ou de livre ou de théâtre, ou critique culinaire (RIP Mohamed Medjahed), ce n'était pas donné à n'importe qui. Le job nécessitait un minimum de culture, une certaine aisance dans l'écriture (on parlait de «plumes» à l'époque), une capacité à produire un texte qui ne se contente pas de résumer l'œuvre en question mais qui va au-delà du simple compte-rendu pour mettre en scène un regard critique, développer une pensée. Le deal, alors, était simple comme azul, nous on écrivait et les lecteurs nous lisaient. D'accord ou pas avec nos arguments ils nous lisaient, quitte à préférer l'un de nous à tous les autres. Ils nous lisaient et gardaient pour eux leurs avis ou leurs aigreurs. Ce n'est plus le cas depuis l'avènement du net et autres chaînes de bêtise en continu, maintenant tout le monde est critique et les vrais critiques sont vilipendés, moqués, et tellement déconsidérés que, franchement, on parie que bientôt ils vont disparaître, dans l'indifférence des cruels temps actuels. Disparaître comme les dinosaures, avant-hier et les téléspeakrines, hier. Qui se souvient de Sayida Amina, de la jolie Fatiha, de Naïma M ou de Mme Leïla el-wahraniya ? Qui se souvient encore de Velociraptor, Tyrannosaurus, et du très regretté Parasaurolophus ? Mis à part les joviaux planants Fred et Ginger Mabrouki - qui continuent de sillonner tous les festivals de cinéma du monde toujours aussi légers- les autres critiques sont dans un état critique, on peut le constater de visu quand on arrive à Cannes en cette 71ème édition du Festival de même nom. Cette année le Festival leur a enlevé le dernier des privilèges qu'ils détenaient encore. Voir les films avant tout le monde, c'est fini. Désormais, les journalistes découvriront les films au mieux, en même temps que la soirée de gala, dans une autre salle bien entendu, et pour le deuxième film, le lendemain de la première. L'annonce de cette mesure a déclenché un déluge de protestations. Tempête dans une coupette de champagne (tiède) ou rupture symptomatique ? Et si les derniers critiques marxistes avaient raison ? A les entendre, avec ce changement dans la grille des horaires des projections, les marchands de films marquent leur victoire éclatante sur les critiques de films. Cannes, le Marché du film vs Cannes la mecque des cinéphiles. Ou, variante, la communication industrielle contre la critique artisanale, le gros fric against la fine pensée. Critique, un acte subversif ? Qu'est-ce que cela veut dire porter un regard critique sur un film ou sur une filmographie ? A quoi et à qui ça sert une critique de film ? Qu'est-ce qui fonde la légitimité de cette pratique intellectuelle en passe d'être remplacée par son contraire, la non-critique, pas de pensées que des chiffres, la cotation plutôt que la réflexion. Des foules anonymes et incontrôlées attribuant aux films des étoiles et autres emojis, on est censé avoir une idée du film en comptant les étoiles ? Arrêtons-nous sur le mot «critique» qui vient par le latin criticus, du grec ancien kritikos, ça veut dire être capable de discernement, de jugement, c'est dérivé du verbe krineïn. séparer, choisir, décider? Critiquer ça ne veut pas dire du mal forcément. Sarah Haidar, préfère dire «lecture de film» plutôt que «critique de film», pour éviter le risque élevé des malentendus chez les malentendants, c'est pas bête. Les années précédentes nous avions tenté d'analyser les différentes «lectures» de films que pouvaient produire les critiques algériens, envoyés à Cannes. Ce fut un festival de fiascos et de disputes, sans fin. Cette année plutôt que de vous livrer ses lectures de films, l'envoyé spécial du ?Le Quotidien d'Oran' à Cannes vous invite dans le processus de l'écriture d'une critique. Une critique de la méthode ? Une auto-critique du critique en train d'écrire sa lecture de film ? No sé? Après 25 ans de Festivals de Cannes il fallait bien trouver un concept un peu hasardeux pour vous (et nous) tenir en haleine. Début de la série dans l'édition du samedi. Autre nouvelle chronique «Off of the offs», chaque jour un évènement à Cannes qui n'a aucun rapport avec les films. Et tous les jours une interview exclusive sinon rien? Bon week-end, à samedi matin ! |
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