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Dans sa conception moderne,
l'université possède une double fonction: l'enseignement et la recherche
scientifique.
La première fonction assure traditionnellement aux étudiants une formation initiale de base et offre une formation continue, de perfectionnement ou de recyclage, destinée aux cadres et dirigeants d'entreprises tout au long de leurs carrières professionnelles. Bien que cette fonction universitaire soit partagée avec d'autres institutions telles que les instituts et les écoles supérieurs, l'université demeure le centre privilégié de la formation supérieure. Quant à la deuxième fonction, elle est incontestablement fondamentale et spécifique dans la production de connaissances nouvelles et l'innovation technique et technologique. En cela, l'université est le lieu par excellence de la recherche scientifique dont les résultats sont communiqués par le biais de publications certifiées et de brevets d'invention déposés. Si la recherche scientifique universitaire est standardisée dans ses méthodologies, son fonctionnement et son éthique, la recherche pédagogique universitaire reste fragmentaire et surtout méconnue. A l'université, on considère toujours à tort qu'un savoir scientifique dans une discipline donnée dispense automatiquement du savoir et de la formation pédagogiques. En règle générale, les membres du corps enseignant universitaire sont recrutés sur la base d'un diplôme universitaire sanctionnant essentiellement un certain savoir scientifique très pointu avec preuve d'une certaine aptitude à la recherche scientifique. Une fois recrutés, ces membres sont qualifiés d'enseignants-chercheurs et entament leurs tâches pédagogiques sans aucune formation pédagogique préalable dédiée à l'enseignement universitaire. En relation avec cette situation, un constat largement partagé s'est dégagé ces dernières années au sein de la communauté universitaire sur l'aptitude pédagogique des nouveaux enseignants universitaires. Ce constat est essentiellement motivé par la préoccupation de mieux les préparer à la relève de la profession enseignante à l'université. En me basant sur ce constat, j'essaye principalement dans cette contribution d'identifier les difficultés et les lacunes pédagogiques les plus sérieuses observées chez eux. Par la même occasion, en me référant à mon parcours et mon expérience professionnels d'enseignant universitaire, je propose quelques idées théoriques et pratiques afin de contribuer à l'amélioration de leur préparation pédagogique. Afin d'appuyer mon argumentation et de motiver quelques démarches que je vais proposer ici, je rappelle d'abord quelques concepts et principes en pédagogie sur lesquels tout le monde pédagogique s'accorde. Pour cela, je commence par trouver une définition de l'enseignement qui soit assez générale, simple et claire. D'après le Larousse, l'enseignement est défini comme: « Action, manière d'enseigner, de transmettre des connaissances » [1]. Selon cette définition concise et précise, l'acte d'enseigner comprend deux volets indissociables: les connaissances et la manière de les transmettre. Evidemment, pour prétendre au rôle de transmetteur de connaissances, il faut préalablement les acquérir. Donc, dans ce contexte, il est primordial d'insister sur ce principe pédagogique universel incontournable qu'on a souvent tendance à oublier ou à carrément occulter chez nous: on ne peut clairement transmettre des connaissances que l'on ne maîtrise pas assez et ce quels que soient le savoir et la compétence pédagogiques dont on dispose. Aussi, par expérience, on se rend compte que la performance pédagogique, similaire à la performance sportive, est un exercice permanent et un processus cumulatif. Ainsi, à l'instar d'autres métiers, celui d'enseignant est un art qui s'apprend et s'améliore moyennant bien sûr une quête permanente de perfectionnement tout au long du parcours professionnel. De même, il est bien connu que la vocation joue un rôle incontestable dans le choix d'un métier et celui d'enseignant ne fait pas exception. En fait, la vocation au métier d'enseignant est bel et bien confirmée par plusieurs expériences personnelles entendues ou lues. En effet, beaucoup de gens ont été inspirés