Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
La France n'a rien d'autre à
faire que persécuter monsieur Chakib Khelil. Malgré
son taux de chômage et son engagement dans une guerre, rien ne saurait la
détourner d'un plan machiavélique pour faire tomber un délinquant financier. Un
de ceux qu'elle rencontre à chaque signature de contrat avec les dictatures, soit
par centaine au cours d'une année. Chakib Khelil a
décidément la paranoïa de la folie des grandeurs.
En général, l'histoire connaît le flux des exilés qui fuient les dictatures. En voilà un qui demande l'asile politique en Algérie, c'est bien une nouveauté. Comme tous les exilés politiques, il s'épanche devant la presse pour réclamer justice et crier son innocence face à des États corrompus qui le pourchasseraient. La première fois que j'avais entendu parler de cette histoire, j'avais réellement cru qu'il s'était trompé d'avion et de destination. Dès les premiers pas dans un pays libre, loin des horribles dictatures qu'il fuit, il s'explique. La France, notamment, se vengerait de ses prises de position pour avoir défendu la diversification des partenariats dans les marchés publics. Elle ne pouvait supporter de ne plus avoir la mainmise sur les intérêts économiques algériens. Le persécuté international n'a pas eu de mal à avoir l'asile, son protecteur et ami lui a fourni un certificat de résidence des plus solides. Pour un voleur de poule, c'est devant la justice que l'accusé doit répondre. Pour un exilé politique, c'est devant la presse qu'il se justifiera. C'est que pour l'ancien ministre de la république, à ce niveau de notoriété, on ne se justifie que devant sa conscience ou devant le peuple, rien de moins. Auprès de la première, l'affaire est vite réglée, cela fait longtemps qu'elle est absente, passons au second interlocuteur. Prenons donc cette posture de juges devant lesquels l'accusé veut se justifier. Faisons d'abord, comme pour toute affaire pénale, le tour du personnage. Grand ministre d'un État intègre, ami d'enfance d'un Président éminemment et mondialement reconnu comme démocrate, il était membre d'un gouvernement soucieux de l'avenir d'un peuple épanoui et libre. Voilà une plaidoirie des plus convaincantes qui démarre. Puis viennent l'énoncé des faits. Les comptes offshore de son épouse, un mensonge. Les poursuites judiciaires à son encontre, de l'acharnement. Les témoignages et les preuves qui commencent à s'accumuler, une grossière vengeance. Le prévenu a bien fait de fuir dans un pays de droit, le jury est tout à fait à l'écoute de l'injustice qui lui a été faite. Ce jury populaire, déjà conquis par un personnage dont le physique et l'habit correspondent à un étudiant de collège britannique plutôt qu'à un membre de la pègre financière, lui pose tout de même certaines questions, juste pour la forme. L'un deux demande : « Si vous êtes innocent, pourquoi ne vous êtes-vous pas expliqué devant les instances qui vous accusent ? » Et voilà que l'ancien ministre répond par cette envolée lyrique classique à nos oreilles, depuis l'enfance, « La France coloniale, le sang des martyrs, la gloire et la fierté nationale, la manipulation néo-coloniale, nos zaouïas et nos traditions de pureté et d'honnêteté... ». Le jury verse une larme par obligation de posture sociale (pour les vraies, il les réserve à la hausse de la devise). Un autre se lève et continue le questionnement : « Vous demandez la protection des zaouïas, vous êtes-vous rendu compte que la photo la plus publiée de votre épouse est à leur égard un sacrilège ? Épaules dénudées et bijoux qui pourraient nourrir pendant dix ans un village entier !». L'accusé répond : « Ma vie privée est occidentale à l'extérieur, pieuse à l'intérieur. Comme mon compte bancaire, elle s'adapte aux coutumes locales par grande éducation». Un troisième se lève et rajoute : « Et les comptes offshore de madame, ce sont ceux d'un homonyme ? Et pourquoi une honnête femme, épouse d'un grand vizir de la nation, aurait-elle un intérêt à être référencée dans un cabinet panaméen aux côtés des biens innocents fils d'anciens présidents de la république ?» L'accusé répond : «C'est un club de vacances pour les enfants des amoureux de l'Algérie ? » Et un dernier : « Vous accusez la France de vous en vouloir jusqu'à l'obsession, mais des centaines de milliers d'Algériens ont la nationalité française. Pensez-vous qu'ils veulent autant de mal à leur compatriote ? Et l'accusé de répondre : « Pas du tout, c'est un malentendu, d'ailleurs mon collègue, actuel ministre des finances, leur demande une contribution à l'emprunt d'État ». Et le juré de rétorquer : « Mais, ne les avez-vous pas exclus de la communauté nationale en faisant d'eux des sous-citoyens par stipulation de la constitution ? ». L'accusé : « Lorsqu'il s'agit d'argent, surtout celui qui alimente les comptes offshore de nos épouses, cousins et beaux-frères, tous les Algériens sont les bienvenus ». Cette histoire grotesque et peu vraisemblable est bien entendu une fiction. Nous n'oserions pas prétendre qu'elle puisse être réelle dans un pays si fier de son attachement aux valeurs d'un drapeau, d'un hymne et d'une religion qui rythment la vie des citoyens, matin, midi et soir. Ou, peut-être, avec un peu de chance, lorsque l'attestation de résidence attribuée par l'ami en question ne sera plus valide. On murmure que ce dernier ne pourra pas l'accorder longtemps encore. A chacun sa protection selon son niveau. Pour les uns, c'est l'exil auprès des zaouïas, pour les autres, c'est plus haut, là-haut ! Mais j'ai bien peur pour eux que ce jour-là, le diable soit de service pour l'accueil des exilés. *Enseignant |
|