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Le dispositif sécuritaire a
été renforcé à Cannes cette année. Aller voir film devient une expédition qui
rend passablement dingue n'importe quel envoyé spécial, même de bonne foi?
Cela fait toujours plaisir d'être reconnu par une célébrité à Cannes, le «Hi, how are you ?» de Spike Lee vaut tous les cartons d'invitations aux soirées qu'on n'a pas eu. La rencontre furtive rue d'Antibes, est hautement symbolique. Nous avons connu ensemble notre «Premier» Festival de Cannes. Spike Lee était venu présenter «Do The Right Thing», premier film hip hop et premier film d'un noir américain sélectionné à la compétition officielle, et moi je squattais une MJC? Souvenirs, souvenirs. Je me souviens que Spike Lee m'avait accordé une interview pour feu «Algérie-Actualité» - contre l'avis de son attachée de presse qui ne voyait pas l'utilité de perdre autant de temps avec l'envoyé spécial d'un pays qui ne distribue pas le film. La nuit j'avais même eu droit à la fête du film où les derniers morceaux de rap US rythmaient un inoubliable jeu de drague et de séduction autours de la piscine bleu fluo située au dernier étage d'un Palace cannois. J'étais reparti avec un tee-shirt du film que j'ai conservé de longues années... C'était il y a fort longtemps, quand il fallait faire une queue immense pour envoyer par fax des comptes-rendus que Fatiha Akeb attendait de pied ferme. How are You ? Bonne question. Et l'Amérique wahabite de Trump dans tout ça, comment va-t-elle ? Brooklyn est devenu aussi bourge que Manhattan. Bedford-Stuyvesant, plus connu sous le nom de Bed- Stuy, le quartier noir au centre de Brooklyn, est en train de se gentrifier à la manière de Williamsburg. Les riches gagnent du terrain, les pauvres sont renvoyés de plus en plus loin et, pour dire les choses simplement, aujourd'hui Spike Lee n'intéresse plus grand monde à Cannes. Mais cela peut changer. Spike Lee était accompagné d'un acteur célèbre que je n'ai même pas reconnu Roger Gunveur Smith («Do The Right Thing», «Malcolm X», «American Gangster»). Ensemble ils viennent défendre un film pour Netflix autours de Rodney King, ce jeune noir de Los Angelès roué de coups à mort par des policiers, fait-divers qui avait enflammé le quartier de Watts et qui a bouleversé le monde entier. «Netflix est un nouvel acteur du marché qui permet à des réalisateurs plus ou moins blacklistés par les Studios de pouvoir continuer de tourner» affirme Spike Lee, manière de prendre position dans le débat qui secoue la planète cinéma à Cannes ( pour ou contre Netflix). A son initiative le pavillon américain a décidé de célébrer le bicentenaire de la mort de Frédéric Douglass, un esclave qui a finit homme libre à Washington. Autre nouvelle de l'ami Spike. Il finit en ce moment la série inspirée de son film «Nola Derling» toujours pour Netflix. Mis à part ça, sous un soleil de plomb, en train d'attendre que l'armée de vigiles vienne nous faire passer l'IRM, on peut se poser la question récurrente : purée qu'est-ce qui nous prend de revenir chaque année à Cannes ? L'attentat de Manchester va sans doute augmenter la paranoïa ambiante, mais on se demande qu'est-ce que le Festival le plus protégé du monde peut faire de plus au niveau sécuritaire? Depuis le début du Festival c'est fou comme on est fouillé, refouillé, rerefouillé, surveillé, suivi par des caméras. On n'ose plus aller en projection avec un sac, sinon on est obligé de tout déballer devant tout le monde, alors tant pis pour les dossiers de presse, la serviette pour la plage au cas où, les gâteaux piqués ici et là pour les petites faims, l'idée pour écouter le calvaire est d'arriver le plus léger possible pour passer par tous les détecteurs de la sécuritate cannoise sans faire hurler les sirènes d'alarme. Mais au fait, tout ce cirque à quoi sert-il ? A nous protéger de quelques malveillants locaux de cette charmante bourgade qui à voté à près de 50% pour Marine Lepen au deuxième tour des élections présidentielles ? Des menaces prises au sérieux par le dangereux clown Rachid Nekkaz, fièrement décidé d'envahir la Croisette avec son armée de femmes en burkini pour protester tout à la fois contre la présence de Chakib Khelil dans la short-list des nominés pour le poste de super-wali de la zawiya Algérie validée par la Maison Blanche et pour marquer sa colère légitime de ne voir aucun film de capes et d'épées retenu par la sélection officielle ? Tiens, parlons un peu des bodygards qui nous palpent amoureusement plusieurs fois par jour. Les minorités ethniques sont très bien représentées dans ce métier en vogue Effectivement qui mieux qu'un Arabe ou un Noir pour détecter le danger potentiel d'un daeshiste cinéphile ? Il y a quelques vieux retraités et leur accent épouvantable qui pue la karentita-ailloli et qui n'ont toujours pas digéré la perte de l'Empire colonial. Mais aussi paradoxal que cela puisse paraître si on pouvait choisir nos bourreaux on préfère encore les pieds noirs. Au moins avec les nostalgiques de l'Algérie Française, toujours en nombre conséquent à Cannes, le sourire est certes glacial mais la fouille ne dure pas des plombes. Avec les arabes c'est «s'mir» et compagnie. «Ah, mon frère tu viens d'Oran» ( ta gueule !), «Ah, mon frère tu viens d'Algérie ! C'est notre soeur l'Algérie» ( ta gueule ! Ton accent tuniso-provençal est horrible ! ); «Ah mon frère ça fait plaisir de voir un compatriote qui vient du bled» (ta gueule, ta gueule, ta gueule, ta gueule !!!! Et arrêtes de hurler, fais ton sale boulot et laisse moi passer il me faut trouver une bonne place). Bien entendu l'envoyé spécial du quotidien d'Oran reste poli et zen, et il garde pour lui les remarques exprimées ici entre parenthèse -et qui doivent rester entre nous. Cette folie des fouilles poussées à l'extrême entraîne à des actes qu'on n'aurait jamais soupçonné faire un jour. Par exemple changer de file pour échapper aux Arabes et leur «D'ssara» lourdingue quitte à s'offrir au premier papy facho venu. Bien sûr les choses sont autrement plus compliquées que ça: cette année par exemple la star de la sécurité pour les projections de presse à la Salle Debussy est un gaillard qui pourrait très bien jouer le rôle de Baba Arroudj: barbe rousse fournie, yeux bleues éclatants, avec en prime le sourire sadique du converti allumé. A chaque fois que mon badge est scanné par ses soins, j'ai droit à mon lot de «Salam Alaykoum, mon frère». Il y a des jours comme ça où l'on rêve de travailler pour «Le Quotidien de Tel-Aviv», juste pour pouvoir se faufiler le plus rapidement possible et espérer trouver une place loin du carré des journalistes arabes ( qui ronflent en stéréo) et à l'opposé des rangées squattées par les envoyés spéciaux italiens (qui parlent haut et fort pour débiter des banalités incroyables). Encore quelques jours à tenir. Yes. I want to go home ! |
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