à un certain moment de leur scolarité par la façon d'être ou la façon de faire de l'un de leurs enseignants. Personnellement, j'étais beaucoup inspiré par mes professeurs au lycée à la fin des années soixante-dix. Ils partageaient tous deux qualités pédagogiques essentielles. Ils maîtrisaient ce qu'ils enseignaient et ils le faisaient méthodiquement et avec un grand enthousiasme. De plus, avec le respect dont ils jouissaient auprès des élèves, à mon avis, avec du recul, ceci a fait très tôt naître la vocation d'enseignant chez beaucoup d'entre eux et surtout chez ceux qui étaient prédisposés à l'enseignement. Encore, il est très important de rappeler ici que le métier d'enseignant est un métier de communication par excellence. En cela, la communication est un élément clé dans l'acte pédagogique. Maintenant, en ce qui concerne l'aptitude pédagogique des nouveaux enseignants universitaires, dans un diagnostic loin d'être exhaustif, je me focalise sur leurs lacunes pédagogiques que je juge les plus communes et les plus sérieuses. Parmi celles-ci, je pointe en premier lieu la non-maîtrise des bases de la discipline enseignée et en deuxième lieu un déficit flagrant en communication orale et écrite en langue standard. Cet état de fait se vérifie facilement chez une grande majorité d'entre eux en tant que thésards lors de la soutenance de leurs travaux de recherche. Personnellement, je constate depuis plusieurs années maintenant à l'occasion de la soutenance de thèses de magister et doctorat en physique que beaucoup de thésards présentent de grosses lacunes en physique de base et beaucoup de difficultés de rédaction. Je crois que ces insuffisances pédagogiques déplorables chez les nouveaux thésards sont dues en grande partie aux méthodes pédagogiques adoptées dans les dernières réformes de l'enseignement général. A titre d'exemple, examinons l'enseignement actuel des mathématiques réputées être la discipline par excellence pour la formation de l'esprit à la rigueur et au raisonnement logique. D'une part, ce n'est plus l'approche classique dans l'enseignement des mathématiques au lycée où l'on suit l'ordre suivant: définition des objets mathématiques, énoncé de leurs propriétés puis démonstration de ces dernières. D'autre part, il y a une absence d'initiation à la logique mathématique dans le cursus de mathématiques au lycée. Rappelons juste au passage que cette initiation serait très souhaitable afin de familiariser les lycéens avec les différentes techniques de démonstration mathématique. Aujourd'hui, on privilégie plutôt une approche dite par activités où l'on commence par manipuler des situations concrètes bien particulières pour enfin déduire des propriétés mathématiques générales visées. Cette approche appliquée dans l'enseignement des mathématiques ne résulterait qu'en une compréhension floue des concepts mathématiques abordés et une non-maîtrise de leurs applications. Encore plus regrettable, cette approche ne favoriserait pas les nouveaux lycéens à développer des capacités d'analyse et de raisonnement logique. Par conséquent, ceci se répercute négativement sur leur apprentissage des autres matières et particulièrement celles directement liées aux mathématiques telles que les sciences physiques. Une telle démarche pédagogique n'aboutirait qu'à une acquisition superficielle d'un tas de connaissances fragmentaires observée chez eux. Une fois à l'université, ils affronteront un cursus universitaire exigeant auquel, dans leur majorité, ils ne sont pas bien préparés et ainsi ils accumuleront davantage de lacunes qui persisteront tout au long de leur formation universitaire. Concernant le déficit en communication signalé ci-dessus, à mon avis, il est essentiellement dû au désintérêt manifeste pour la lecture en général et pour la lecture de la littérature académique en particulier chez les nouvelles générations d'étudiants. Quant aux remèdes susceptibles d'améliorer la préparation pédagogique des nouveaux enseignants universitaires, chacun des enseignants universitaires avertis et soucieux de la pédagogie universitaire envisage des solutions qu'il juge adéquates et prioritaires selon son analyse de la situation pédagogique universitaire actuelle. Dans cet ordre d'idées, relativement