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C'est le premier Festival de
Cannes sans Samir Farid, décédé le 4 avril dernier a
l'âge de 73 ans. Historien du cinéma, l'illustre journaliste égyptien était
aussi le plus grand critique du monde arabe.
Quand on parle du Festival de Cannes, on évoque souvent les cinéastes et leurs films, les stars et leurs tenues, parfois les professionnels et les dernières technologies de l'industrie, mais rarement le quatrième pilier de cet édifice : les journalistes. Or, sans eux Cannes ne serait pas Cannes. Venus des quatre coins du monde, ce sont les journalistes, critiques et paparazzi qui écrivent année après année l'histoire du Festival le plus médiatisé du cinéma. Samir Farid, récemment disparu, était le plus grand critique de cinéma du monde arabe. Il n'aimait pas qu'on l'appelle «El Ustad», mais c'était lui le boss. Auteur d'une soixantaine de livres (dont une dizaine de référence) sur le cinéma arabe et sur le cinéma dans le monde, Samir Farid était le plus influent des critiques arabes. Longtemps journaliste au quotidien «Al-Gomhuria», il a terminé sa carrière très naturellement dans «Al Masry al Youm» au lendemain de la Révolution avortée de la place Tahrir car Samir Farid était un libéral de gauche, comme on dit. En février, le Festival de Berlin lui a octroyé La Caméra de la Berlinale. Cannes l'avait déjà honoré en 1997 et en 2000 (médaille du Festival). Ce qui va nous manquer ce sont ses analyses pertinentes, son style où l'érudition de l'auteur ne prenait jamais le pas sur l'amour de partager les émotions avec tous les lecteurs, ses comptes-rendus de Festivals loin des paillettes et du superflu. Bref, la langue d'Al moutanabi connue pour sa prose et ses circonvolutions stylistiques tenait enfin quelqu'un qui savait faire la critique d'une oeuvre d'art. Mr Farid ne se laissait jamais emporter par les vacarmes festivaliers plus ou moins suscités par des communicants pour ne garder que l'essentiel, le film projeté sur l'écran, ce qu'il nous dit de son auteur, de notre époque, de notre relation aux autres. J'ai été honoré quand Samir Farid m'a demandé de lui donner un coup de main pour le Festival International du Film du Caire où il a été président une année (2014) - avant de démissionner. Homme libre dans un monde de soumis, il fut un des rares à renoncer aux gros paquets de dollars qu'octroyaient les émirs du Golfe pour soigner le casting de leurs festivals. Mais en même temps, Samir Farid n'était pas le profil du militant habitué à faire des esclandres ou des scandales, pas plus qu'il n'était du genre à balancer des sandales à la gueule des puissants. Samir Farid, c'était la zénitude égyptienne dans sa magnifique splendeur, un gentleman, le Cary Grant des bords du Nil? Malicieux souvent, cynique jamais. Sérieux quand il faut mais souriant tout le temps. Samir Farid a d'abord fait un énorme travail d'historien, recueillant les paroles des pionniers du cinéma égyptien ( les livres consacrés à Niazi Mustapha ou Henri Barakat fourmillent d'informations précieuses- à lire !). Le critique cairote gardait son calme olympien et toute sa lucidité quand le monde s'emballait pour les derniers films de Youssef Chahine ou L'immeuble Yacoubian . Distingué sans jamais être snob, Samir Farid été aimé par ses confrères du monde entier, et par les professionnels arabes en particulier. Il était par exemple l'ami de Shadi Abdesssalem, le réalisateur d'un seul film La Momie - le premier film «moderne» égyptien. C'est vous dire s'il avait bon goût. Les cinéastes égyptiens des années 80 (Mohamed Khan et compagnie) soumettaient au «Ustad Farid» leurs idées de films, les premières ébauches de leurs scénarios. Ceux d'après se disputaient pour assister à ses conférences. Et si aujourd'hui les plus jeunes cinéastes le connaissent c'est parce que Samir Farid n'aimait rien tant que d'aller découvrir les premiers films et de prolonger la nuit avec leurs jeunes auteurs. Nous étions de tous les âges et de tous les pays à le pleurer quand fut annoncé son décès. Cette année, Samir Farid était attendu pour les festivités du 70ème de Cannes. Pour marquer cette date anniversaire, le Festival lui avait demandé de participer à l'élaboration d'un livre collectif «Ces années là. 70 chroniques pour 70 éditions du Festival de Cannes» ( Ed Stock), rédigé par les meilleurs critiques de la planète. Il en faisait partie. Il en fait toujours partie? Nous publions son texte pour le 70ème pour que Cannes reste l'endroit où l'on évoque également et aussi longtemps que possible le nom et la cinéphilie de Samir Farid. Même si on sait hélas qu'on ne retrouvera plus le Ustad dans le petit balcon derrière le bureau de presse du Palais du Festival, dernier espace dédié aux derniers fumeurs avant l'extinction totale, son fantôme lui nous guidera toujours et partout à Cannes. Dans les salles de projection, dans les allées du Marché du Film, dans les petites ruelles du centre-ville où il aimait s'attabler avec des proches, loin de fêtes de promotion pour un film ou pour une firme. RIP Samir Farid. |
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