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Tous les pays ou presque sont représentés
dans cette 70ème édition du plus grand festival international du film. Mais
tout le monde n'est pas logé à la même enseigne. Chronique d'humeur de notre
envoyé spécial à Cannes.
Pour réussir un bon festival de Cannes il faut se lever très tôt et ne jamais sacrifier le petit-déjeuner pour un soit-disant grand film (la journée sera longue, les sandwichs hors de prix, le cinéma attendra). La première séance est à 8H30. Faut y être au moins 20 minutes avant pour espérer trouver une bonne place à l'orchestre de l'auditorium du Grand Palais des Festivals. Pour réussir un bon festival de Cannes, il est recommandé de s'armer de patience. Attendre des heures sous la pluie précisément ou sous le soleil exactement pour ne pas rater la dernière projection du dernier film du dernier metteur en scène à la mode, originaire du dernier quart monde bien sûr sinon ça marche pas. Etre patient et zen pour accepter les mille et une fouilles par jour, le badge qui se fait scanner à chaque entrée de pavillon, d'hôtel, de stand, de salle de cinéma. Le même badge qu'il faudra ensuite cacher quand on va ailleurs en ville, dans un super-marché, un bar-tabac ou d'autres commerces tenus par de sympathiques cannois qui détestent les étrangers en général et les festivaliers du Festival de Cannes en particulier, mais comme ils détestent un peu moins leur argent la cohabitation temporaire est encore possible... Ce n'est pas tout, pour réussir un bon festival de Cannes il faut accepter d'être bousculé en permanence en arpentant la croisette, d'être fouillé comme un potentiel dangereux terroriste à l'entrée des fêtes et- plus pénible- être humilié par des attaché(e)s de presse qui voient d'abord sur votre badge pour quel média vous êtes accrédités avant de répondre à votre Salam Alikoum. Remarquez de tous les envoyés spéciaux d'Algérie, celui du Quotidien d'Oran est le moins à plaindre. Quand on lui demande c'est quoi, c'est où Le Quotidien d'Oran, il réplique sec «C'est le journal de Kamel Daoud», et là ça claque ! Le Journal de Kamel Daoud ? Les sourires reviennent subitement, les rendez-vous sont pris succinctement et le carton d'invitation pour la soirée est glissé délicatement de main en main comme cela se fait chez nous et entre nous. La pauvre Hind O, pour ne citer qu'un exemple de consoeur «somme toute sympathique» , elle, elle peut toujours essayer d'utiliser comme sésame le nom de Kaddour M'hamsadji. Oui, c'est ainsi: le monde est implacablement cruel chez les vendeurs de rêves. Il faut peser pour compter, ou le contraire, ce qui revient au même. Dans cette bulle qu'est le Festival de Cannes tout est hiérarchisé un max (les producteurs, les comédiens, les journalistes, les officiels, les officieux, personne n'est l'égal de personne, chacun est à sa place et les entrées sont bien gardées). Déjà en 1955 Hervé Bazin disait de l'évènement qu'il fonctionne comme «un Ordre mystérieux, avec ses hiérarchies nécessaires, qui assigne à chacun une cellule confortable». Depuis «la servitude volontaire» n'a pas cessé de faire des progrès. Il faut être un peu maso pour revenir chaque année là où à chaque instant on vous rappelle que vous ne valez rien. Il faut être un éternel grand enfant pour oublier ses rhumatismes et galoper de salle en salle comme si notre vie en dépendait. Il faut tout le temps ruser beaucoup pour exister un peu. Il faut de l'audace et du souffle pour voir tous les bons films -ou presque- et être vu partout où il faut- ou presque. Il faut enfin accepter de prendre quelques vestes sans rougir de honte, après tout ce n'est que le Festival de Cannes. Alors, par exemple, quand l'envoyé spécial du Quotidien de Kamel Daoud a en face de lui une attachée de presse tatillonne qui lui demande «Vous travaillez donc pour Le Point, je ne vous ai jamais vu pourtant», démasqué, rattrapé par le réel, il faut savoir tourner le dos avec fierté, et se contenter d'une soirée payante Kebab sauce algérienne dans un boui-boui halal et sympathique avec vue sur le parking de la gare (on ne demande même pas le badge à l'entrée). De même quand l'envoyée spéciale de l'Expression se rendra compte que tous les habituels videurs des fêtes ont été changés par d'autres vigiles qu'elle ne connaît pas encore, catastrophe, ne pas hésiter une seule seconde à voler à son secours quand elle se fera fatalement recaler... Quitte à mentir un peu pour la bonne cause «Malheureux que faites vous ? Cette fille est la grande soeur de Kamel Daoud, une orpheline pourchassée par l'intégrisme de Coléa jusqu'à Kologne, une laïc sans haïk, une féministe debout, une femme en colère, une musulmane modérée, une arabe intégrée, une berbère qui boit de la bière, d'ailleurs c'est tout ce qui reste, le champagne est terminé, s'il vous plaît laissez la entrer». Après des négociations serrées, vers la fin de la soirée le chagrin et la pitié finissent par triompher et Hind O fera son entrée à la manière de Claudia Cardinale dans la fameuse scène du bal du Guépard de Visconti et ira rejoindre l'envoyé spécial du Quotidien de Kamel Daoud. La danse sera belle et raya sur la musique de PNL et nous serons au centre de la fête comme au centre du monde, on parlera de tout sauf de cinéma, on évitera cette faute de goût, mais quand Claudia Cosette O'Daoud voudra encore danser jusqu'aux premières lueurs du jour, Alain D'Oran préférera rentrer à son hôtel sobrement appelé Foyer Sonacotra. A défaut de dormir réellement au moins recharger un peu les batteries de nos corps buggués et de nos machines éprouvées (3heures, pas plus). Ce qui laisse une heure pour rédiger les comptes-rendus pour le Quotidien. C'est reparti, à partir de samedi, et toute la semaine prochaine une page tous les jours en direct du Festival de Cannes raconté par l'envoyé spécial du Quotidien d'Oran . Sachant que le compte-rendu sera rédigé dans un état-je-ne-vous-dis-pas, entre 3 heures et 4 heures du mat' et envoyé sans être relu, on demande au lecteur averti d'être compréhensif sinon indulgent. Cette année on opte pour la sobriété, le sérieux, la critique constructive, loin des élucubrations habituelles. La rubrique phare de cette couverture cannoise aura pour titre VOVA, ça sonne comme AVAVA INOVA, mais en réalité ça veut dire VO, comme version originale -chaque jour un film de la sélection compétitive sera évalué en tant que tel- et VA comme version algérienne, l'exercice consistant dans un deuxième mouvement d'essayer d'imaginer la même histoire du film transposée dans un univers algérien, un film imaginaire qui aurait pu (ou pas) être réalisé par les bons soins d'un(e) cinéaste matriculé(e) DZ. Est-ce pour se moquer une fois de plus du cinéma Algérien ou au contraire est-ce un hommage habité en forme de Prière de l'Absent ? Ce sera très probablement moitié-moitié. Un moitié-moitié bien noir, comme celui qu'on vous recommande pour accompagner la lecture de cette correspondance cannoise. A samedi. |
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