aux deux lacunes pédagogiques identifiées ci-dessus, je suggère en ce qui suit quelques démarches pédagogiques et attitudes personnelles que j'estime très utiles aux enseignants débutants. Particulièrement, en début de carrière, un enseignant universitaire doit s'investir intensivement dans la préparation de ses tâches pédagogiques. C'est une étape cruciale de sa carrière durant laquelle il doit fournir d'intenses efforts pour approfondir et consolider les connaissances de la discipline enseignée. Certes, ceci est une démarche endurante et volontariste mais en retour il en bénéficiera au moins sur deux plans. D'un côté, cet exercice pédagogique lui offre l'occasion pour un retour aux fondements de la discipline. C'est le fameux ??back to basics'' prôné par les pédagogues anglo-saxons. D'un autre côté, il trouvera sûrement dans cette démarche une satisfaction morale en comblant ses lacunes de formation grâce à son propre effort intellectuel. Pratiquement, afin de s'imprégner des différentes approches pédagogiques dans l'introduction des concepts de base de la discipline enseignée, je recommande aux enseignants universitaires débutants de lire ou relire massivement les ouvrages de leurs spécialités ayant acquis une qualité pédagogique avérée. A titre d'exemple, en tant qu'enseignant de physique, je recommande vivement aux enseignants universitaires débutants en physique de commencer par lire la série d'ouvrages de Cessac-Tréherne en physique. C'est une ancienne série de livres qui couvre la physique générale destinée aux lycéens. Elle garde intacte sa valeur pédagogique. Elle est rédigée dans un style simple, élégant et très précis avec une présentation et une illustration très claires des concepts. Sa lecture est très pertinente pour un besoin pédagogique chez les enseignants débutants. On peut trouver ces ouvrages dans les fonds documentaires des bibliothèques de lycées. Par la suite, afin d'approfondir davantage leurs enseignements, les enseignants débutants en physique ne peuvent trouver mieux que le cours de physique de Feymann. C'est une collection très célèbre de livres couvrant toutes les disciplines de la physique enseignées en premier cycle universitaire. Elle est l'œuvre d'un grand physicien du vingtième siècle avec une vision très originale de l'enseignement de la discipline. Elle est disponible dans les bibliothèques des facultés des sciences. Sur un autre plan non moins important, il n'est pas inutile de rappeler ici que la maîtrise de la langue d'enseignement est une condition sine qua non pour l'accomplissement des tâches pédagogiques par l'enseignant. En principe, un enseignant universitaire débutant devrait disposer d'une bonne maîtrise de la langue d'enseignement de sa discipline. Mais, actuellement, cette aptitude linguistique est loin d'être acquise par la majorité des nouveaux enseignants universitaires dans les différentes disciplines. Afin de remédier à ce handicap pédagogique de taille, les nouveaux diplômés universitaires, ne maîtrisant pas suffisamment les langues d'enseignement des disciplines qu'ils prétendent enseigner, sont impérativement tenus à une mise à niveau linguistique préalable. Une telle mise à niveau est déterminante pour la fonction enseignante universitaire dans ses aspects pédagogique et scientifique. Aussi, sur le plan organisationnel, de par sa fonction, un enseignant doit être très organisé et méticuleux dans son travail. A cet effet, dès le début de sa carrière, tout enseignant universitaire devrait adopter une pratique méthodique dans la planification et l'organisation de ses tâches pédagogiques. A titre d'exemple, avant le début du cours, un enseignant chargé de cours devrait élaborer minutieusement un document dans lequel il précise l'objectif du cours, détaille le programme, indique les pré-requis, explicite l'évaluation et la notation et donne la bibliographie pertinente à la matière du cours. Par cette tâche préparatoire, il trace une véritable feuille de route pédagogique qui délimite clairement le travail attendu des deux partenaires concernés, à savoir l'enseignant et l'étudiant, durant tout le déroulement du cours. Ce document doit être remis et bien expliqué aux étudiants lors de la prise de contact avec eux. D'ailleurs, ce