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Je souhaite aussi préciser que
je porte à M. Rabrab le plus grand respect, il s'agit
d'un véritable capitaine d'industrie qui a honoré l'Algérie et a développé
l'investissement algérien ici et ailleurs.
Mon apport ici est purement juridique, ma contribution n'a qu'un intérêt pédagogique, d'ailleurs les éléments de mon modeste apport pourront apporter de l'eau au moulin de l'une et de l'autre des parties. Je dois aussi préciser, afin de lever toute équivoque, que dans une modeste contribution je m'étais élevé contre l'usage par l'Etat de son droit de préemption pour bloquer l'acquisition par Cevital de l'usine Michelin. La qualité et l'intérêt à agir du ministère de la Communication Il est possible de soutenir que le ministère de la Communication n'a aucune qualité pour agir et intenter pareille action. Nous sommes en définitive devant une simple ouverture de capital d'une société commerciale par laquelle les actionnaires d'une société cèdent des parts sociales à un tiers. La question dans cette transaction n'est pas aussi simple, il s'agit, ici, du respect de la loi sur l'information et le ministère de la Communication en tant qu'autorité administrative se trouve interpellé et se doit d'agir lorsque celle-ci est supposée être violée. Le ministère profite d'un vide qu'il a créé pour se substituer à une autorité indépendante. Les arguments du ministère Le ministère fonde son argumentaire sur la violation sur un ensemble de règles contenues dans le code de l'information : Art. 16. - L'incessibilité de l'agrément et la sanction de retrait en cas de cession irrégulière. Art. 17. - L'exigence d'un nouvel agrément pour le nouveau propriétaire dans les cas de vente ou de cession de la publication périodique. Article 25 - L'interdiction pour une personne morale de détenir plus d'une publication d'une même périodicité. Il ressort de cet article que cette cession devait être précédée de démarches au préalable auprès de l'accord de l'autorité de régulation qui n'est pas mise en place pour le moment. Ainsi, les questions suivantes doivent être débattues et tranchées par les juges : 1- Une personne ne peut « posséder contrôler ou diriger » plus d'une publication d?une même périodicité. En l'occurrence, M. Rebrab déjà propriétaire du quotidien «Liberté » est-il en droit d'acquérir contrôler ou diriger un autre quotidien. 2-La transaction faite entre entre Ness prod et le groupe El Khabar a-t-elle suivi la procédure requise. Nous ne connaissons pas encore les argumentaires de défense de ceux qui soutiennent la légalité de l'opération mais on pourrait les deviner. M. Rebrab propriétaire de Liberté n'est pas l'acquéreur du quotidien El Khabar. En fait l'acquisition est faite par une société filiale de son groupe. La violation de l'article en question tombe d'elle-même. Cependant la disposition de l'article en question ne mentionne pas uniquement le propriétaire mais toute personne qui possède, gère ou contrôle et la notion de contrôle devrait être évaluée et appréciée par rapport au code de commerce et notamment son chapitre relatif aux «filiales participations et sociétés contrôlées». L'article 731 du code de commerce énonce notamment les situations de contrôle d'une société par une autre et dispose clairement Une société est considérée comme contrôlant une autre dans les cas suivants : La détention directe ou indirecte d'une fraction du capital lui conférant directement la majorité des droits de vote. La détention de droits de vote en vertu d'un accord conclu avec d'autres associés ou actionnaires. La possibilité de détermination des décisions par les droits de vote des décisions. Ce contrôle est présumé si la société directement ou indirectement d'une fraction des droits de vote supérieure à 40% et qu'aucun autre associé ou actionnaire ne détient directement ou indirectement une fraction supérieure à la sienne. Le dernier alinéa de cet article définit la holding comme étant une société qui exerce un contrôle sur une ou plusieurs sociétés. Ainsi l'argumentaire selon lequel M. Rebrab, propriétaire du quotidien Liberté serait ou non acquéreur du quotidien El Khabar doit être apprécié non pas selon l'acquisition du quotidien en son nom personnel en tant que personne physique, mais devra être évalué à la lumière de la détention de ces droits de vote dans la filiale qui a acquis ou par le biais de laquelle l'opération s'est faite. Ainsi une étude et une estimation approfondie des droits de vote de M. Issad Rebrab dans la holding CEVITAL et les droits de