travail préparatoire est une pratique pédagogique très ancrée dans les universités nord-américaines. Il est connu par le terme ??syllabus'' chez les pédagogues. De plus, par souci de perfectionnement pédagogique, des connaissances théoriques générales en pédagogie universitaire s'avèrent très utiles pour les enseignants débutants bien que la compétence pédagogique s'acquière essentiellement par la pratique. Pour cela, il est pédagogiquement très bénéfique de lire les ouvrages d'anciens enseignants universitaires où ils exposent des savoirs pédagogiques théoriques, relatent leurs expériences pédagogiques et prodiguent des conseils et de précieuses astuces pratiques pour la réussite dans les tâches d'enseignement universitaire. Cette lecture est une source d'inspiration inestimable pour les enseignants débutants dans leur carrière professionnelle et constitue un précieux raccourci pour eux menant vers la compétence pédagogique. Pour information, je signale que plusieurs livres ont paru sur ce sujet ces dernières années. A titre indicatif, je cite ci-dessous un livre assez récent qui peut être inspirant dans le domaine [2]. Maintenant, pour la quête d'une parfaite maîtrise de la discipline enseignée, il importe de suggérer ici une démarche extrêmement importante visant l'autoformation épistémologique de l'enseignant universitaire. Celui-ci entame souvent son enseignement avec une vision cloisonnée de la discipline de sa spécialité. En fait, cette vision s'est construite graduellement chez lui à travers l'apprentissage de cette discipline tout au long des cycles scolaires. Elle est héritée du fait qu'en tant qu'étudiant, on est façonné par la division de toute discipline enseignée en sous-disciplines suite à la diversification des connaissances. Bien sûr, ceci est entrepris dans l'enseignement des différentes disciplines académiques par nécessité pédagogique. Mais grâce à un enseignement constamment actualisé et perfectionné de toutes les sous-disciplines de la discipline de spécialité et une ouverture sur les disciplines voisines, l'enseignant construit progressivement et d'une manière synthétique sa propre vision globale et unifiante de cette discipline. En réalité, cette vision constitue un atout pédagogique majeur et procure à l'enseignant universitaire une longueur d'avance sur les étudiants dans la maîtrise de la discipline concernée. Enfin, j'évoque quelques attitudes à adopter pour réussir dans le métier d'enseignant. Rappelons qu'en principe, la situation professionnelle idéale est de pratiquer un métier par vocation et passion. Ainsi, si on choisit le métier d'enseignant par vocation, ce qui est rare de nos jours, on le pratiquera sûrement avec une grande motivation et un grand enthousiasme. Dans ce cas précis, le métier en lui-même constitue un épanouissement personnel et une réalisation de soi. Sachant de plus que la réussite professionnelle dans différents métiers est beaucoup tributaire des traits de la personnalité de l'individu. A cette fin, ce dernier doit développer des attitudes et reflexes pour assurer une telle réussite. En particulier, il faut qu'il soit constamment animé d'une vive conscience professionnelle et guidé par le souci de réputation auprès des individus auxquels il a affaire. Pour l'enseignant, l'une des plus importantes motivations personnelles derrière l'exercice et le perfectionnement de son métier est la sauvegarde d'une bonne réputation auprès de ses étudiants et ses pairs. Pour conclure, je dirai que cette contribution ne prétend nullement être une initiation à la pédagogie universitaire mais plutôt un recueil de recettes pédagogiques pouvant aider les enseignants universitaires débutants à améliorer leur préparation pédagogique. Je rappelle aussi que dans tous les métiers en général et ceux de la pédagogie en particulier, quand on vise la perfection on atteint l'excellence. Seulement cette dernière a un coût qui n'est autre que l'effort constant et le dévouement personnel. * Enseignant de physique Notes: [1] www.larousse.fr/dictionnaires/francais/enseignement/29804 [2] Enseigner à l'université : Conseils pratiques, astuces, méthodes pédagogiques. Markus Brauer, Armand Colin, 2011. |
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