vote de cette dernière de la holding Cevital dans la société. Outre cette réserve qui se base sur les dispositions du code de commerce, une autre disposition fondamentale du code de l'information devra être étudiée par les juges du fond. La cessibilité du titre et l'obligation d'acquisition d'un autre agrément : L'article et de ce fait cette acquisition du quotidien El Khabar et notamment l'acquisition du titre nécessite l'acquisition de cette formalité. Sur ce point l'omission semble rédhibitoire. Si la société sous réserve des dispositions sus-citées peut acquérir tout ou partie des parts sociales de la société EL Khabar, elle ne peut en acquérir le titre sans l'obtention d'un autre agrément. Ce qui reviendrait, d'une façon indirecte, à un accord du ministère de la Communication. On pourrait objecter ici que l'objet de la transaction n'est pas le journal mais les actions. Mais le détenteur des actions n'est-il pas le détenteur du titre objet de l'agrément ? Ou autrement posé, le titre du journal n'est-il pas dans les actions ? Il serait intéressant de savoir si le titre qui est une propriété intellectuelle des fondateurs et de leurs héritiers a fait l'objet d'une évaluation et d'une valorisation spécifique dans l'ensemblière parts sociales. Le droit de la concurrence L'apport du droit de la concurrence : Une autre section du droit doit être examinée : Deux grands quotidiens et une chaine de télévision vont passer sous le contrôle d'une même entité financière. Cette situation dominante ne mérite-t-elle pas d'être examinée par le conseil de la concurrence. Le pendant politique de l'opération. Cette approche juridique a, il ne faut pas le cacher, son pendant politique au sens noble du terme : Cette cession est symbolique : elle constitue un véritable recul de la liberté et de l'indépendance de la presse et des journalistes. La réforme du droit de la presse de 1989 a eu un grand mérite par certaines subtilités dont la presse privée et indépendante algérienne est en train de récolter les fruits. -Elle a procédé à une séparation de l'imprimerie - qui est un investissement colossal - des titres de journaux et des sociétés d'éditeurs constitués par des journalistes. -Elle a posé le principe selon lequel seuls des journalistes, des professionnels, peuvent fonder des publications. 3- Par le truchement d'un certain nombre de dispositions et de facilitations (locaux - imprimerie et garantie de trois années de salaires) le gouvernement Hamrouche a permis à des journalistes salariés de journaux publics, de constituer des sociétés par actions sans disposer d'un capital de départ. Il s'agit d'un point historique très important. Les trois éléments sus cités ont permis l'apparition et l'éclosion spectaculaire et salutaire d'une presse privée d'une part et indépendante des cercles de l'argent d'autre part. Les fleurons de la presse algérienne appartiennent à des journalistes professionnels indépendants du pouvoir de l'argent. Des études menées sous d'autres cieux, mais les conclusions sont transposables chez nous, ont démontré que les associations entre des détenteurs de capitaux et des journalistes se font au profit des premiers et se défont au détriment des seconds. L'acquisition d'une entité intellectuelle par une entité financière, ou ce qu'on appellera par euphémisme, un partenariat entre les deux, aboutira inévitablement à une domination de l'argent sur les idées. L'histoire de la presse de notre pays a déjà enregistré des conflits entre des argentiers et fondateurs de journaux. Les issues et les séparations se sont toujours faites au détriment des seconds. La pérennité des unions, quant à elle, se fait toujours au prix d'une subordination, pour ne pas dire inféodation de la plume à l'argent. Des journalistes se doivent d'être jaloux de leurs autonomie, indépendance et souveraineté sur la ligne éditoriale, il s'agit de leur âme. La construction de l'actionnariat dans la quotidien français «Le Monde» offre un très bon exemple de technique juridique qui a permis aux journalistes, minoritaires dans le capital, de conserver le contrôle du journal en s'imposant comme minorité de blocage par le biais d'un pacte d'actionnaires qui leur octroie le pouvoir exclusif de désignation du directeur de la publication. Grace à l'argent distribué dans la publicité publique, le pouvoir dispose d'un levier de pression sur la presse; en se plaçant sous l'aile de conglomérats financiers, la presse algérienne passera subrepticement sous le pouvoir de l'argent. *Avocat |
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